De l’initiation d’un soir… à l’état d’Initié C’est ainsi que je décrirais dans une proposition toute simple le magnifique périple offert par Alain Pozarnik aux maçons et maçonnes réunis à l’invitation de la R :. Loge Genevoise Fidélité et Liberté, du Grand Orient de Suisse. Le passé GM de la Grande Loge de France, auteur renommé de nombreux ouvrages dédiés au sujet de l’Initiation, s’est adressé à une audience qui illustrait l’universalité de la Franc-maçonnerie. On ne peut pas remplacer ici la vibration de son discours vivant, la transmission directe de son vécu de Maître. Il nous a confié pourtant ses notes, texte de référence que nous sommes heureux de mettre à disposition de nos lecteurs avec quelques illustrations et références à son impressionnante bibliographie. (Red.)
« Devenir un initié »*
Par Alain Pozarnik d’après son livre
Philosophie, Méthode et Pratiques Initiatiques
Mes très chères Sœurs et vous tous mes Frères,
Je suis très heureux d’être parmi vous ce midi pour partager notre recherche initiatique et je vous remercie de votre invitation.
Ne vous attendez pas à ce que je vous apprenne quelque chose que vous pourriez répéter et qui ferait de vous des initiés exceptionnellement éclairés. Vous risqueriez d’être déçus.
Ce que nous allons tenter de faire ce midi, c’est de vivre ensemble un moment de notre chemin individuel. Tenter de le vivre ensemble, vraiment, de le partager dans toutes ses dimensions.
Si vous cherchez à mémoriser ce que je vous dis ou à l’analyser, vous en faites un savoir ordinaire. Vous avez toujours cherché à apprendre suivant vos centres d’intérêts et en fonction de votre mémoire. Vous pouvez être très savants ou très brillants, avoir des têtes bien pleines mais vous ne serez pas des initiés.
Je vous propose de laisser vibrer en vous nos échanges d’idées par les vibrations de la parole. Nous goûterons simplement les vibrations qui s’éveillent en nous, en notre corps, en nos sentiments et en nos pensées.
Ne cherchez pas ce avec quoi vous êtes d’accord et ce avec quoi vous ne l’êtes pas, ce qui vous semble juste et ce qui vous paraît faux. Ne cherchez pas les raisonnements sur lesquels vous vous appuyiez toujours et ceux avec lesquels vous vous opposez toujours par conviction, parce que c’est votre personnalité… découvrez, en chacun de vous, votre véritable intimité inconnue.
Nous découvrirons alors que le chemin de la sagesse est simple, mais que nos mécanismes corporels dans la vie ordinaire, c’est-à-dire dans notre vie quotidienne, parasitent notre écoute, notre attention ainsi que la perception de notre profondeur authentique au point que cette profondeur ne nous semble plus réelle, plus présente et que nous nous laissons emporter par nos agitations mentales et affectives.
Aussi je vous propose, pour le moment, de laisser de côté toute critique ou tout jugement. Juste pour le moment. Essayons de laisser pénétrer en nous ce que nous entendons et goûtons avec vigilance le thème choisi par votre Vénérable Maître :
Qui suis-je ? Où vais-je ? Que nous propose le REAA pour devenir ?
Nous n’en savons vraiment, sincèrement, rien…sauf quelques imaginations ou ambitions.
Et pourtant si nous sommes là c’est que nous ressentons une certaine insatisfaction et une certaine possibilité, très floue, d'être autre ;
Nous ressentons un appel à devenir plus humain.
Il y a eu le Big-bang et la dispersion des énergies, la formation du soleil et de la terre, de l’eau et des continents, des plantes, des poissons, des oiseaux, des insectes et des mammifères puis de l’homme… et après… ? Quelle est l’étape suivante de cette énergie créatrice en mouvement ?
Ressentons-nous, en nous, un appel à suivre ce mouvement de progression ou sommes-nous si formidables et extraordinaires que nous nous sentons réellement le sommet de la création ? Serions-nous une merveille à défendre ! N’y aurait-il plus rien de mieux au-delà de ce que nous sommes ? Ou, l’homme peut-il devenir encore plus et mieux humain ?
