« Je n’ai pas d’argent et n’ai jamais appris d’autre métier que celui de la guerre ; maintenant que la paix est faite, je ne sers plus à rien et je vois bien qu’il me faut mourir de faim. »
« Ho-là ! Je sais bien, moi, ce qu’il te faut - dit l’étranger - c’est de l’argent. Tu en auras autant que tu le voudras et pourra en dépenser ; mais auparavant je dois m’assurer que tu n’as pas peur, car je ne donne rien aux poltrons. »
« Soldat et poltron sont deux mots qui ne vont pas ensemble. Tu peux me mettre à l’épreuve », dit le soldat en bondissant sur ses pieds.
« Eh bien alors, retourne-toi et regarde ».
« Ho ! Ho ! s’écria-t-il, je vais te chatouiller le museau et te faire passer l’envie de grogner. » Il le mit en joue, tira, et la bête tomba morte sur le coup.
« Je vois que tu ne manques pas de courage, dit l’étranger ; mais il faut encore que tu remplisses une autre condition. »
« Rien ne m’arrêtera, pourvu que mon salut éternel ne soit pas compromis », dit le soldat qui voyait bien à qui il avait à faire.
Le soldat songea à la grande misère dans laquelle il était réduit. Lui qui avait tant de fois affronté la mort, il pouvait bien se risquer cette fois encore… Il accepta. Le diable ôta son habit vert et le lui remis en disant :
« Tant que tu porteras cet habit, tu trouveras toujours de l’or dans la poche. »
Puis, après avoir dépouillé en un tournemain l’ours de sa peau, il ajouta :
« Ceci sera ton manteau et aussi ton grabat, car tu ne devras pas en avoir d’autre. Et à cause de cette pelisse, on t’appellera Peau d’ours. »
Là-dessus, le Diable disparut.
Le soldat passa l’habit et, mettant la main à sa poche, il constata que le diable ne l’avait pas trompé. Il endossa aussi la peau d’ours et se remit à parcourir le monde, se donnant du bon temps, et ne se refusant rien de ce qui fait engraisser les gens et maigrir les bourses.
La première année fut encore supportable mais, dès la seconde, il avait déjà l’air d’un monstre. Ses cheveux lui couvraient presque entièrement la face, sa barbe était emmêlée et comme feutrée, et son visage couvert de crasse. Il faisait fuir tout le monde. Cependant, comme il donnait à tous les pauvres en leur demandant de prier pour lui, et comme il parlait en homme de bien, il trouvait encore le gîte.
La quatrième année, il entra dans une auberge, où l’hôte ne voulut pas le recevoir, même dans l’écurie, de peur d’effaroucher les chevaux. Mais, Peau-d’ours ayant tiré de sa poche une poignée de ducats, l’hôte se laissa gagner et lui donna une chambre sur la cour arrière, à condition toutefois qu’il ne se montrât à personne, pour ne pas nuire à la réputation son établissement.
Le soir même, Peau-d’ours était assis dans sa chambre, souhaitant de tout cœur qu’arrive enfin la fin de son calvaire, lorsqu’il entendit quelqu’un gémir dans la chambre voisine. Comme il avait bon cœur, il ouvrit la porte et vit un vieillard qui pleurait en tenant sa tête entre les mains. Apercevant Peau-d’ours, l’homme épouvanté voulut s’enfuir ; mais il se calma bien vite en entendant une voix humaine qui s’adressait à lui. A force de paroles amicales, Peau-d’ours finit par lui faire raconter la cause de son malheur. Il avait perdu toute sa fortune, et était réduit avec ses filles à une telle misère, qu’il ne pouvait même pas payer l’aubergiste et qu’on allait sûrement le jeter en prison.
« Si vous n’avez d’autre souci, lui dit Peau-d’ours, j’ai assez d’argent pour vous tirer de là. »
Il paya leur hôte et donna encore au malheureux une forte somme pour ses besoins. Le vieillard, ainsi délivré, ne savait comment lui témoigner sa reconnaissance.
