Nul ne manque d’admirer les progrès époustouflants qui éclosent de la convergence actuelle des sciences et technologies réunies; des nanotechnologies, les biotechnologies, l'informatique et les sciences cognitives. Demain c’est peut-être l’Espace cosmique tout à nous, des environnements magnifiques, la jeunesse, la santé qui vainc la mort ! Tout ceci sera notre œuvre à nous, Prométhéenne!
L’homme de la rue, c’est-à-dire nous tous, est lent à comprendre ce qui se passe. Comme un dinosaure surpris. L’Humanité – si telle abstraction existe (car on ne voit autour de nous que des hommes et femmes et enfants, des groupes, communautés, institutions, des multinationales de grosse affaire, enfin des nations loin d’être une seule Humanité – cette multitude bigarrée semble avoir de la peine à voir les choses venir. Comme d’habitude.
Sommes-nous en train d’ouvrir – encore une fois – une Boite de Pandore ?
Ce n’est plus de la science-fiction, ni jeux vidéo; des industries de milliards de milliards, parties du Silicon Valley vers leur vocation planétaire, avancent ces projets maintenant, sans égard pour une délibération citoyenne, éthique, spirituelle ou démocratique. La déferlante «NBIC» de la biologie génétique, des nanotechnologies, de l'informatique, l’étude du cerveau et les sciences cognitives, l''intelligence artificielle, convergent maintenant. Leurs produits de masse sont déjà testés parmi nous.
Et nous Franc-maçons en tout cela? Pourquoi ne pas nous tenir à l’écart de ce futurisme dans nos temples atemporels et quelque peu archaïques ?
Tout simplement parce qu’il s’agit de la condition humaine, de la vie de l’homme sur terre, celle que nous promettons sans cesse d’améliorer et élever en rassemblant les valeurs les plus hautes de l’Humanité. Parce que l’enjeu est la définition même de ce qui est un être humain et par conséquent sa place dans la nature si une telle place garde encore un sens, imparfaits, tarés et nuisibles que nous sommes. Car devant le rêve scientiste, rationaliste et technologique du post humain augmenté, nous sommes de misérables mortels, logiquement impurs, maladifs, ravagés de passions.
Devant telle proposition d’«Homme Nouveau» voir Surhomme, nous ne pouvons pas éviter de nous demander : Que reste-t-il de notre credo, l’Humanisme qu’on croyait avoir gagné la partie à l’époque des Lumières ? Quel respect pour l’homme de Picco de la Mirandola, pour la sacralité de la vie et de l’esprit, pour l’individu agent de Hannah Arendt, la personne civilisée de Montaigne, douée de conscience et de dignité inaliénables? Qu’arrive-t-il aux droits de l’Homme, ces vérités que nous avons choisies comme incontestables, devant l’homme en pièces détachées ? Persistera-t-il une Histoire des Humains, dans une mouvance qui rêve déjà du remplacement de l’homme par autre chose mieux conçue, des créatures mi-machines et des intelligences artificielles qui devraient décider l’avenir de leur créateur insuffisamment intelligent? …
L’avenir de qui, en fait et pourquoi ? Avec quel but ? Des sur-robots et méga-systèmes (et méga-monopoles supranationaux régis par une abstraction étrange nommée profit d’argent) servis par quelques rarissimes surhumains élus, produits par ingénierie génétique, implantés d’électronique et de nanotechnologie, connectés aux nouveaux démiurges-machines d’un monde utopique?
Que va-t-on faire du surplus des habitants du Globe, pour lesquels les implants high-tech, transplants et chromosomes copyright seront trop chers, incompréhensibles ou même inacceptables ? Ces 8-9 milliards qui expirent du CO2, qui rêvent vulgairement de pain, de paix, d’enfants et d’un brin de liberté? Qui croient à leur Dieu et à leur place dans une chaîne d’ancêtres ? Va-t-on distribuer des organes parfaits en échanges-standard, bonne nourriture éco et bio et des prothèse 8.000.000.000 humains en voie de développement ? Quel projet pour eux ?
Voyez, on prend presque peur même à y penser, mais c’est pour cela que nous sommes Franc-maçons, n’est pas ?
Pour les Franc-maçons, dont le principe directeur est l’Humanisme, les hautes valeurs de civilisation qui unissent les humains, la liberté et la fraternité, et pas moins la spiritualité, voici un sujet à approfondir d’urgence, de manière constructive, avec mesure et sagesse, bien entendu, mais aussi un domaine pour prendre position citoyenne.
(* Avant-propos des CB par I.T.)
Pour entamer cette réflexion, trois Ob:. de la Franc-Maçonnerie Libérale Suisse – DH, GOS, GLFS se sont réunies avec leurs Grands Maître en tête, le 4 mars 2017 à Morat.