Peut-être ressentons-nous, en nous, comme une dualité. D’un côté une conscience nous dit que devenir plus humain met en danger notre vie égotiste prestigieuse et de l’autre, une autre conscience souterraine nous appelle à devenir autrement.
Mais admettons que nous ressentions comme une nostalgie ou une vague envie de plus de justesse, de plus de justice, de plus d’amour. La question qui se pose est de savoir comment nous y prendre ?
Une progression est un mouvement, un mouvement qui part d’un lieu et va vers un autre. Le mouvement est le propre de la vie, le mouvement fait partie de la vie, la vie n’est que mouvement.
La vie, notre vie est même le mouvement que nous lui donnons. Nous sommes très exactement ce que nous faisons, le reste n’est que camouflages, jeux, mensonges et supercheries.
Mais devenir, aller vers notre humanisation n’est pas une nécessité pour vivre dans le monde. Nous pouvons très bien vivre comme un mammifère… (supérieur) et mourir comme un chien ou crever comme une vache. Tout simplement, définitivement.
En fait l’homme peut avoir trois niveaux de conscience:
• Le Sommeil (faible niveau de conscience mais perçu comme réel)….
• L’état de veille (niveau ordinaire plus réel que le sommeil croyons-nous)
• L’Eveil (niveau de conscience supérieure encore plus réel que la veille mais inconnu dans l’état de réveil habituel.)
Quelle est cette réalité actuelle lorsque nous sommes réveillés pour aborder et découvrir peut-être un jour l’éveil, autre niveau de conscience humaine encore inconnue ? Nous l’ignorons tant notre état habituel de conscience nous hypnotise.
Il nous faut admettre que nous ne connaissons même pas ce que nous sommes aujourd’hui.
Notre vie sociale, familiale, professionnelle et parfois même celle qui se veut initiatique est un vaste jeu de surface tragi-comique.
En vérité, nous l’avons perdu de vue, nous l’ignorons et c’est cette ignorance qui nous empêche d’aller vers le devenir humain. Nous agissons uniquement pour améliorer notre paraître ou satisfaire les clichés sociaux et moreaux que nous avons faits nôtres dans l’espoir de vivre heureux et admirés d’après les critères qui nous ont étés enseignés et que nous avons adoptés dès notre enfance, notre adolescence ou au début de notre âge adulte. Mais autre chose nous taraude en notre fond.
Enfant ou adolescent, on nous a inculqué des buts, des valeurs que consciemment ou inconsciemment nous nous sommes promis d’atteindre pour satisfaire notre égotisme ébloui ou parfois, au contraire, nous nous sommes opposés à ses valeurs. Ces expériences et ces rencontres extérieures se sont amalgamées, ont modelé notre cerveau et nos sentiments et sont devenues la structure de notre personnalité sans que jamais personne n’évoque notre valeur humaine intérieure, notre Être en devenir possible. C’est là le rôle des initiations.
Vous commencez à voir la différence entre un enseignement classique et un « enseignement » initiatique. L’un est un empilage de savoir et d’apparence l’autre est une expérience de notre Être intérieur, un épanouissement de notre individualité universelle.
Cette vie matérielle possède un cerveau avec des pensées, un système émotionnel et un corps physique qui permettent à tout vivant de s’adapter à son milieu. Mais l’énergie de cette vie s’épuise dans le temps et doit engendrer cycliquement le même pour la survie de l’espèce. Le sommet de cette vie matérielle, non pas de la création mais des mammifères, est l’homme. L’homme est un mammifère comme les autres qui naît, grandit, devient adulte et se reproduit avant de mourir.
