" En 1541, Genève, en proie aux troubles, rappelle Jean Chauvin, dit Calvinus ou Calvin, qui devient le maître d'un état théologique, un peu à la manière d'un Khomeiny.
Dans les conseils, la magistrature et les tribunaux de la république, les calvinistes, majoritaires, réduisent les opposants au silence, les chassent, les condamnent à la prison ou à la mort. Le consistoire, organe de surveillance tatillon et rigide, regroupe pasteurs et laïcs, choisis pour la pureté de leur foi. (Résumé du récit de Michel Duchein, dans " Calvin et le calvinisme", 2003)
Calvin est un théologien remarquable, mais un despote intolérant et vindicatif. De Michel Onfray, dans "christianisme hédoniste": "Bien qu’il soit à l'origine d'un traité sur la clémence, Calvin ne s'embarrasse pas de l'amour du prochain".
Citant la bible (Exode 22,17 : "Tu n'accepteras pas de laisser vivre une sorcière "), Calvin l'ordonne, après des aveux obtenus sous la torture, une torture que Calvin justifie aussi par la Bible...
Jacques Gruet est décapité en juillet 1547, pour une affiche en cathédrale St Pierre. En 1557, un fils du conseiller Berthelier est torturé puis décapité, son frère y échappe en s'évadant.
En 1602, un pasteur calviniste, Anton Pretorius, au service du prince électeur de Birstein, fait condamner et obtient l'abolition de la torture, mais l'idée ne semble pas avoir effleuré Calvin l’humaniste.
Au XVIème siècle, la Réforme condamne souvent à la décapitation, pour hérésie, le simple affichage d'un point de vue plus nuancé que l'orthodoxie de l'époque.
Ce 26 octobre 1553, à Champel, dans l'actuel jardin de la clinique de La Colline, un bûcher est dressé, où un homme sera brûlé vif avec ses œuvres, notamment la "Restitution chrétienne". Il va mourir courageusement, au milieu des flammes.
Servet le fait : il admet qu'il est pécheur, et demande pardon à "Jésus-Christ, Fils du Dieu éternel"... S'il avait dit "Jésus-Christ, Fils éternel de Dieu", il n'y avait ni hérésie, ni procès ni bucher.
Mourir pour la place d'un mot…Dogme ou philosophie à part, il faut saluer la mémoire de qui l'on a fait mourir, au prétexte de divergences dogmatiques, inoffensives et pas même évidentes.
Qui était Michel Servet? Un Espagnol, considéré en France comme sujet français. Sa mère était peut-être française. Comment savoir, dans ces régions sans cesse ballottées d'une nation à l'autre?
Il est né à Villeneuve d'Aragon, d'un père notaire. En 1511, selon sa stèle, ou en 1509, comme Calvin? On dit qu'ils suivirent ensemble quelques cours, en Sorbonne. A Villeneuve d'Aragon, une chapelle de l'église présente une tombe comme étant celle de ses parents. Nous n'avons aucun portrait fait de son vivant, mais certains furent réalisés selon des descriptions de ses contemporains.
On lui a reproché des écrits confus, mais comment juger, sans une connaissance magistrale du latin? D'inspiration calviniste, ce reproche semble d’ailleurs partial.
Toulouse, belle ville cathare, celle de la future affaire Calas, hésite entre tolérance et frénésie. C'est à Toulouse que Servet découvre la Bible. Avec qui? Avec qui découvrit-il le latin, le grec et hébreu ? On cite un franciscain, disciple d'Erasme.
Michel Servet est un surdoué. À 14 ans, son père l'envoie à l'Université, étudier brillamment droit, latin, grec, hébreu et arabe. A QUATORZE ANS!
En 1516, Érasme publie un Nouveau Testament en grec, que Zwingli apprend par cœur. Lors de disputes avec Luther, Zwingli fait ses citations en grec et en hébreu. Luther, irrité, le tance: " Parle donc latin, comme tout le monde !"