Impossible de rendre toute la richesse de notre colloque. Ce qui suit tente au plus d’en constituer un aide-mémoire.
En attente d’un texte de la magnifique conférence de notre invité, voici les notes qui ont été la synthèse des travaux :
Atelier N°1 Le Transhumanisme: quelle science et quelle technologie?
Définition du Transhumanisme
Selon une définition généraliste :
"Le transhumanisme est un mouvement culturel et intellectuel international prônant l'usage des sciences et des techniques afin d'améliorer les caractéristiques physiques et mentales des êtres humains. Le transhumanisme considère certains aspects de la condition humaine tels que le handicap, la souffrance, la maladie, le vieillissement ou la mort subie comme inutiles et indésirables. »
Dans cette optique, les penseurs Transhumanistes comptent sur les biotechnologies et sur d'autres techniques émergentes. Les dangers comme les avantages que présentent de telles évolutions que nous avons discutées préoccupent aussi le mouvement Transhumaniste.
Le terme « transhumanisme » est symbolisé par « H+ », anciennement « >H » ou "Humain plus". Il est souvent employé comme synonyme d'« amélioration humaine ».
Les penseurs Transhumanistes prédisent que les êtres humains pourraient être capables de se transformer en êtres dotés de capacités telles qu'ils mériteraient l'étiquette de «post humains». Post humanisme et Transhumanisme sont deux termes utilisés pour définir l’après humain.
Le premier est le mot plutôt utilisé par les philosophes pour désigner l’après humanisme, le deuxième par les scientifiques lorsqu’ils parlent de l’homme amélioré.
Les Nanotechnologies, les biotechnologies, l'informatique et les sciences cognitives (NBIC) désignent
un champ scientifique multidisciplinaire qui se situe au carrefour des nanotechnologies (N), des biotechnologies (B), des technologies de l'Information (I) et des sciences cognitives (C).
Certains utilisent la notion de «grande convergence» pour souligner l’interconnexion croissante entre «l'infiniment petit (N), la fabrication du vivant (B), les machines pensantes (I) et l'étude du cerveau humain (C)».
Aujourd'hui, nous avons devant nous un puzzle de pièces technologiques qui commence à s'assembler, en commençant par la génétique qui tente d'améliorer le génome humain pour donner un être amélioré, puis de la médecine avec les apports de l'informatique, de la robotique. L'avancée de ces sciences a abouti à l'interface de l'Homme à la machine (IHM), de même que l'agriculture se dote de puissants moyens sélectifs avec l'OGM.
Technique et science contrôlées ?
Une grande partie de ces centres de recherche (NBIC) sont financées massivement par les plus grandes sociétés actuelles du Web, elles sont connues sous l'acronyme GAFAM, soit Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft.
Il manque par contre des organismes indépendants pour contrôler et pour gouverner sérieusement ces innovations, malgré quelques lois promulguées dans certains pays, comme la Suisse, cadrant la recherche génétique et limitant l'usage des O.G.M...
Ceci est progrès scientifique et technologique, sans doute. Le Progrès de l'Humanité reste notre credo aussi mais pas à n'importe quel prix, car il est important de prendre en compte le côté éthique et spirituel qui nous rassemble.
La quête humaine du savoir doit se faire avec discernement, car nous avons accès à une quantité phénoménale d'informations et de moyens de toute part, grâce à ces technologies, la limite,... telle que nous l'avons connu dans notre vie, est débordée par ces nouveaux moyens.
La masse des savoirs et leur conséquences grandissent à chaque heure sur toute la planète, c'est pourquoi notre jugement nécessite du recul et plus de clairvoyance.
…
Référence bibliographique :
La révolution Trans humaniste par Luc Ferry édition Plon, 2006
Le transhumanisme ou faut-il avoir peur de l'avenir par Béatrice Jousset-Coutourier, préface par Luc Ferry, Eyrolles, Paris, 2016
La tentation de l'homme-Dieu par Bertrand Vergely, Le Passeur collection Le Passeur intempestif, 2015
Le transhumanisme est un intégrisme par Mathieu Terence édition Les éditions du Cerf, 2016
Les robots font-ils l'amour ? Ou le transhumanisme en 12 questions par Laurent Alexandre et Jean-Michel Besnier édition Dunod, 2016
Atelier N°2: Le transhumanisme: quelles conséquences éthiques et morales?
(Vous pouvez écouter cette l’introduction en cliquant ici)
Les Frères et Sœurs présents livrent leurs réactions et leurs interrogations dont voici le résumé succinct:
Le Transhumanisme est une forme déguisée de transformation de l'homme en machine. Veillons à ne pas laisser nos machines nous dominer.
Cette vision est ethno centrée: nous ne sommes pas seuls dans l'univers!