Pourtant l’homme a une particularité : une fois adulte il peut se prendre consciemment en charge et se développer encore vers plus d’humanité, ce qu’aucun autre mammifère ne peut réaliser. Une vache sera toujours une vache, un chien un chien, un loup un loup etc… etc. il n’y a que l’homme pour dépasser volontairement et consciemment ses mécanismes de mammifère. L’homme mammifère après une connaissance de soi, peut devenir plus humain s’il se prend volontairement en charge et travaille à devenir…
Chez les sémites des civilisations mésopotamiennes, pour signifier symboliquement que l’homme tel qu’il est n’est pas achevé, il était circoncis. C’est l’homme qui achève l’Homme.
Mais comment ?
En fait, maintenant, nous voyons bien que nous avons besoin de quelqu’un pour nous enseigner cet achèvement comme on nous a appris l’écriture, la grammaire, l’arithmétique, l’histoire et tous les autres savoirs. Nous avons besoin d’un Maître qui connaisse le chemin du perfectionnement, puisse nous le montrer et nous aider à le parcourir en contournant les mécanismes de mammifère.
En Orient et au Moyen-Orient ce sont les Soufis, gurus, cheikhs, qui sont les maîtres. En franc-maçonnerie qui est le Maître ? (pas ceux qui ont le titre de maître)
- Le maître c’est le rite.
- Ses dires, enseignements ou transmissions sont les rituels.
- Son langage est symbolique, analogique. Il échappe au savoir ancien de l’intellect qui n’a plus de référence passées. Nous n’avons plus de jugement mais seulement des constatations objectives. Mais, pour cela, il faut comprendre le langage analogique des symboles… ce langage est nouveau et il nous apprend à être attentif à une nouvelle façon d’être, à prendre de la distance, et il laisse le temps, avant que notre mental ne se mette en branle, à la vie de pénétrer en nous jusqu’à notre Être pour le nourrir. Face à un symbole, nous ne nous occupons plus ni du savoir, ni des émotions, ni de ce que nous voudrions que la vie soit, nous écoutons et goûtons.
Avantage en franc-maçonnerie d’un Maître-Rite :
* Le Maître n’est pas un homme, variable d'un homme à un autre, d'un moment à un autre. Le rite est un maître structuré en principe immuable. ... Il sait dans quel état est un homme qui entreprend le chemin, quelles sont les 33 étapes progressives par lesquelles il doit passer pour s’éveiller à la conscience ultime qu’il pourra librement atteindre suivant son désir, sa persévérance et sa force à se relever quand il chutera et se désespérera.
* Les rituels sont les paroles du maître qui transmettent par mimodrame ce que le disciple doit faire pour devenir, parcourir le chemin, se mettre intérieurement en mouvement. L’être intérieur n’existe que dans le mouvement, ce qui est normal puisque nous avons dit que toute vie est mouvement. Si l’Être vit, il est mouvement. Si nous ne mettons pas en mouvement l’être intérieur, il n’existe pas, il ne vit pas, et nous n’en avons pas conscience.
* Le langage est symbolique pour contourner les automatismes de la pensée.
* Le Temple est le cadre privilégié du travail afin qu’il puisse être expérimenté et pratiqué ensuite dans la vie quotidienne.
a) Un temple est un lieu relatif « hors du temps et de l’espace » ordinaire… et le travail y est extraordinaire… plus tard nous apprendrons la conscience d’être hors du temps et de l’espace dans notre Temple intérieur, et l'expression "hors du temps et de l'espace" deviendra une réalité.
b) Tout le travail y est inhabituel avec des règles strictes, des paroles étranges et des tenures particulières qui contribuent à l’éveil de notre attention puis de notre conscience toute autre.
Sur la voie de la sagesse, personne ne peut progresser par l’apprentissage de forces mémorielles identiques à celles misent en jeux dans les écoles, les lycées ou les facultés. Chez nous, en franc-maçonnerie, il s’agit d’expériences et d’analyses, d’apprendre à penser mais pas de savoir quoi penser. Il n’y a pas de dogmes qui, s’ils sont sus, font de nous un bon maçon. Il s’agit de devenir capable de se rencontrer, de comprendre la vie et de faire, mais pas, ni d’imiter ni de répéter. Sans le fond, même une attitude parfois juste n’est que mensonge, hypocrisie, falsification …
1) Nous ignorons ce que nous sommes actuellement tant nous avons cherché à paraître pour être conformes et aimés.