Après ses études à Toulouse, en fils de bonne famille qui peut se le permettre, Servet voyage, il suit le chapelain de Charles Quint et assiste au couronnement de l’empereur. On le retrouve à Paris, à Bâle, à Strasbourg et en Italie. et? Un Espagnol, considéré en France comme sujet français. Sa mère était peut-être française. Comment savoir, dans ces régions sans cesse ballottées d'une nation à l'autre?
Il est né à Villeneuve d'Aragon, d'un père notaire. En 1511, selon sa stèle, ou en 1509, comme Calvin? On dit qu'ils suivirent ensemble quelques cours, en Sorbonne. A Villeneuve d'Aragon, une chapelle de l'église présente une tombe comme étant celle de ses parents. Nous n'avons aucun portrait fait de son vivant, mais certains furent réalisés selon des descriptions de ses contemporains.
On lui a reproché des écrits confus, mais comment juger, sans une connaissance magistrale du latin? D'inspiration calviniste, ce reproche semble d’ailleurs partial.
Toulouse, belle ville cathare, celle de la future affaire Calas, hésite entre tolérance et frénésie. C'est à Toulouse que Servet découvre la Bible. Avec qui? Avec qui découvrit-il le latin, le grec et hébreu ? On cite un franciscain, disciple d'Erasme.
Michel Servet est un surdoué. À 14 ans, son père l'envoie à l'Université, étudier brillamment droit, latin, grec, hébreu et arabe. A QUATORZE ANS!
En 1516, Érasme publie un Nouveau Testament en grec, que Zwingli apprend par cœur. Lors de disputes avec Luther, Zwingli fait ses citations en grec et en hébreu. Luther, irrité, le tance: " Parle donc latin, comme tout le monde !"
Après ses études à Toulouse, en fils de bonne famille qui peut se le permettre, Servet voyage, il suit le chapelain de Charles Quint et assiste au couronnement de l’empereur. On le retrouve à Paris, à Bâle, à Strasbourg et en Italie.
On affirme que le libéralisme démarre au XIXe siècle, avec l'apparition de la recherche historico-critique. Sans prétendre que le premier libéral est Jésus-Christ – amalgame judicieux pour les uns, tendancieux pour les autres - il semble que se soient toujours côtoyées pensée orthodoxe et approche libérale du christianisme. Au XVIe siècle, le libéralisme est incarné par Michel Servet.
Martin Bucer, son ami réformateur, prône la liberté d'opinion à diffusion limitée, pseudo-libéralisme dur à avaler on peut penser, mais on le garde pour soi, ce serait dangereux pour les autres. Melanchthon lui-même, proche de Luther, prêchait ce principe, le chahutant pourtant à l'occasion.
Comme Zwingli (qui a vécu la bataille de Marignan), Bucer exhortait à ne pas aller trop loin, craignant de passer pour trop négatif. Sur la trinité, il y a consensus entre les factions: la question, trop épineuse, ne doit pas être soulevée. On soupçonne bien quelque difformité dans la doctrine, mais on répugne à sembler vouloir tout renverser, ce qui n'est sans doute pas un modèle de probité intellectuelle.
On enjoignit Servet de se calmer, ce qu'il fit. Cependant, à la question: "Jésus-Christ est-il Dieu?", il répondait qu’il est divin par grâce, non par nature, estimant que la notion de personne ne convient pas à la trinité, le Saint Esprit ne pouvant être une personne.
En reconnaissance de ses capacités, Servet finit par enseigner, au collège des Lombards, les mathématiques et la géographie. Il traduit la Géographie de Ptolémée, avec notes explicatives et rectification d'un bon nombre d'erreurs. Puis il se lance dans des études de médecine, avec un compagnon du même âge, Ambroise Paré, qui fit de lui grand éloge.
De Michel Servet, dénigré par ses bourreaux, on peine à situer la dimension. Il approcha quasiment toutes les connaissances de son temps, rédigea un traité des sirops, découvrit la circulation du sang, peut-être en même temps que d'autres, mais sans communication apparente entre eux. Il a donné plusieurs cours, simultanément, et fut maître de conférences en chaire de médecine.
