Suite au colloque inter obédientiel de la Franc-Maçonnerie Libérale Suisse à Morat en 2017 : «Transhumanisme: Au-delà de l'humain, vers quoi? Comment? Pourquoi? », un F :. nous envoie ce texte présenté à la RL Sub-Rosa le 20 mai 2018.
Cet approfondissement apporte des éléments de réflexion qui enrichissent le débat sur un sujet qui est loin de passer de mode. Au contraire, former et exprimer une attitude citoyenne et maçonnique en défense de l’humanisme maçonnique – de l’Humanisme tout court - devant la montée d’une inquiétante mythologie technologique qui propose une certaine dévalorisation de l’humain, nous semble une priorité pour tout maçon ou maçonne, de toute Ob :. . D’autres contributions sur ce sujet sont bienvenues dans les Pages des Cahiers Bleus.
Nous ne sommes plus devant des évènements épars venant modifier par touches notre façon de vivre. Ce ne sont plus de simples faits de société, l’améliorant pour certains la dégradant pour d’autres, anxiogènes pour certains, enthousiasmants pour d’autres, mais un changement profond de civilisation. Ce changement est promu par un mouvement qui se veut humaniste, il se donne pour but d’améliorer la condition humaine en augmentant les capacités physiques et mentales des êtres humains, par la mise en œuvre de toutes les avancées scientifiques et techniques. Il part du principe que l’homme est trop irrégulier dans l’effort, sujet aux maladies, physiquement imparfait, et pour comble mortel, de plus son action est par trop limitée pour être efficiente et puissante, rentable quoi. L’action de l’homme pour être efficace ne doit plus jamais se faire en dehors de la technologie, quelques en soient les conséquences sur lui-même et sur la nature. L’homme d’aujourd’hui n’est pas compatible avec cette technologie, il doit être changé, Il faut lui faire dépasser ses limites biologiques.
Poursuivons la vision transhumaniste, on constate qu’elle se fait sur la condamnation non seulement de l’homme mais également de la vie naturelle en général. Consciente de cela, elle sait qu’elle doit trouver une mythologie, une mystique et une morale, donc se légitimiser. Pour ce faire, les politiques, les scientifiques, les chercheurs de toutes spécialités ont créé des groupes de réflexion pour penser ces développements, et communiquer sur leurs spécialités avec au centre de cette réflexion ‘’L’éthique’’. Toutes les technologies d’avant-garde se sont créé un relai moral : la bioéthique, l’infoétique, la nanoéthique, la neuroéthique, la roboéthique, la technoéthique et j’en passe. Au-delà de cette ‘’morale’’ très spécialisé, c’est l’ensemble des actions de notre monde dit ‘’moderne’’ qui passe d’humanologique à technologique. Ce changement fondamental inquiète de nombreuses personnes, par les conséquences imaginables sur la vie future de nos enfants, petits-enfants, de tous nos descendants ainsi que sur la vie des êtres vivants en général.
Si j’ai choisi une approche impersonnelle pour les deux premiers, ce n’est pas par manque de considération envers ces personnalités dont l’apport a été très important pour ma compréhension des choses. Je l’adopte parce que je ne les connais qu’à travers la qualité de leur intervention et ne suis pas en mesure de parler de leur métier, de leur spécialité, la qualité de leur fonctionnement professionnel et morale. C’est donc en tant que personnes représentantes, qu’ils le veuillent ou non, d’une élite présidant nos destinées que je vais aborder leur message, ce que j’en ai compris.
Ils ont tous pour point commun un niveau d’intelligence remarquable, capables de présenter la théorie la plus pointue comme une chose simple, très clairement, même pour un béotien. Une vision circulaire et projective de leur spécialité, de sa place dans la connaissance, un immense respect et même une certaine vénération de la raison, une foi inébranlable dans l’idée de progrès, une grande sincérité et le besoin de trouver ``une morale``, et plus encore de se sentir moral, jusqu’à peut-être, être prêts à se voir restreindre le champ des possibles.