2) Notre personnalité est une éponge qui, soit par adhésion, soit par opposition a absorbée ce qui est venu vers elle de l’extérieur.
3) Nous ignorons les mouvements d’énergie en jeu en nous-mêmes.
4) Par réaction notre conscience s’est parfois transformée en un inconscient qui, sournoisement, nous influence ou même nous manipule et se rajoute à la difficulté de nous connaitre.
5) Nous ignorons ce que nous pouvons devenir même en tant qu’initié puisque cette partie en devenir n’existe pas encore et est donc complètement inconnue de nos expériences physiques, de nos sentiments et de nos pensées.
6) Ignorant le point de départ et celui d’arrivée, nous ignorons la mise en mouvement à opérer et les obstacles à cette mise en mouvement.
Nous avons donc absolument besoin de suivre quelqu’un qui a parcouru le chemin, qui connait le travail à faire pour devenir un humain plus perfectionné qu’il nous arrive d’imaginer, plus libre et plus serein dans la vie.
Dans toute l’histoire de l’humanité il y a eu des hommes qui ont cherché à répondre à ces mêmes questions que nous nous posons aujourd’hui : comment devenir plus humain ? Comment poursuivre notre humanisation ? Qu’est-ce qu’un humain ? Ils ont laissé des traces fiables dans lesquelles nous pouvons nous engager avec confiance tout au moins le temps d’une pratique réelle, d’un essai concret, d’une vérification par nous-même.
De quelle filiation garante d’authenticité s’agit-il ?
Les rites initiatiques datent de l’aube de l’humanité. Ils sont la marque de l’humanisation des premiers hommes.
• Néandertaliens
• Zoroastrisme
• Mésopotamiens (Gilgamesh)
• Perse (Mithra)
• Égyptiens (Isis et Osiris)
• Grecque (Orphée, Perséphone, …)
• Romains (Janus, bacchanales…)
• Des constructeurs de cathédrales en occident chrétien
• Des loges en Ecosse enrichies par les Templiers
• En la maçonnerie moderne à Londres…
…
Les seules ennemis véritables de la transmission sont les modifications portées aux rituels, dues à des modes philosophiques, religieuses, politiques, scientistes ou sociales… L’homme étant universellement et de tout temps ce qu’il est, son trajet évolutif est immuablement le même pour tous. La suppression d’une donnée ou d’un passage du rituel peut le rendre partiellement ou complètement inopérant. L’autre ennemi de la transmission, parce qu’il y en a un autre, c’est l’initié qui débute son chemin et donc qui ne connaît pas encore vraiment le trajet et prétend pouvoir transmettre ou transformer un rituel en suivant sa logique profane ordinaire.
La différence entre la transmission de la connaissance et celle du savoir matériel est que d’une génération à l’autre le savoir s’accumule et se précise, alors que la connaissance du perfectionnement humain étant une pratique personnelle, la connaissance de l’un ne peut être transmise à un autre. Chacun doit faire son propre travail, ses propre expériences et quand un sage meurt, son expérience meurt avec lui, son comportement s’efface avec lui et chacun doit recommencer pour son propre compte. Tout Être qui naît doit faire son parcours individuel.
Chaque individu qui naît doit d’abord évoluer naturellement en suivant sa nature de mammifère puis devenu responsable et adulte, il se prend en main pour poursuivre consciemment et volontairement son perfectionnement… comme l’on travaille volontairement le raisin et le blé, avons-nous déjà souligné.
Il n’en demeure pas moins vrai que l’attention qui est porté pendant la maturation naturelle a une influence sur le résultat de cette évolution consciente et volontaire. En fonction de l’arrosage et du terrain, avant même le travail de l’homme, le raisin et le blé, avons-nous déjà souligné peuvent être diffèrents et se prêter plus ou moins au travail de transformation. Il en est de même avec chacun d’entre nous.