« Viens avec moi, dit-il ; mes filles sont des merveilles de beauté ; tu en choisiras une pour femme. Elle ne s’y refusera certainement pas quand elle apprendra ce que tu viens de faire pour moi. A la vérité, tu as l’air un peu bizarre ; mais une femme aura tôt fait de te redonner figure humaine. »
« Comment accepter un mari qui n’a pas figure humaine ? J’aimerais encore mieux cet ours rasé que j’ai vu un jour à la foire ; au moins, il était habillé comme un homme, avec une pelisse de hussard et des gants blancs. Lui, il n’était que laid ; on pouvait s’en accommoder ! »
Mais la plus jeune dit : « Cher père ; ce doit être un bien brave homme, puisqu’il nous a secouru ; vous lui avez promis une femme : il faut faire honneur à votre parole. »
Comme le visage de Peau-d’ours était couvert de poils et de crasse, on ne pouvait y déceler la joie dans ses yeux en entendant ces belles paroles. Alors il prit un anneau à son doigt, le brisa en deux et en donna une moitié à sa fiancée, en lui recommandant de bien la conserver, tandis qu’il garderait l’autre moitié. Dans la partie qu’il donnait, il inscrivit son propre nom, et le nom de la jeune fille dans celle qu’il gardait pour lui. Puis il prit congé d’elle en disant :
« Je vous quitte pour trois ans. Si je reviens, nous nous marierons ; mais si je ne reviens pas, c’est que je serai mort, alors vous serez libre. Priez Dieu pour qu’il me conserve en vie. »
La pauvre fiancée prit le deuil, et les larmes lui venaient aux yeux quand elle pensait à son fiancé. Ses sœurs l’accablaient des plaisanteries les plus désobligeantes.
« Prends bien garde, disait l’aînée, quand tu lui donneras ta main, qu’il ne t’écorche avec sa patte ».
« Méfie-toi, ajoutait la seconde, les ours aiment les douceurs ; si tu lui plais, il te mangera toute crue. »
« Il te faudra toujours obéir à ses volontés, reprenait l’aînée, sinon gare à ses grognements. »
« Mais, ajoutait encore la seconde, le bal des noces sera joyeux : les ours savent très bien danser. »
« Un instant, pas si vite, dit Peau-d’ours, il faut d’abord que tu me nettoies. »
Le diable fut bien obligé d’aller chercher de l’eau, de laver Peau-d’ours, lui peigner les cheveux et lui couper les ongles. L’homme reprit l’air d’un brave soldat, mais beaucoup plus beau qu’il n’avait été sept ans auparavant. Il retourna à la ville, acheta un magnifique habit de velours et, montant dans une calèche à quatre chevaux blancs, il se fit conduire chez sa fiancée.
Personne ne le reconnut ; le père le prit pour un officier supérieur, et le fit entrer dans la pièce où se tenaient ses filles. Les deux aînées le firent asseoir entre elles lui servirent un repas délicat, en déclarant qu’elles n’avaient jamais vu de si beau cavalier. Quant à sa fiancée, elle était assise en face de lui avec ses vêtements noirs, les yeux baissés, sans dire un mot. Enfin le père lui demanda s’il voulait épouser une de ses filles, et les deux aînées coururent dans leur chambre pour faire leur toilette car chacune d’elles était persuadée qu’elle serait la préférée.