Servet contribue à éditer quantité d'œuvres de l'Antiquité. Au XVIe siècle, le développement de l'imprimerie permet l'expansion prodigieuse des connaissances culturelles, et Servet y contribue largement.
Installé près de Roanne, médecin réputé et apprécié, Servet se fait discret pendant vingt ans. Finalement, l'archevêque de Vienne, Pierre Palmier, l'appelle à ses côtés, et l'installe confortablement, au palais épiscopal. A Vienne, au XVIe siècle, tout dépend de l'archevêque, même l'évêque de Genève, ceci créant un lien étroit entre les deux villes.
Il entretient, depuis 1546, une abondante correspondance avec Jean Calvin. Calvin tolère une certaine forme de dialogue musclé.
Même ses hagiographes décrivent un Calvin à facettes: celui de L'institution chrétienne, rigoureux dans ses idées et sa rhétorique; celui des Sermons enflammés, des traités polémiques, voire humoristiques (un pamphlet comme le Traité des Reliques est, parait-il, très drôle) ; Il y a même le Calvin sportif qui fuit Paris par les toits, pour échapper au guet.
Leur correspondance prend bientôt un tour féroce, jusqu'à ce que Calvin y mette un terme. Il éprouve alors, pour Servet, une animosité qui ne fléchira plus, alimentée par les positions dissidentes de Servet, mais aussi ce ton arrogant dont Servet use à l'encontre de Calvin.
A Servet, Calvin écrit: "Je ne vous hais ni ne vous méprise, ni ne cherche à vous persécuter. Mais je serai dur comme l'airain si je vous trouve à insulter une saine doctrine avec tant d'audace."
Pourtant, le 13 février 1546, Calvin écrit, verbatim, à son ami Guillaume Farel, à propos de Servet: « S'il vient ici, et si mon autorité a quelque valeur, je ne permettrai pas qu'il en sorte vivant. » Servet sera arrêté à Genève, en 1553.
Manifestement, Calvin exècre Servet, qui, c'est avéré, le traite d'ignare ou d'âne, une pratique courante à une époque où on s'insulte souvent d’abord, avant de discuter sérieusement. Servet considère Calvin comme un minus habens, indigne de la place qu'il occupe. On ne peut pourtant pas prétendre que Calvin n'était pas érudit. Quant à la sagesse et la sérénité...
Ce livre, Servet le fait éditer à Vienne, chez Guéroult, imprimeur originaire de Genève, membre des libertins genevois, parti opposé à Calvin et revendiquant davantage de liberté. Insatisfaits de la vie compassée que la férule du consistoire imposait à Genève, ces libertins n'étaient pourtant pas antireligieux.
On envisage 800 à 1.000 exemplaires, chiffre considérable, à l'époque. Il a fallu des mois pour l'imprimer clandestinement. Pour en assurer la diffusion, on a envoyé des ballots de livres un peu partout.
Quelques livres passent par Genève, ce qui ne plait pas à tout le monde, d'autres par Lyon ou Francfort. Servet avait aussi le sens d'une certaine publicité, un fait plutôt rare, à l'époque.
Mais ses adversaires font diligence, et il n'en subsiste que trois exemplaires, un en Angleterre, un à Paris et un en Autriche : offert par un noble hongrois à Joseph II, qui en a fait grand cas, le livre a été réédité, en Autriche, en 1791. Servet y affirme que la trinité n'a pas de fondement biblique, acceptant de fait les écritures comme source de la foi. Le Christ n'est pas préexistant. Servet rejette toute prédestination, combat même l'idée de salut par la seule foi, qu'il voit comme un oreiller de paresse.
Il reprend l'hymne à la charité de Paul : "Maintenant, trois choses demeurent : la foi, l'espérance et la charité, et la plus grande des trois, c'est la charité". Pour lui, Luther et Calvin se trompent avec le salut par la foi, parce qu'ils retirent d'un côté ce qu'ils accordent de l'autre.