La méthode s’adresse à l’homme entier dans sa vie entière. Elle ne s’adresse ni à l’intellect, ni à l’affect, ni au physique, ni à l’être intérieur, ni au paraître extérieur mais à l’ensemble de ces parties humaines. La méthode pratique s’occupe donc aussi bien de la vie extérieure, mondaine que de la vie intérieure. Un initié doit être capable d’agir dans la vie sociale et économique. Il ne se retire pas du monde.
Donc dans un ordre initiatique, l’initié n’est pas coupé de sa réalité quotidienne. Il peut s’observer et agir à tous les niveaux de pensée ou d’action: financiers, moraux, organisationnels, structurels, dans ses rapports avec autrui et avec lui-même.
En tant que chercheur de la sagesse, l’initié devrait pratiquer ses devoirs et sa fraternité avec rigueur, mais surtout suivant son évolution, et principalement observer la réelle mise en jeu naturelle de son ego et celle de son être. Il s’interroge sur ses réactions inadaptées à son idéal et découvre ses pulsions qui lui permettent de comprendre celles des autres au lieu de les critiquer parce qu’ils ne répondent pas à ce qu’il pense qu’ils devraient être.
Nous ne pouvons modifier les autres et avons déjà beaucoup de difficulté à nous occuper de nous-même.
En fait dans un ordre initiatique nous ne vivons ni dans un cocon, ni dans un monastère hors de la réalité quotidienne, et nous sommes discrètement confrontés à notre chemin en toutes circonstances. Dans un temple, nous pénétrons à l’intérieur de nous-même. Nous sommes le temple, dit-on. Nous surprenons nos ambitions, nos égotismes, nos mensonges, nos méchancetés, nos médisances à l’œuvre. Nous pouvons observer combien nous ne nous intéressons pas à nous mais, comme d’habitude, avec exigence, aux autres et à nos satisfactions.
Un Temple est décoré de manière à nous interpeller et à nous rappeler que nous sommes ici dans un but bien précis de connaissance et de conscience. Nous devons toujours créer des situations qui exercent notre attention et notre conscience.
Dans un Temple, à l’abri des jugements, nous sommes idéalement placés pour observer nos désirs, nos peurs et notre manque d’amour, de respect des autres, nos incompréhensions, nos intolérances, notre difficulté à nous exprimer, à approfondir et à diriger notre attention, à nous modifier.
Dans un Temple, nous pouvons soit poursuivre notre mode de vie habituelle et nous illusionner sur notre réalité, soit essayer de comprendre ce que nous disent les rituels, c’est-à-dire les paroles du maître pour atteindre un jour la conscience et la connaissance que nous étions venus chercher lors de notre première entrée.
Les rituels.
La toute première étape décrite dès le début de la première initiation par le Rite est la descente dans le Cabinet de réflexion, sous terre.
Descendre en la terre c’est descendre en nous-même…. (Voir la Genèse l’homme est pétri de terre) dans notre partie matérielle, concrète, réelle, mesurable. Ne pas nous découvrir tel que nous voudrions, ou croyons être mais nous appuyer sur du concret. Et le plus concret de nous-même, pour l’instant, est le corps physique avec tous ses mécanismes.
Il s’agit de la connaissance de soi qui va évoluer au fur et à mesure que nous travaillons à nous connaître.
Comme il faut nous dégager de notre fixation hypnotique à notre pensée, le premier mouvement est une recherche d’un nouveau centre de gravité, d’appui pour nous libérer de l’emprise des mécanismes physiques de l’intellect et de l’affect…. Nous disons « je » pense alors que ça pense tout seul…
Nous sommes habituellement toujours en train d’écouter notre pensée soit pour trouver une solution, soit pour nous distraire, soit pour nous émerveiller de son agilité. Certains sont à l’écoute de leurs sentiments pour avoir une impression de vivre avec intensité ; il faut changer de point d’appui et les utiliser seulement quand nous en avons besoin.