L’étranger, resté seul avec sa fiancée, prit la moitié d’anneau qu’il avait dans sa poche, et la jeta discrètement au fond d’un verre de vin qu’il lui offrit. Quand elle eut bu et qu’elle aperçut le fragment au fond du verre, son cœur tressaillit. Elle saisit l’autre moitié qui était suspendue à son cou et la rapprocha de la première. Toutes les deux se joignaient à la perfection. Alors il lui dit :
« Je suis ton fiancé bien-aimé que tu as connu sous une peau d’ours ; maintenant, par la grâce de Dieu, j’ai recouvré ma figure humaine, et je suis purifié de mes souillures. »
« Eh bien vois-tu, j’ai peut-être perdu une âme, mais j’en ai gagné deux autres ! »
Voilà, mes bien Chers Frères et Sœurs. En vous lisant ce beau conte recueilli dans les campagnes au début du 19ème siècle par les frères Grimm, mon désir et mon plaisir était bien sûr, de relier notre démarche maçonnique à nos âmes d’enfants et à nos racines populaires. Mais pas que…
Voyez-vous, ce conte, et celui-là seul, met très exactement en situation l’essence même du symbolisme dans son étymologie : Il s’agit d’un objet coupé en deux afin que deux personnes en gardent chacun une partie. Deux êtres qui vont se séparer pour longtemps. En rapprochant les deux fragments lors de leur retrouvaille, ils seront à même de reconnaître leur lien. C’est donc un signe de reconnaissance. Il y a toujours dans le Symbole, un double mouvement de séparation et de réunion.
« Rappelons-nous qu’ici, tout est Symbole. » D’accord, mais qu’est-ce qu’au juste, un symbole?
Le propos de ma planche n’est pas de me lancer dans une tentative de définition approfondie du symbolisme et de ses mécanismes, parce que je n’ai pas spécialement le goût des planches Wikipedia. Notons simplement que tous ceux qui parlent de symboles et de symbolisme emploient eux-mêmes un langage imagé, c’est-à-dire symbolique. Le défi, et aussi le charme de l’exercice est du même ordre que celui de tenter de décrire le goût d’un verre de bon Bordeaux.
Voici donc, juste à titre d’exemples, quelques citations parmi des milliers qui tentent d’expliquer le symbole :
Les symboles échappent à toute définition. Il est de leur nature de briser les cadres établis et de réunir les extrêmes dans une même vision. Jean Chevalier (Dictionnaire des symboles)
Les symboles révèlent en voilant et voilent en révélant. Georges Gurvitch
La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L'homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers. (Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal);
Le symbole peut être comparé à un cristal restituant différemment la lumière selon la facette qui la reçoit. (Raymond de Beacker Les machinations de la nuit)
soupçonnée de l’Esprit. (Carl Gustav Jung)
Mon propos va être plutôt de me pencher sur nos rapports aux symboles, en posant deux questions :
- Comment appréhender, s’approprier le sens d’un Symbole ?
- Que faire quand ça se passe mal, quand le Symbole vous résiste, qu’il refuse de se livrer ?
La nature nous a pourvus de cinq sens pour percevoir le monde extérieur. Vous avez tous déjà soupesé un maillet pour en sentir le poids. Mais avez-vous déjà essayé de poser la langue sur l’acier pour en sentir le goût froid du métal ? Avez-vous déjà écouté le tintement clair du maillet sur le ciseau ? Toutes ces perceptions, je vous l’assure, sont des apports précieux pour dévoiler le symbole du maillet, si c’est de lui qu’on s’occupe.
Il paraît que la pieuvre a neuf cerveaux : un cerveau central et huit cerveaux à la base de chacune des tentacules. Il paraît aussi que nous autres humains, possédons neuf intelligences dans un seul et même cerveau. Ce serait bien le Diable si au moins une de ces intelligences ne nous était pas utile pour comprendre le sens symbolique du maillet, par exemple, si c’est de lui qu’on s’occupe !
Et puis nous avons tous des sensibilités protéiformes faites de toutes nos expériences, notre vécu et notre histoire personnelle. Par exemple, moi j’ai clairement une sensibilité poétique et musicale, plutôt qu’analytique et scientifique. Alors puisque nous sommes entre nous, je vais vous livrer la recette de ma sensibilité aux symboles. Mais attention : inutile de prendre des notes, ce qui fonctionne pour moi ne fonctionnera pas forcément pour un autre :
Prenez une mesure de belle mélodie,
Un chant si possible simple et entêtant.
Incorporez-y quelques notes bleues.