La personne dont je parle en premier est professeur dans une grande école d’ingénieurs. Qui mieux qu’un professeur pour former l’homme au monde qui change. Si l’on admet que l’idée ne peut-être autre, qu’elle est irrémédiable, il n’y a plus qu’à changer l’homme. Il faut donc changer la perception qu’il a de lui-même et du monde dans lequel il vit. L’influence des enseignants dans ce domaine va au-delà d’un savoir, il transmet son regard, sa vision tout au long de sa carrière. Ce professeur chose originale, nous a fait un magnifique exposé des changements techniques, en parallèle avec l’évolutions des idées philosophiques. Ceci l’a amené à nous faire part de la maxime des élèves ingénieurs et peut-être du monde de l’ingénierie ‘’Tout ce qui peut être réalisé, doit- être réalisé’’. Ce qui donne à penser que la valeur de la chose réalisé, la performance de l’action est primordiale et doit donc primer sur ses conséquences. Il ne nous a pas dit si cela était également son opinion personnelle, mais par contre, il nous a confié que son éthique s’inspirait d’Emmanuel Kant.
Une technologie qui veut notre bien…
Après nous avoir éblouis par le génie des découvertes et des évolutions de la recherche sur le cerveau, il ne nous a pas caché son inquiétude quant à leurs futurs développements, en donnant quelques exemples qui font froid dans le dos et que je me suis empressé d’oublier. La désillusion d’Einstein et de ses collègues scientifiques, lors de l’utilisation de leurs découvertes à des fins destructrices sous la forme d’une bombe atomique pourrait bien se reproduire à nouveau. Lui-même nous a dit qu’il était philosophiquement très attaché à Kant et à sa vision.
La science, une raison plus forte, par-delà du bien et du mal
Le troisième intellectuel je l’ai rencontré dans un salon du livre, contrairement aux deux autres, le fait qu’il soit un écrivain connu et l’ouvrage dont je fais référence facilement trouvable, m’autorise à le nommer, ce qui permettra à chacun de se faire une opinion en dehors de mes impressions personnelles. Il s’agit du philosophe André Comte-Sponville. L’ouvrage est : ‘’Le capitalisme est-il moral ? Nous y trouvons les questionnements qui nous préoccupent, ceux qui concernent les principaux problèmes de la vie moderne, des limites qu’il faut apporter ou non aux sciences et à ses applications, à la technologie, à l’économie aux pouvoirs que nous donnent les ‘’progrès ‘’ qui modifient l’action du monde dit moderne.
Pour entreprendre cette tâche, il partage les responsabilités en ‘’ordres pascalien’ ’qui ont dans l’idée, une cohérence propre et une relative indépendance. Pour Pascal les trois ordres sont : l’ordre du corps, l’ordre de l’esprit ou de la raison et enfin celui du cœur, de la charité. Comte-Sponville quant à lui considère :
1) l’ordre technoscientifique ,
2) l’ordre juridico-politique,
3) l’ordre moral, et
4) l’ordre éthique.
Il démontre que tous ces ordres ne peuvent se limiter les uns les autres.
-On remarque que se sont tous des ‘’Ordres’’ construits par l’intellect, qui comme les sciences et leur éthique se proposent de régir la vie.
-Ils sont soumis à la raison, mais plus encore aux puissances, aux forces, et comme tout le monde le sait depuis La Fontaine, <<la raison du plus fort est toujours la meilleure>>. Ce qui bien sur inclus la morale, et en cela et en bien d’autres choses il a lui aussi la morale Kantienne comme référence.
Le point de vue des étoiles…
-En revenant aux modes, on constate que leur point commun est de se projeter dans des valeurs métaphysiques, terme pris dans le sens littéral, c’est-à-dire dans des valeurs physiques qui vont bien au-delà de celles de la physique à laquelle nous appartenons. Lorsque nous parlons de règles morales, de règles éthiques, de règles de vie, comment est-il possible de prendre pour référence une physique autre que la physique des êtres vivants. Cette physique a pour caractéristiques principales l’impermanence et l’innombrable multiplicité de ses causes. Les ’’sans cela nous ne serions pas là’’ d’Hubert Reeves en sont une idée incontournable, auquel j’aimerais ajouter les ‘’sans cela’’ nous ne serions pas comme cela. Tous ces ‘’sans cela’’ réunis représentent des milliards de causes, de contingences, de phénomènes impermanents nous ne pouvons en percevoir que très peu, c’est tout ce mouvant, incompréhensible que l’on appel vie et dont nous humains faisons partie.