Le rituel du premier degré, dans son second pas, nous invite à voyager dans ce qui constitue la matière concrète ; l’eau, l’air et le feu. Voyager c’est partir à la découverte…
L’eau, l’air et le feu, comme la terre ne sont pas l’eau, l’air ni le feu, mais des symboles de ce qui nous constitue … l’eau les mécanismes instinctifs, naturel du corps… l’air les mécanismes de la pensée… et le feu les mécanismes de l’affect et des émotions… ce sont ces énergies que le rituel nous invite clairement à découvrir, non par le savoir mais par la conscience...
Les paroles dans les rituels transmettent le chemin à entreprendre. Les rituels d’initiation n’agissent pas par miracle sur nous ; ils transmettent une action à accomplir.
Les surveillants passent en revue l’intérieur de notre temple…. Pour symboliser notre attention sur nous-même, sur chaque partie du corps pendant que la pensée qui voit reste silencieuse.
Pour travailler cette conscience du corps physique, cette attention à nous-même le Rite nous propose des attitudes physiques particulières qu’il est impossible d’apprendre par savoir, mais par perception…
Il faut que la pensée soit silencieuse, que les émotions soient silencieuses. Les craintes, les angoisses, les vanités de l’ego ne doivent plus influer sur les mouvements du corps. Nous sommes à couverts.
Pour nous connaître nous sommes obligés de changer nos habitudes de fonctionnement, juste pour voir comment nous fonctionnons. Justement le rite traditionnel, le rituel, la tenue en loge, nous forcent à nous observer et donc à nous connaitre et à contrecarrer nos habitudes.
Parmi les attitudes et les mouvements corporels spécifiques nous pouvons citer : le signe d’ordre de l’Apprenti, la marche de l’Apprenti mais aussi l’assise sur les colonnes, les déplacements du Maître de Cérémonie et de l’Expert.
Tout cela est fort concret. Le physique rend nos limites concrètes. Nous pouvons les percevoir, en prendre conscience et constater que, jusque-là, nous avions des attitudes inconscientes. Il ne faut pas que la conscience du corps soit un fantasme mais une réalité.
Pour travailler sur la pensée qui appartient au fonctionnement du corps, il y a les symboles analogiques que la pensée discursive ignore ; les planches à écrire, qui nous forcent à constater comment notre mental fonctionne avec la reproduction des pensées des autres, et habituellement trouvées dans des livres ou des dictionnaires. Les jugements, qui ne sont que des comparaisons que nous portons sur les planches des autres que nous n’écoutons pas librement, mais que nous teintons par nos savoirs personnels.
Pour prendre conscience de nos émotions dues à nos peurs ou à nos désirs de paraître, il y a la lecture de nos planches devant tous les frères (et les sœurs) de la Loge, il y a nos entrées en loge avec cette marche très spéciale qui a lieu sous les regards des autres, il y a aussi les maîtres qui prétendent nous enseigner alors que nous pouvons avoir plus de diplômes qu’eux, ou être plus âgés qu’eux, ou posséder plus d’argent qu’eux, avoir une situation sociale ou professionnelle « plus prestigieuse » qu’eux… Mais l’initiation ne nous situe pas à ces niveaux de référence.
Rien n’est sans importance dans la méthode ou l’organisation structurelle d’une Loge ou d’une Obédience…
Mais deux soirs par mois ne peuvent pas conduire à l’initiation. C’est comme si un étudiant se contentait d’écouter des cours sans travailler ensuite ces cours.
Le travail que nous indiquent les rituels doit être poursuivi en dehors de la loge, au quotidien. Il convient donc de se fixer au quotidien des temps d’étude de soi en vue de la connaissance de soi dans le monde des autres. Le désir et la volonté sont nécessaires pour nous choisir et nous fixer des exercices volontaires. C’est nous qui dirigeons notre recherche et non nos mécanismes d’homme-animal.