Pour Servet, seul compte la manifestation de sa foi par ses œuvres, se distinguant ainsi de l'ensemble de la Réforme, même des mouvements dissidents de l'époque. Il s'oppose au baptême des enfants, le baptême impliquant d'être conscient de ce que l'on fait.
Il estime que tout croyant peut porter les armes, si c'est pour se défendre ou défendre son pays. Il ne s'oppose pas à la peine de mort, sauf, idée alors nouvelle, dans un cas : l'hérésie.
L'hérétique n'est pas, à ses yeux, dangereux pour la société. Même s'il dépasse toutes les bornes permises là où il se trouve, on ne doit que le bannir.
Le 16 Février 1553, Servet, toujours à Vienne, est dénoncé pour hérésie, au terme d'une banale histoire de famille, qui frise le ridicule.
À Genève, un ami de Calvin, Français réfugié, Guillaume de Trie, entretient une correspondance avec son cousin, Antoine Arneys, catholique opiniâtre, resté à Lyon, lequel écrit à Trie que les Genevois mènent une vie désordonnée, que la pagaille y règne. Trie prend la mouche et rétorque qu'à Vienne, on tolère bien les pires hérétiques, qu'on en héberge jusque dans le palais archiépiscopal.
Arneys demande des précisions. Trie lui apprend qu'un hérétique, niant la trinité et la plupart des dogmes chrétiens, jusqu'à la divinité du Christ, est, cependant, médecin de l'archevêque de Vienne, et président de la Confrérie Saint Luc.
Arneys demande des preuves, que Guillaume de Trie va trouver chez Calvin, puisqu'il sait que Calvin avait entretenu une correspondance avec Servet. Il faut préciser, à décharge de Calvin, que cette correspondance n'avait rien de confidentiel, l'essentiel en avait été publié par Servet lui-même.
De Trie a prévenu Calvin de ce qu'il veut envoyer un certain nombre de textes à son cousin de Lyon. Calvin est réticent, preuve qu'il n'a pas la conscience tranquille en remettant ces textes à de Trie. Il le fait pourtant.
On ne peut affirmer que Calvin a dénoncé Servet à l'Inquisition, mais en laissant agir de Trie, il ne pouvait ignorer que l'histoire allait mal se terminer pour Servet : des documents, autrefois chez Calvin, se sont retrouvés aux mains de l'Inquisition à Lyon et ont servi à condamner Michel Servet.
Le 23 mars 1553, de Trie envoie à Lyon un exemplaire du livre, Restitution de la religion chrétienne, et les lettres envoyées par Michel Servet à Calvin. Le 4 avril, Servet est arrêté par les autorités ecclésiastiques, et emprisonné à Vienne. Trois jours plus tard, il s'évade, avec, semble-t-il, la complicité de la fille du gouverneur de la prison. Il disparait pendant trois ou quatre mois.
Le 17 juin, Servet est déclaré hérétique par le tribunal de l'inquisition, " grâce aux 17 lettres fournies par jean Calvin, prédicateur à Genève " (SIC). Notons au passage que, pour l’inquisition, Calvin est momentanément passé – ça les arrange… - du statut d’hérétique à celui de prédicateur.
Servet s'arrête à Genève, à l'hôtel de la Rose. Le dimanche, il se rend au culte du temple de la Madeleine, où prêche Calvin. Servet est reconnu. On a dit que se montrer au temple fut, de sa part, une provocation. Mais l'assistance au culte était obligatoire, sous peine de graves ennuis. À la sortie du temple, on l'arrête.
Paradoxalement, il dispose de papier et peut écrire autant qu'il le veut. Pour préparer sa défense, il accède à tous les ouvrages qu'il désire. Ceux qu'il commande sont intéressants.
