J'ai entendu souvent dire qu'on ne parle pas des Hauts Grades, au moins pour certains rites. Allons alors poser quelques questions tout au sommet, au Grand Commandeur du Suprême Conseil du Rite Moderne, le seul qui régit à ce jour les Grades de Sagesse du Rite Moderne ou Français en Suisse.
FF : La réponse, en ce qui concerne ceux du Rite Moderne, est celle donnée par Roëttiers de Montaleau lorsqu’il les a établis :
Pour le Vème Ordre :
- Étudier et pratiquer tous les grades de tous les Rites connus (81 en son temps)
- Être une chambre d’administration pour le Suprême Conseil de la juridiction.
En ce qui concerne le point 1 il n’y a pas de discussion possible : chaque grade se pratique en Chapitre par les FF et SS qui le possèdent, tous les grades au-delà du 4ème Ordre (18 REAA) peuvent être étudiés et pratiqués en Suprême Conseil par tous les FF et SS en possession du dernier grade du Rite Moderne (V/9).
En ce qui concerne le point 2, le Suprême Conseil intervient d’autorité en tant que chambre d’administration pour régler tous les problèmes qui pourraient surgir entre les Chapitres de la Juridiction, il intervient comme médiateur, il ne s’impose pas aux Chapitres, qui sont souverains, sauf s’ils enfreignent les règles fixées par les Statuts et règlements.
IT : Quel est le rituel de cet ultime Vème Ordre ?
FF : D’une manière plus générale, concernant tous grades au-delà de celui de Maître, ils sont un approfondissement personnel pour chaque F ou S de ce dernier grade, dans le cadre d’un Rite précis, celui que le F ou la S choisissent de pratiquer de préférence à d’autres parce qu’il leur semble mieux leur convenir.
Dans le Rite Moderne, le Vème Ordre n’avait pas de rituel particulier fixé à l'origine (1786) et les événements historiques (Révolution française de 1789) ont fait qu’aucun rituel n’a été retenu à l’époque. Le Rite ayant été transmis au Portugal sous Napoléon et de là au Brésil, où il a été pratiqué sans interruption depuis lors, le Suprême Conseil du Brésil a créé au XXème siècle un rituel pour le Vème Ordre, en deux grades. V/8 et V/9, c’est cette lignée qui a été transmise du Brésil à la Belgique et de la Belgique à la Suisse, l’aspect initiatique du dernier grade est évident au moment de sa réception et ne peut évidemment pas être transmis par écrit dans ce contexte ou dans tout autre.
IT : Ou pratique-t-on les travaux maçonniques de ces grades ?
FF : En Suisse il est aujourd’hui possible de pratiquer tous les grades du Rite Moderne, les trois premiers (Apprenti, Compagnon, Maître) en Loge bleue, les quatre Ordres suivants en Chapitre et les deux derniers du Vème Ordre en Suprême Conseil.
Il est pour moi évident que lorsqu’on choisit de pratiquer un Rite on devrait le pratiquer du début à la fin, parce qu’il y a une cohérence d’ensemble qu’il faudrait respecter. Il était cependant difficile jusqu’à récemment de pouvoir le faire en ce qui concerne le Rite Moderne dans sa forme d’origine, parce que le GODF, qui lui avait même changé de nom en l’appelant Rite français, en avait pratiquement le monopole et avec le temps en avait modifié tous les grades à différentes occasions, selon les modes philosophiques du moment.
Depuis les travaux historiques du F René Guilly, qui ont abouti à la création du Rite Français Traditionnel, pratiqué à la LNF, les publications des différentes versions successives du Rite Moderne d’origine se sont succédées jusqu’à la toute récente (2022) par Marc Meisner, avec le titre ‘’Rite Français en Version Originale’’.
En Suisse nous pratiquons le Rite Moderne selon la version que la Belgique a reçu par le Brésil en ce qui concerne le Vème Ordre ; en ce qui concerne les quatre Ordres selon la version reçue par Grand Chapitre Général Mixte de Belgique ; et les trois grades bleus selon la version reçue par la Loge ‘’Tradition et Progrès’’ de Mons (Confédération de Loges Lithos).