Il faut nous créer des exercices en vue de nous connaître et pour ce faire nous ménager des temps de pratique en nous inspirant des exercices proposés en loge. La difficulté réside dans le fait que nous désirons tant vivre l’écume de la vague quotidienne que nous en oublions notre profondeur. Pourtant notre vie est dans la vie quotidienne, il n’y en a pas d’autre.
D’ailleurs, par exemple, soyons conscient que nous parlons de pratiquer la fraternité et non l’amour.
La fraternité peut se perfectionner, l’amour est un état.
Autre exemple de pratique : il ne s’agit pas de réussir des exercices de présence consciente, mais que les échecs nous apportent une connaissance sur nos fonctionnements mécaniques et automatiques.
L’étape suivante définie par le Rite consistera à poursuivre notre enquête dans la vie quotidienne et dans le monde architecturé suivant des lois à découvrir et qui interfèrent sur nous-même.
Nous pouvons découvrir et nous imposer toutes sortes d’exercices pratiques et personnels parce que, si nous étions dans une secte, il y aurait un Maître qui nous imposerait des pratiques que nous croirions nécessaire à notre évolution. Ici, en franc-maçonnerie, nous sommes notre maître et demeurons libres mais cela n’empêche pas d’être volontaires. Nous devons avoir la force de nous engager, la volonté de répondre à notre désir et agir parce que c’est notre devoir d’homme que de poursuivre notre humanisation.
Lorsque nous devenons assez sensibles aux énergies en actions dans le fonctionnement de notre corps, nous commençons à percevoir en lui l’existence d’une autre énergie toute autre.
C’est comme s’il y avait en nous une énergie fondamentale, essentielle, qui était écrasée, assassinée par la présence des énergies égotistes de notre personnalité forgée par tout ce que nous avons puisé dans notre milieu, dans notre éducation, et dans les règles sociales et morales que nous avons faites nôtres.
Nous prenons conscience non seulement de nos fonctionnements physiques mécaniques mais aussi de la présence d’un Être intérieur, d’un Maître architecte qu’il va falloir relever et mettre en mouvement, faire vraiment vivre en nous. C’est une connaissance de soi autre.
Il va falloir comprendre ce combat entre une partie de nous-même et une autre. Jusque-là nous étions dans un ordre préparatoire qui fait partie de notre chemin mais maintenant nous abordons concrètement l’initiation.
Il va falloir poursuivre et approfondir notre état des lieux, notre connaissance du corps et de ce qui empêche notre essence de se manifester, de grandir, telles que les énergies de l’inconscient.
Nous devenons des combattants habiles, des chevaliers. Il y a lutte intérieure ne serait-ce que pour mieux voir notre ego, nos mauvais compagnons, et descendre par étape en nous-même, pour rencontrer notre essence et la nourrir, la rendre vivante, concrète, réelle.
Par cette connaissance nous obtenons le droit de passer d’un état ordinaire à un état de spiritualité.
Alors naît en nous un sentiment nouveau d’Amour.
Nous sommes prêts à rechercher l’esprit de lumière.
Puis à partager et guider nos frères chercheurs tout en donnant du bonheur à l’humanité…
Rien n’aurait été possible si nous n’avions pas commencé par la connaissance du physique, puis du métaphysique, et enfin de l’esprit en vivant dans ce monde quotidien… alors œuvrons.
Le rituel, c’est-à-dire le Maître, nous dit comment devenir un sage initié mais ne nous surveille pas avons-nous dit parce que nous sommes physiquement des mammifères adultes et que c’est à nous de nous prendre en charge.
Nous sommes libres de travailler ou de continuer à vivre de manière ordinaire, de descendre dans notre cabinet de réflexion et de nous donner des exercices pour acquérir la conscience humaine et aimer.
Je n’aborderais pas le bonheur de devenir et de la certitude qui éclaire alors le sens de notre vie d’homme. Œuvrons et devenons infiniment.
J’ai essayé de dire Vénérable Maître
Alain Pozarnik
(Ancien Grand Maître de la Grande Loge de France, auteur de douze ouvrages sur l’initiation maçonnique, éditions Dervy)