Servet se réfère à l'église de l'Antiquité, pas à celle du Moyen Âge. Il demande des ouvrages d'Irénée de Lyon, en grec, et Tertullien, premier théologien à écrire en latin. A l'époque, (début du IIIe siècle) un tournant aboutit à des affirmations doctrinales très fortes, qui n'existaient pas précédemment. Avant de rendre ces livres, Servet en souligne certains passages, pour qu'on sache sur quoi il base sa défense, qui sera très adroite, contrairement à ce qui a été dit.
Mais pour imposer sa tyrannie, il use et abuse de la dévotion du consistoire et du chantage à son départ. En 1538, il avait mis ses menaces à exécution, les choses s'étaient alors mal passées pour les Genevois, qui tenaient à le garder (Un tiens vaut mieux... ?)
En 1553, les libertins ont pratiquement pris le pouvoir au Conseil des Deux-Cents. Ses membres, adversaires de Calvin, veulent sauver Servet. Paradoxalement, de peur d'être taxés d'hérétiques, ils ne le défendront pas quand il aurait fallu le faire. Servet sera victime de circonstances exécrables, pour lui mais aussi pour Calvin.
Certains prônaient de bannir Servet, ce qui faillit avoir lieu. Mais quand, lassé par des semaines de détention - détenu depuis le mois d'août, il est mort le 27 octobre - Servet s'emporte et attaque Calvin, il fait preuve d'une maladresse funeste et lance : "C'est lui ou moi. Il s'agit de savoir qui vous voulez suivre".
Les Eglises de Zurich, Berne, Bâle, Schaffhouse prennent parti pour Calvin. On considère Servet comme un surexcité, on affirme la nécessité de réagir, mais aucun canton ne requiert une peine capitale : un bannissement suffirait. A Genève, on se prononce tout de même pour la peine de mort...
Calvin visite même Servet, peu avant qu'il ne soit brûlé vif. Certains affirment que Calvin a, ensuite, insisté pour que Servet périsse à petit feu. En 1554, Calvin écrit qu'il avait confié à Farel son intention de faire condamner Servet à mort, mais pas de le brûler vif en place publique. Tuer Servet en douce ? Assouvir ainsi sa vengeance?
Farel, par lettre, le 8 septembre 1553, réprimande Calvin pour sa "complaisance inacceptable", ce qui servira de prétexte à ses admirateurs: en 1903, les réformés de Genève, poussés par Emile Doumergue, calviniste radical et professeur de théologie à Montauban, parviennent à devancer un projet de monument, décidé par un congrès international de libres-penseurs.
A l'angle des boulevards Beau-Séjour et Roseraie, ils en construisent un autre, moins pour rappeler le destin tragique de Servet que pour absoudre Calvin:
"Fils respectueux et reconnaissants de Calvin, notre grand réformateur, mais condamnant une erreur qui fut celle de son siècle et fermement attachés à la liberté de conscience selon les vrais principes de la Réformation et de l'Évangile, nous avons élevé ce monument expiatoire".
Mais, avant l'arrestation de Servet à Genève, Calvin a écrit à d'autres collègues du consistoire : "Il me faut parler franchement. On ne doit pas se contenter de mettre à mort de tels hommes, on doit les faire brûler impitoyablement."
Théodore de Bèze est d'une virulence rare : " Qu'on extermine les hérétiques comme des chiens. Le crime de sang ne fait périr que le corps, la corruption par l'hérésie touche l'âme éternelle, les corrupteurs de l'âme sont pires que les criminels ".
Où est l'humanisme dont on parle aujourd'hui sa mémoire? On croirait Trotski ou Barruel fustigeant les F? M?
Certes, il y eut des réactions. Un chancelier de Berne, Nicholas Zurkinden, écrit à Calvin et le fustige en ces termes : " Je doute que verges et hache soient un bon moyen de réprimer les écarts des esprits. L'homme est ainsi qu'il cède à la persuasion plus surement qu'à la force, et tel s'est roidi devant le bourreau qui n'eut pas résisté au langage de la douceur. Tel, actuellement un fléau pour l'église, peut devenir champion de la bonne cause. On n'a donc pas le droit de supprimer tout avenir à quiconque."
