L'effort de devenir meilleur, de s'élever en esprit, est, par sa nature, libérateur. Réunir les hautes valeurs morales et les bonnes volontés donne légitimité et honneur à cette démarche. La conséquence est la plus puissante, la plus redoutable des libertés, celle qui réside dans les têtes. Comme disait si bien Victor Hugo “On résiste à l’invasion des armées; on ne résiste pas à l’invasion des idées.”
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Soudainement, cette question m’interpelle: Quelle liberté peut espérer le profane que frappe à la porte de nos temples ? Quelle liberté l’attend là à l’intérieur de nos loges ? De quoi nous, Francs-Maçons, avons acquis de nous libérer? De quoi sommes-nous effectivement affranchis? De quoi nous reste-t-il encore à nous libérer?
Je réfléchis simplement, au premier degré et je compte nos promesses:
Nous sommes libres, chacun, de croire ou de ne pas croire, de ne plus croire, et même de croire à nouveau; pour cette raison, ensemble, libérés de tabous dans nos questions et recherches, nous accueillons toutes les spiritualités avec déférence, avec intérêt d'apprendre, car nous respectons tout ce qui rend meilleur et porte plus haut.
Ainsi, avec l’habitude de vivre la diversité, de tolérer et de respecter l’altérité et la controverse des idées, nous sommes libres de ne pas crucifier nos hérétiques.
Nous creusons des cachots pour les vices mais nous n'érigeons pas de buchers pour les rebelles.
Nous restons frères de nos pécheurs. Nous rejetons le rejet.
2. Partis sur cette voie, nous nous gardons libres des maîtres à penser. Nous évitons la vérité unique qui met la lumière plein dans les yeux, pour aveugler, au lieu d’éclairer le chemin
devant, pour comprendre et choisir ; il est à nous de décider où nous allons… C'est pour cela que tout totalitarisme nous déteste. Nous lui rendons d’ailleurs la pareille.
En effet, nous sommes dispensés de professer sans poser de question quelque savoir d'autorité que ce soit; majoritaire, martelé sans cesse ou même institué scientifiquement.
Car nous ne sommes pas de ceux qui ont trouvé la vérité, nous sommes de ceux qui la cherchent.
Nous nous épargnons dans nos débats d'être partisans et surtout dévots de quelque mouvance ou doctrine philosophique, scientifique, politique, économique, technologique, de celles qui croient en chaque époque être ultimes et sauver le monde; ainsi nous sommes libres de les examiner toutes, sans parti-pris et avec sens critique, comme nous
examinons toute croyance, pour jauger ce qu'il y a à apprendre ou à laisser. Jauger, car toutes les idées ne se valent pas pour nous ; nous avons fait notre libre choix de valeurs morales humanistes, démocratiques. La Bête n'a rien à chercher sur nos colonnes.
3. Nous sommes libres à progresser. Attachés à l'héritage maçonnique, aux mystères initiatiques, aux traditions, aux symboles, nous sommes aussi capables de changer avec l'histoire qui change; N’est-ce pas?
Nous suivons de bonne foi leur esprit, ils sont notre méthode, notre compas vers l’ordre dans le chaos, mais nous sommes libres de naviguer avec notre siècle, d'évoluer. Comme eux, nous voulons être les esprits les plus ouverts … de notre époque.
Nous avons le droit de ne pas nous momifier.
4. Dans nos lieux d’exception consacrés par l’espace sacré, dans le temps sacré, différent, nous prenons vacance, libres du monde de la réal politique.
Liés dans notre chaine d’union et nos silences, nous pouvons nous permettre d’être bienveillants, confiants, fraternels. Ainsi, en quelques années, la pierre brute devient pierre taillée et polie.
C’est ainsi, par le miracle de Pygmalion, dont l’amour donne vie à son œuvre, que nos valeurs trouvent courage et confiance pour rayonner vers l’extérieur, par notre exemple, par l’acte généreux et par l’idée dont le temps est venu.
Même aux pires des temps – et de tels temps menacent de revenir - dans la grande famille de nos temples, la bonté, la sincérité, la liberté, le respect pour l’Homme et pour les devoirs de l’homme, enfin toutes ces valeurs si souvent bafouées, continuent à se perpétuer, tout simplement par notre volonté qui converge pour les faire vivre.