- Avec toutes ces contingences physiques, comment affirmer éthiquement que nous sommes libres d’action à son égard ?
- Peut-on affirmer qu’il y a dans le monde dont nous faisons physiquement parti une vérité absolue ? Est-il sérieux de prétendre la découvrir ?
- L’idée même d’égalité impliquerait que tous les humains ont les mêmes contingences. N’importe qu’elle humain raisonnable et sincère conviendra que notre physiologie génétiquement différente pour tout individu, ne subit pas les mêmes contraintes si nous vivons au Groenland, au Sahara, dans les montagnes du Tibet, à paris sur les bords de Seine, à Lyon ou Genève sur les bords du Rhône etc…on peut rajouter des causes, des contingences à souhait.
Au milieu des humains impermanents, composites, êtres physiologiques et qui à ce titre ont besoin d’un environnement biosphérique dont les caractéristiques leurs permettent une adaptation, ‘’une évolution créatrice’’ et pour se faire, requiert un contacts ‘’permanent’’ avec leur environnement physique. Ces êtres physiologiques sont devenus par leur évolution des êtres intellectologique, c’est-à-dire des êtres conduits par les constructions de leur cerveau.
Ces constructions ou organisations ont d’abord été des troupeaux puis des hordes, des clans, des tribus, des peuples, des villages, des citées, des villes, des pays, des nations, et maintenant des sociétés, qui non seulement réunissent les humains, les dirigent, mais également prennent possession de la nature. Ce sont des créations de l’intellect, qui à ce titre ne peuvent donc être régies que par les voies de l’intellect.
Cet aspect peut faire peur, ces fruits de l’intellect sont d’ordre subjectifs et à ce titre encore plus éloigné des contingences de la vie humaine. Ils ne peuvent donc être qu’en plus grande difficulté encore pour garder le contact avec la physique de la vie. C’est en fait, l’aveugle qui guide la marche, le ’’progrès’’, la vie.
En fait Kant considère que tout ce qui vient de l’homme et par extension du vivant, n’est pas digne de confiance cause à leur impermanence et leur subjectivité ils ne sont pas universalisables et donc sans morale pure. Par ce biais il condamne le sujet, il le prive de l’opportunité de trouver la morale en lui-même seul endroit où elle se trouve. Pour lui il y a des Fins objectives, l’objectivité suprême sacralise l’objet et plus encore les processus qui les font advenir : méthodes, préceptes, articles de loi, formules mathématiques et autres deviennent chemins et instruments qui mènent à la vérité, leur réalisation devenant leur légitimation, celle de cette morale qu’il pense sans subjectivité donc pure. Si l’on y regarde bien cette objectivité pure dans l’action est obtenue par une adhésion et une soumission complète au savoir qui mène à l’Object, celle-ci ne laisse aucune place à la subjectivité qui perturbe l’action et lui fait perdre son efficience. Contrairement à ce que l’intellectologie pense, elle ne s’est pas évaporée, elle réapparait au moment où tous ces objets, éléments épars deviennent une réalité que tous ces actants, actionnaires, acteurs se retrouvent devant une réalisation qu’ils n’avaient jamais souhaité ni même envisagé. Ils sont devenus malgré eux acteurs d’un complot, celui de la puissance et de l’hyperpuissance de la science, de la technologie et autres intellectologie contre les physiques incomprises que sont la physiologie, la sensologie l’intellectologie et leur mère la physique biosphérique.
Je m’arrêterais-là de ces influences néfastes, parce que bien sûr si Kant opère une telle fascination sur les grands esprits, c’est qu’il a un apport très intéressant sur la construction de l’intellect, dans l’établissement de logiques stables. On pourrait faire le parallèle avec le GPS qui se sert de points d’appuis se situant en dehors de notre planète, pour connaitre la situation instantanée de n’importe qu’elle être ou objet sur notre biosphère. On garde dans ce cas un ratio, même s’il y a disproportion entre les longueurs, les ordinateurs calculent à tout moment les distances avec les objets situés. Dans le cas de la morale, la projection se fait dans des idéalités qui visent l’absolu, elles s’interdisent toute limite. Il n’y a donc plus de relation possible entre notre subjectivité et notre être physiologique.