Ainsi, un homme d'état adresse une leçon très évangélique à un réformateur et sa clique, non moins blâmable que son alter ego pontifical et sa cour vaticane, lesquels se jettent réciproquement l'anathème, avec belle ardeur...Cet homme d'état mériterait d'être mieux connu, je ne peux malheureusement vous en dire plus.
Calvin se justifie en invoquant la Bible : Dieu lui-même a ordonné de mettre à mort quiconque chercherait à détourner le peuple du vrai culte.
Chien, porc, vermine, sont des insultes courantes dans la bouche et les écrits de Calvin. Ses adversaires ne sont pas moins violents : on l'a même traité de sodomite... D'autres réactions virulentes se manifestent jusque dans le propre parti de Calvin.
En 1540, à Strasbourg, il loge chez Calvin qui, rappelé à Genève lui confie le nouveau Collège de Rive, mais lui refuse un ministère, en 1544, pour de vagues divergences théologiques. Castellion rejoint Bâle, devient professeur de grec à l'université. La mort de Michel Servet consacrera leur rupture.
Signant Martin Bellie, Castellion publie le Traité des Hérétiques, début d'une polémique sur la tolérance, polémique qui s'envenime très vite.
Dans "Contre le libelle de Calvin", publié bien après sa mort, Castellion écrit :
"En faisant périr Servet, les Genevois n'ont pas défendu une doctrine, ils ont tué un être humain: on ne prouve pas sa foi en brûlant un homme, mais en se faisant brûler pour elle".
Précurseur de Spinoza et Descartes, son influence sera sensible aux Pays Bas et dans le monde Anglo-Saxon, où la liberté religieuse lui doit beaucoup (cf. Zweig, Castellion contre Calvin, conscience contre violence).
En pleine guerre religieuse, Castellion publie un "conseil à la France désolée", et préconise, avec trente ans d'avance, la solution de l'Edit de Nantes, deux religions pour un royaume.
Il meurt en 1563 à Bâle dans l'indifférence, à l'exception notoire de Montaigne, qui le loue, dans ses essais.
Calvin meurt le 27 mai 1564: Charles IX, roi de France depuis 4 ans, vient décréter que l’année civile débutera au 1er janvier prochain. Galilée a 3 mois, Shakespeare a 1 mois.
Certains contemporains ont fait preuve de tolérance, mais l'ouverture d'esprit ne viendra qu'en fin de XVIIème, avec Pierre Bayle et ses célèbres pensées sur la comète et son dictionnaire historique et critique, précurseur de l'Encyclopédie : un athée peut être vertueux, un croyant, criminel, et pas de liberté sans droit de se tromper de bonne foi. Sans ce droit, on ne peut rien entreprendre.
" Presque tous les peuples du monde tiennent leurs femmes en une sorte de captivité"
"Il n'est pas plus étrange qu'un athée vive vertueusement qu'il n'est étrange qu'un chrétien se porte à toutes sortes de crimes." Pensées sur la comète, 1682) De quoi risquer quelques buchers, en ce temps là...
Castellion a aussi ses limites, puisqu’il prône qu'on peut être chrétien, musulman ou juif, mais pas athée, Dieu étant spontané dans le cœur humain. Mais on ne doit pas tuer les athées, seulement les bannir. De même, selon lui, impossible, pour un chrétien, de renoncer à la vérité révélée, donc de changer de religion. Opinion partagée par l'islam, qui punit de mort l'apostasie. Castellion, cite Jérémie, 31 : la loi de Dieu est gravée en soi. Ainsi, même chez les plus tolérants, la tolérance a ses limites.
D'autre part, tout comme Calvin leur a soufflé la prédestination, les thèses antitrinitaires de Servet ont inspiré les témoins de Jéhovah, qui défendent cette théorie LÀ (les autres thèses de Servet ne leur conviennent pas du tout...)
La question reste posée : jusqu'où va la compréhension du prochain ? Quel seuil de tolérance exiger du prochain et faut-il en instituer un ? Quelles sont les limites de LA tolérance ? Cette tolérance est-elle suffisante en soi?