Y a-t-il de bonté, de justice, de vérité? Oui, si nous les pratiquons dans cette vaste Auberge Espagnole que est le Monde.
Par conséquent nos propos sont libres, francs dans les limites de la politesse… et surtout divers; nous sommes excusés, d'être politiquement corrects, opportunistes ou flatteurs du pouvoir; nous sommes dispenses d'être des tartuffes.
En contrepartie, nous nous engageons sans aucune hésitation laxiste vers ce que nous croyons sacré, noble, généreux, juste et bon.
6. Nous n'avons pas besoin de parler d'une voix forte et métallique, ni de nous interrompre l'un l'autre, car nous sommes assurés de parler à tour de rôle et à être écoutés avec égards. Nous sommes libres du besoin de passer en premier et d'avoir le dernier mot dans nos débats;
Nous considérons le droit à l'erreur, le droit d'avoir une conviction toute différente, même quand la vérité de l'autre nous semble erronée.
Pour cela, nous tombons volontiers d’accord à ne pas être d’accord. Pourvu que l’accord soit réciproque, « durable » et sans capitulation.
Ce qui nous intéresse et ce qui l'emporte dans nos planches se trouve par-delà la théorie savante, la vérité absolue vue du point de vue des étoiles, les faits de laboratoire et du tranchant des idées. Nous cherchons la sagesse chaleureuse et simple du sens commun, pour laquelle l'homme est la mesure de toute chose.
7. Pour finir, nous sommes plus libres que d'autres des préjugés... Enfin, au moins en principe... Car nous restons humains, si humains… et vulnérables.
Sans doute sommes-nous plus libres que la société profane, même si notre libération n’est pas entièrement achevée.
L’apartheid de l’exclusion réciproque entre hommes et femmes, entre croyants et athées, est encore présent parmi nous, comme si une partie de l'humanité serait moins née libre, moins humaine, moins loyale, moins honorable ou probe que l’autre, comme si les autres manquaient de bonne volonté.
De même, sur ce petit Globe Terrestre, nous ne sommes pas encore tous affranchis du parjure de promettre aux nouveaux initiés qu’ils sont membres d’un ordre universel et, ensuite, de ne pas nous reconnaitre tous en tant que tels, réciproquement, sans exclusives.
Mais que sais-je? Qui suis-je pour juger mon frère?
Ioan Tenner 2014-2018
1- Garde de l'épée maçonnique de Lafayette (CC BY-SA 3.0) Christophe Dioux 2007
2 - Valentin Galochkin_1965 Esclavage, Domaine Public
3 - Règle d’or des Religions Affiche inter-confessionnelle – Domaine Public www scarboromissions.ca
4 - Burned_at_Stake 1549 PD Wikipedia
5 - Michel de Montaigne Essais © 2018 QQ Citations QQ Citations - https://qqcitations.com/
6 - André Gide Ainsi soit-il ou Les Jeux sont faits, éd. Gallimard, 1952, p. 174 - Ainsi soit-il ou Les Jeux sont faits (1952) © 2018 QQ Citations QQ Citations - https://qqcitations.com/citation/167391
7 - Human... evolution (CC BY-NC 2.0) patriziasoliani 2011 flickr
8 - Trois siecles plus tard... Anderson s Constitutions 1723 Wilson ms. 1878
9 - Noel Maçonnique masonic_wisdom_christmas_tree quotesaboutfriendship.info 2017
10 - La cage d'écureuil Annon
11 - ‘Shhhhh’, Le signe du silence de Horus Harpocrates dieux d'aegypte et de Grèce Blogspot 2013
12 - Les deux chèvres de La Fontaine gravure J.B. Oudry, XVIIIe siècle détail
13 - "le-bon-sens-est-la-chose-du-monde-la-mieux-partagée-la-puissance-de-bien-juger-et-distinguer-rene-descartes-Oeuvres philosophiques livre I Discours de la Méthode (ed. 1835) © 2018 QQ Citations - https://qqcitations.com
14 - Donner la main - photogramme annon.
15 - Granite-chain, Walti Goehner-(CC-0-Domaine Public)- Grey Art Stone Free photo on Pixabay 2018
* Ce texte est le discours du Gr :.Or :. Du GOS au Convent de 2014, il est © 2014- 2018 Ioan Tenner, Les Cahiers Bleus du GOS. La reproduction et la modification sans permission écrite sont interdites conformément aux lois des droits d’auteur en vigueur.