Prenez une mesure d’harmonie classique,
Insérer quelques accords dissonants pour créer la surprise.
Prenez une mesure de scansion rythmique,
Sans oublier les syncopes qui font bouger les corps.
Ajoutez une brassée de mots poétiques avec des ruptures de sens,
Quelques mots apparemment incongrus
Qui seront comme le sel et le poivre de votre plat.
Mélangez le tout, et servez bien frappé.
Frappé comme par un coup de maillet.
Mais alors, que faire quand ça se passe mal, quand le symbole vous résiste, qu’il refuse de se livrer ?
Connaissez-vous la triste histoire du plus grand collectionneur de symboles du monde ? Sa collection était fabuleuse. Il en avait de toutes les tailles, de toutes les provenances et de toutes les couleurs. Tous ces symboles remplissaient sa vaste demeure de la cave au grenier. Il ne lui manquait pratiquement plus qu’un seul symbole, le célèbre symbole-papillon, celui dont la couleur bleue-métallique ressemblait à l’acier d’un maillet, mais en plus brillant.
Pendant des années, il poursuivit sans relâche le symbole-papillon dans toutes les contrées de la Terre avec son filet à papillon. Lorsqu’enfin, un beau jour, il réussit à en attraper un. Vite, il le ramena à la maison et l’épingla dans sa vitrine d’une définition bien pointue.
Alors il put le contempler à loisir et ne s’en priva pas. Le symbole-papillon était magnifique et brillait de tous ses reflets métalliques. Tout était parfait, à un détail près : le symbole-papillon était mort.
Mes bien Chers FF et SS, je fais partie de ceux qui pensent qu’on peut triturer le symbole dans tous les sens, l’interpréter jusqu’à plus soif. Il suffit juste faire attention de ne pas le tuer d’une définition comminatoire ou définitive. Le garder vivant, afin que de sa vibration, l’effluve de son parfum continue à s’exhaler, que nos sens et notre sensibilité restent bien en éveil à son contact.
Mais si le symbole vous résiste, s’il refuse de se livrer, alors là, les choses deviennent plus sérieuses. Aux grands maux, les grands moyens : je vous propose une trousse de secours d’urgence avec deux outils de dépannage puissants. Deux outils de plus que ceux que nous trimballons dans notre boîte de francs-maçons au pied du mur : Le premier outil s’appelle la ruse, et le deuxième, l’humour.
Un exemple d’utilisation de l’outil ruse :
Le soir de mon Initiation, j’ai pris connaissance de mon premier devoir d’Apprenti : il me fallait dorénavant tailler ma pierre brute. Eh bien, ce devoir m’a causé bien du souci. Je ne comprenais pas qu’après une vie de bonne éducation, d’adaptation à la société de mes semblables, une vie d’intégration à un milieu socio-professionnel et culturel, il me faille encore tailler ma pierre brute. Comme si toutes ces années ne m’avaient pas déjà façonnées en une belle pierre, bien cubique, désespérément cubique!
Alors, quelques temps après, en un premier acte de rebelle, et bien sûr sans en parler à mes FF et SS en Loge, j’ai décidé d’essayer d’inverser mon devoir d’apprenti dans son sens opposé, juste pour voir. Non pas tailler ma pierre brute mais tailler ma pierre taillée, pour en extraire la part d’authenticité brute qui se cachait à l’intérieur de moi. Retrouver la pierre brute tout au fond, coincée sous les parallèles et les perpendiculaires de ma pierre bien trop polie.
Et là, tout d’un coup, j’ai remarqué avec joie que le symbole fonctionnait. Il ronflait comme le moteur d’un chalutier quittant le port. Voyez plutôt :
Avant l’instant où on le récipiendaire arrive devant la porte basse, la nuque bien raide, dans son état de pierre si bien taillée - car quand on est bien élevé, on est bien poli, n’est-ce pas ? - façonné par toutes ses années d’éducation et de formation, je me disais qu’il devait bien avoir été une pierre brute, il y a longtemps ! Non ?