Dans tous les cas il s’agit de versions d’origine du Rite, auxquelles nous voulons rester fidèles parce que nous pensons qu’elles reflètent la conception de la Franc-maçonnerie de ses fondateurs au XVIIIème siècle, qui est celle que nous voulons pratiquer parce qu’elle nous parait encore valable de nos jours.
IT : S’agit-il de s’affranchir de l’approche opérative pour se consacrer à l’étude ésotérique ? Y a-t-il des choix pour le libre penseur ?
FF : Il ne s’agit pas de faire un choix entre raison et foi, ou entre rationalité et ésotérisme, la Franc-maçonnerie n’étant pas une Eglise ou une religion, ni une approche scientifique théorique de la réalité, mais une pratique de réflexion symbolique qui devrait permettre d’appréhender au mieux le monde sous tous ses aspects.
La méthode maçonnique se base sur l’usage complémentaire de la réflexion intellectuelle et de celle symbolique, cette dernière étant vécue à travers la pratique des rituels, qui ont une base commune dans tous les rites au niveau des trois premiers grades, mais qui se différencient ensuite selon l’accent particulier de chaque rite.
Le Rite Moderne a la particularité d’avoir été créé par un travail en commun de plusieurs maçons sous la direction de Roëttiers de Montaleau, qui après examen de tous les rituels connus à leur époque en ont retenu les plus importants et les ont mis en forme dans un système qui du premier au dernier grade présente un suivi cohérent et fidèle à l’idée directrice de la Franc-maçonnerie de cette époque, dite des « Lumières » : être le Centre de l’Union entre des personnes qui sans cela auraient été les unes aux autres totalement étrangères.
IT : La maîtrise ne suffit pas au Maître Maçon ? Y a-t-il encore du chemin de cherchant après ?
Arrivé au grade de maître un franc-maçon a pour ainsi dire terminé sa formation opérative, et si cela lui suffit il peut sans autre s’en contenter. Il y a d’ailleurs des rites, comme celui créé par Friedrich Ludwig Schroeder (1744-1816), qui est devenu le rite de la Grande Loge provinciale de Hambourg en1814 et qui est aujourd’hui le rite de la Grande Loge allemande des AFAM, qui ne comprend que ces trois grades. Il est pratiqué aussi en Suisse alémanique et dans d’autres Pays européens.
Pour les maçons auxquels la maîtrise suffit et qui connaissent l’allemand cela peut les satisfaire. Mais pour ceux qui cherchent à approfondir leurs connaissances, d’autres possibilités se présentent, et ce dès le XVIIIème siècle déjà. Les choix sont multiples, selon les intérêts particuliers de chaque Maître.
En Angleterre on a créé plusieurs voies différentes de grades appelés « à côté » (Side Degrees) qui peuvent être pratiqués après la Maîtrise (comme la Maçonnerie de la Marque, un système opératif), sur le Continent on a choisi une autre manière de procéder, qui a donné la formation de diverses Juridictions de « hauts grades », appelés aujourd’hui « Grades de Sagesse ». Les rites les plus pratiqués sont aujourd’hui le REAA en 33 degrés (d’origine américaine) et le RER en 6 grades (qui impose à ses membres d’être fidèles à la religion chrétienne et qui est aujourd’hui devenu une « marque » suisse), les rites maçonniques égyptiens, nés au XIXème siècle, comme Memphis-Misraïm, ont multipliés les grades et étudient et pratiquent des formes d’hermétisme et d’occultisme.
Le Rite Moderne est quant à lui resté fidèle à l’esprit des « Lumières » et n’oblige personne à renoncer à son libre arbitre et à sa liberté de pensée.
IT : Quelle est l’attente initiatique des réceptions au Ve grade ?
FF : Je ne dirai rien par écrit, il faut l'avoir reçu pour savoir de quoi il s'agit.
Références :
Marc Meisner, Rite Français en Version Originale. Les 7 Grades de 1784-1785, Êphaestos Ltd, Londres, 2022
https://www.scrms.ch/index.html
https://www.scrms.ch/CHAP_BIBL.html
CB, Références et Opinions, Plaidoyer pour les Ordres de Sagesse