Amis, revenez sur terre !
Nos amis intellectuels tout en étant à la pointe des logiques qui mènent les actions de notre monde moderne ne sont pas maîtres des subjectivités qui les gouvernent. La vision de l’enseignant confirme que le savoir intense ne peut que se déconnecter de la connaissance qui demande d’éprouver le savoir pour en avoir une pleine conscience. Le problème est que le savoir se retrouve à une telle micro ou macro distance de la vie que l’épreuve ne peut être faite qu’a l’écart du vivant, confiné dans une éprouvette ou dans un anneau accélérateur de particules en dehors de la physique biosphérique.
Un problème causé par l’enseignement est la séparation du savoir en deux troncs, l’un issu des mathématiques que l’on regroupe avec la chimie, la physique et qui ont été proclamées sciences exactes, par opposition aux sciences humaines non fiables parce que souffrants de l’impermanence du vivant. Cela a donné à leurs logiques l’idée d’être les voies qui mènent à la « vérité » alors qu’il pourrait s’agir que d’une façon plus performante de projeter notre subjectivité dans une autre physique, une autre métaphysique. Mais n’est ce pas la voie de la médecine dont le cursus emprunte cette vision « contrairement par exemple à l’ostéopathie », ce qui la rend performante pour lutter contre les maladies par les voies radicales du scalpel et des chimies, mais inappropriée pour rétablir les harmonies physiologiques avant qu’elles ne dégénèrent.
La philosophie quant à elle n’a pu trouver de voie entre l’idée Démocritéenne se construisant par un savoir boulimique et celle d’Epicure qui renonçait au savoir parce que l’estimant inconciliable avec la physiologie et les sens.
Cette recherche de conciliation des 3 physiques indispensables à l’homme pour se construire une morale compatible avec sa nature et en accord avec celle du vivant qui nous entoure, a laissé la place à des philosophies qui les opposent. Un des premiers à avoir morcelé l’humain, c’est bien sur Platon qui l’a coupé en deux d’un côté un corps peu ragoûtant et même méprisable et de l’autre un Esprit sacré, une âme.
Le comble de l’intellectologie est bien sûr Descartes qui ne percevant la vie qu’a travers son intellect à fini par conclure « Je pense donc je suis «. A tous les philosophes professionnels et amateurs j’ai juste envi de leur rappeler Socrate : « Connais-toi toi-même »
Si nous voulons trouver quelques points de repère, la Franc-maçonnerie nous en propose, l’initiation est édifiante, elle nous incite à reprendre contact avec la physique de notre environnement, les voyages nous font redécouvrir les éléments de notre biosphère à l’aide de nos sens, le feux, l’air, l’eau et même le gout de la vie, son amertume. Ils recréent des relations entre nos perceptions physiologiques et nos perceptions intellectuelle. Par contre lorsque l’on considère la Sagesse comme une valeur apriorique elle devient dogmatique, cela lui fait perdre son rôle de frein, de limitateur de puissance, la Force n’a plus de limite elle s’accouple sans retenu avec le démultiplicateur de puissance qu’est le binaire, elle ne sert plus qu’à fournir de la puissance à cet apriori. C’est pourquoi il me semble important de remettre en lumière la morale de La fontaine qui, à partir de circonstance, de mise en situation, de symboles animaliers, nous présentes l’animal, la nature, nos actions et leurs conséquences. Ces circonstances, situations, subjectives et objectives sont l’exemple d’une morale sans absolu, riche d’expériences imaginées et imagées, porteuse de sagesse empirique.
Mais n’est-ce pas cela qui nous manque mes frères, pour rétablir ce rapport, cette relation entre notre intellect et notre physiologie.
Pierre-Eric Delomier Sub-Rosa le 20-4- 2018