Et si cette pierre brute est arrivée sur terre dans son état de nouveau-né, c’est bien parce que le nouveau-né était issu d’un projet parental et social en forme de pierre taillée. Non ?
Et cette société humaine en forme de pierre cubique a bien dû apparaître un jour sur terre, dans une nature sauvage et hostile comme une pierre brute. Non ?
Et ainsi de suite, dans un mouvement de balancier dynamique, entre pierre brute et pierre taillée. Du coup, je pouvais remonter en deux coups de spatules, directement au Chaos originel, via l’Ordre Cosmique avec des grands C et des grands O partout.
Et la Maîtrise devait bien, elle, pourquoi pas, correspondre à la taille d’une pierre cubique pour en extraire un diamant aux mille facettes. Non ?
Avais-je raison ? avais-je tort ? Et selon quelle doxa ? Selon quel catéchisme ? Au fond, peu importe. Ce qui compte, c’est que j’ai adoré me frotter à ce symbole, à le triturer, tout en le laissant vivre sa vie à l’intérieur de mon cœur et de ma conscience. Que ce symbole puisse exhaler son parfum et vibrer comme une musique douce, inconnue et pourtant si familière.
Un exemple d’utilisation de l’autre outil de dépannage : l’humour.
Il y a ceux pour qui le maillet sert à frapper, casser ou concasser, à foncer, enfoncer ou défoncer, à battre ou combattre, à vaincre ou convaincre,
Et il y a ceux qui s’en servent pour juger ou adjuger, rendre la justice ou la réclamer, revendiquer, matraquer, se faire entendre, se faire respecter.
Il y a ceux qui l’emploient pour clouer le bec,
Et ceux qui l’emploient pour clouer le cercueil.
Il y a ceux qui l’utilisent pour frapper la monnaie,
Et ceux qui l’utilisent pour frapper l’imagination.
Il y a ceux qui préfèrent le maillet en bronze pour à cogner la porte de bois,
Et ceux qui le préfèrent en bois pour repousser le cuivre et l’étain.
Il y a ceux qui se servent du maillet pour frapper le tambour ou le gong,
Et ceux qui s’en servent pour faire tintinnabuler la corde ou la lame.
Il y a ceux qui brandissent le maillet pour réveiller les endormis,
Et ceux qui voudraient bien pouvoir réveiller les morts.
Il y a ceux qui, non-violents, refusent de porter le maillet,
Et ceux qui sont toujours entre le maillet et l’enclume (souvent les mêmes).
Il y a ceux qui assimilent le maillet au mal, à la colère, au tonnerre, à la foudre, à l’autorité ou à la destruction,
Et ceux qui l’assimilent au bien, au travail, à la volonté, à l’effort, à la sueur, à l’ardeur et à l’édification.
Il y a ceux qui à l’aide du maillet font naître la foudre de leur cuisse,
Et ceux qui aimeraient bien savoir pourquoi on ne parle pas ici du ciseau.
Il y a ceux pour qui le maillet ne peut pas être en bois : c’est trop mou, mais pas non plus en métal : c’est trop dur,
Et ceux pour qui le maillet ne peut pas être en pierre : c’est trop cassant, et encore moins en caoutchouc : c’est trop vulgaire.
Il y a ceux qui partent en croisade contre la confusion qui règne entre le symbole et l’emblème,
Et ceux pour qui la longueur du manche du maillet doit être proportionnel à la distance qui sépare la pyramide de Kheops de celle Khephren pour respecter la proportion d’Or avec la distance de la Terre à la Lune.
Il y a ceux qui considèrent que le maillet doit impérativement se tenir dans la main droite, faute de quoi tout le système symbolique de nos grands ésotéristes du passé s’effondre,
Et ceux qui persistent à tenir le maillet de la main gauche et qui s’en portent très bien.
Il y a ceux pour qui le maillet symbolise le principe féminin lorsqu’il est dans la main de l’homme,
Et ceux pour qui il symbolise le principe masculin lorsqu’il tape sur la tête du ciseau.