En 1908, à Annemasse, des chrétiens de Genève et de France érigent, à Servet, une statue de bronze, œuvre de la genevoise Clotilde Roch. En 1941, les occupants mussoliniens la détruisent. La Résistance déposera, sur le socle restant, une couronne avec l'inscription : À Michel Servet, première victime du fascisme.
En 1960, on inaugure une copie de la statue de bronze, réinstallée, depuis, devant la mairie d’Annemasse, dont un collège porte le nom de Michel Servet.
La Servette, quartier de la ville de Genève, ne tire pas son nom de Michel Servet, mais du latin silva et signifiait petite forêt, ce qu’il était, avant que Genève ne s’étende hors de ses anciennes fortifications.
Pour démontrer l'actualité de Servet, permettez-moi de conclure par des extraits du manifeste de Sixena qui clôtura l'année servétienne, à Saragosse, le 23.10.2004 : http://www.miguelservet.org/
« [ Servet (...) prônait un christianisme d'avant Nicée 325, libéré de dogmes comme la Trinité, ou le baptême d'enfants sans conscience. Son système impose aux religions de renoncer à des traditions que Servet estimait corrompues, voire antichrétiennes.
Soulignons-en, ici, l’importance actuelle, vu les convulsions contemporaines. Pendant des siècles, catholiques et protestants s'opposèrent à la liberté de conscience comme droit essentiel à chacun, base, pourtant, avec la vie, de tous les droits, et indissociables de la dignité humaine.
Servet écrit : " Il est grave de tuer quiconque, seulement parce qu’il se trompe". Castellion interpelle Calvin et les siens : "Tuer un homme pour défendre une doctrine, ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un homme. Chacun doit être libre de choisir le cheminement de sa conscience vers la lumière."
La liberté de conscience dépasse la tolérance, mâtinée de condescendance, aide à la coexistence de communautés diverses, mais pas forcément aux relations conviviales, nécessaires à l'affirmation de la dignité de la différence. Tenir une seule vérité pour évidente, c'est interdire la critique et empêcher la moindre étincelle de créativité.
Servet a démontré le besoin de se confronter à ses propres vérités et aux alternatives qu’on peut concevoir, ce qui force à vérifier ses propres idées et suscite sincérité et excellence.
Que de crimes sont encore commis par les exhortations de religions ambiguës, sources de conseil, d'espérance et de compassion, mais aussi, en maintes occasions, d’intolérance, de mépris et de violence.
Toute religion inspire des actes de haine quand elle se veut exclusive, et la situation internationale nous amène à étendre à l’islamisme radical ce qui paraissait propre aux christianismes : croisades, inquisition, intransigeance
Il faut être fort pour ne pas périr dans le poison violent des préjugés dominants. La liberté indivisible, consciente et directrice, est exigeante : pas de liberté privée sans son pendant sociétal. Exigeons qu'hommes et peuples bénéficient du droit inné à ces libertés basiques, implicites chez Servet, et nul régime n’est supérieur à la démocratie, fille du progrès intellectuel du Siècle des Lumières.
L'humanisme a toujours connu la contestation, du fanatisme à l'indifférence postmoderne qui assèche les démocraties, par le relativisme, l’égoïsme, le pessimisme social et l’irresponsabilité nihiliste (la "beaufitude").
Face aux fanatismes qui nient les droits ou en affaiblissent l'exercice, il nous faut lutter pacifiquement, armés de paroles de conviction, pour que ces fondamentaux soient mis en pratique par tous, hommes ou peuples de bonne volonté.
Non pas au nom d'un Dieu ou d’une idée politique qui, tant de fois, ont servi et servent encore pour diviser et tuer, mais au nom de l’être humain et de la nature qui l’entoure, dont les éléments participent aussi à l’essence divine.
son feu nous éclaire encore.
Institut d'études " Miguel Servet ", Sixena »
JC G-P