Il y a ceux qui affirment « De source autorisée, selon Oswald Wirth… »,
Et ceux qui réponde : « Selon Jules Boucher… »,
Ou encore ceux qui tranchent :« De source confirmée, selon Irène Mainguy… ».
Il y a ceux qui disent : « On ne peut pas parler du maillet sans parler du ciseau », Et ceux qui répondent : « Eh bien justement, parlons-en du ciseau » ; (les mêmes).
Il y a ceux qui sous la pierre brute décèlent une pierre taillée,
Et ceux qui sous la pierre taillée décèlent une autre pierre brute.
Il y a ceux pour qui le levier est un symbole comme un autre,
Et ceux pour qui le symbole est un puissant levier.
Il y a ceux qui disent : « A force de tailler la pierre, il ne restera plus que de la poussière »,
Et ceux qui répondent : « ça tombe bien, puisque nous sommes tous de la poussière en devenir».
Il y a ceux qui ont réduit les symboles en concepts ou en définitions,
Et ceux qui les ont érigés en hymnes et en oriflammes.
Il y a ceux qui ont commencé par les numéroter pour y voir clair,
Et ceux qui ont fini par les épeler pour y comprendre quelque chose.
Enfin, il y a ceux, vivants ou passés à l’Orient éternel, que j’ai rencontrés
Et ceux, impérissables, que j’ai imaginés.
Conclusion en forme de bâton de pluie
Comme une courte averse de points de suspensions :
Pratiquement tous les catéchismes du monde, tous les enseignements de Sagesse utilisent des symboles pour imprimer leurs messages dans la conscience de ceux qui les écoutent. … … …
Mais les symboles sont-ils l’apanage de telle ou telle religion ? existe-t-il par exemple un symbolisme spécifiquement chrétien ou spécifiquement maçonnique ? … …
Du point de vue des christianismes ou des maçonneries, oui certainement. Mais du point de vue des symboles eux-mêmes ? Eh bien, je ne le pense pas. Je pense que les symboles ne sont le support exclusif d’aucune école de pensée. … …
Les humains ont épuisé des civilisations entières à inventer des symboles, puis à tenter de les enfermer dans des boîtes hermétiques. Est-ce cela que l’on appelle l’Hermétisme ? (Bon, passons, ce n’était encore qu’un jeu de mots). … …
Considérons la forêt de symboles décrite par Baudelaire. Sont-ils tous dignes d’être retenus ? Sont-ils tous ontologiquement sacrés du simple fait de leur statut de Symbole ? Non, évidemment. … …
Quantités de gens, pas aussi bien intentionnés que nous autres Francs-maçons, ont compris la puissance formidable des symboles. Quantités de gens font un usage tout à fait douteux ou intéressé, quand ce n’est pas un usage carrément toxique ou même dangereux. … …
Pour que le symbole acquiert son label de respectabilité et d’universalité, il doit être soumis à la patine du temps et à deux autres outils, que je n’ai pas évoqués jusqu’à maintenant. Des outils indissociablement liés l’un à l’autre dans leur complémentarité et certainement les plus importants de notre identité d’humains. Des outils sans lesquels nous ne pourrions tout simplement pas mettre un pied devant l’autre sur la corde raide de notre vie :
(Donc, et pour terminer)
Si le symbole résiste à la patine des siècles,
S’il résiste à notre sens critique,
Et si, de plus, il arrive à susciter notre émerveillement,
Alors il reste et restera toujours ce magicien-bateleur,
Artiste de l’équilibrisme, de la dérobade et de la pirouette,
Qui révèle en voilant et voile en révélant,
Qui désigne la nature obscurément soupçonnée de l’Être.
Alors il sera et restera toujours cette brise messagère de sens,
Porte-parole de nos libertés de penser, de croire et de rêver
Qui prodigue ses richesses sans limites
À celui qui a les yeux pour voir et les oreilles pour entendre.