Entré en Franc-Maçonnerie pour ne pas vivre "Le meilleur des mondes" de Huxley, un Frère réitère sa confiance dans l'humanisme maçonnique.
La procréation médicalement assistée ne risque-t-elle pas de dériver vers l'eugénisme qu’on a déjà pu juger?
Le Transhumanisme trouverait-il une origine psychologique dans la volonté de l'homme de dominer la nature, et donc d'entrer en lutte avec elle, même au prix de la destruction?
Ne joue-t-on pas à l'apprenti sorcier?...
Les valeurs maçonniques donnent les premiers éléments de réponse:
Le "Prenez place" dans toutes ses acceptions nous invite à prendre conscience de notre rôle et de notre responsabilité.
La société tend à diluer ou noyer et la responsabilité: il est pour nous temps de remplacer le ON anonyme par le JE qui engage et réaffirme la notion de responsabilité...
L'équilibre, la pondération, nous rappellent que tout est question de dosage: il ne s'agit pas de diaboliser le Transhumanisme qui apporte des progrès précieux, comme par exemple certaines applications biomédicales, ni de nous laisser ébahir et duper; les innovations doivent rester à dimension humaine et ne pas viser l’abandon de l'humain.
La possibilité que ces manipulations puissent aboutir à la création d'une "race supérieure" évoque une page d'histoire qui a semé l'horreur eugénique au siècle dernier.
La prétention d'appartenir à une race dite "supérieure" n'est pas nouvelle et les Africains notamment en ont subi les conséquences. Le Dr Albert Schweitzer respectait les Noirs et leurs traditions; pour saluer son attitude et lui rendre hommage, un disque a été enregistré par des communautés africaines qui ont repris certaines pièces de Bach, que Schweitzer aimait particulièrement jouer, en l’interprétant selon leur culture.
Les Francs-Maçons travaillent de Midi à Minuit, dans le temps de la vie, alors que le transhumanisme prône l'éternité... Sauvegardons l'étincelle qui est en chacun de nous et que rien ne peut remplacer; elle est certes éphémère, mais ce qui est éphémère est inestimable.
La quête d'immortalité existe depuis longtemps (Gilgamesh...) mais est restée un rêve jusqu'à présent.
Si l'espérance de vie tend à augmenter, c'est bien, mais avec quelle qualité de vie?
Pour les Stoïciens déjà, la durée de la vie n'était pas l'essentiel, le "comment vivre" étant plus important.
Et Oscar Wilde de nous souffler: "Il ne faut pas chercher à rajouter des années à sa vie, mais plutôt essayer de rajouter de la vie à ses années."
En tant que Maçons, nous avons appris à mourir sereinement, que faire alors de l'immortalité? N'est-elle pas une utopie? La Sagesse demande que l'on sache s'arrêter, lâcher prise...
Avec le transhumanisme, la science joue-t-elle pour ou contre la civilisation? Quel genre d'homme produira-t-elle?
Et que font nos politiciens devant ce problème? Rien ?
Quand l'emploi des robots sera-t-il fiscalisé?
La Franc-Maçonnerie européenne n'aborde pas suffisamment le sujet du transhumanisme; le colloque d'aujourd'hui pourrait être une ouverture dans cette prise de conscience.
La question se pose aussi de savoir à qui le transhumanisme profite et à qui il est destiné: l'accès aux technologies médicales ne sera pas possible à tous ne serait-ce que pour des raisons financières et de démographie; cela créera donc des inégalités énormes.
Peut-on faire confiance à la sagesse de l'homme pour se modérer?
Le Maçon est par définition une personne qui croit au progrès; dans ce sens, ne sommes-nous pas des Transhumanistes puisque nous travaillons à améliorer l'homme tant sur le plan personnel qu'au niveau du groupe?
Nous humains, créons les outils dont nous avons besoin, pour nous servir, pas pour les servir. Leur usage est délicat et parfois inadéquat d'où la nécessité de poser un cadre et des garde-fous à cause de l'ego, de la cupidité et du goût du pouvoir des créateurs de moyens toujours plus puissants...
Pour cela, il faut garder les consciences éveillées.
Force est de constater qu'actuellement les garde-fous posés ne fonctionnent pas à satisfaction, alors pourquoi aller plus loin encore?
L'humanité est une abstraction, n'existe pas en tant que telle, cette notion collective n'est pas capable de raison, de pensée propre.
Tout ce que j'ai appris à l'école a disparu dévalorisé, dépassé, sauf les humanités, et plus précisément le respect, nous dit un Frère.
On ne peut éviter les transformations du monde, mais nous devrions travailler notre capacité à défendre et renouveler notre civilisation même si la conception de la vie est différente d'une culture à l'autre.
L'Atelier est unanime à souligner l'importance primordiale de l'éducation, du savoir-être, de la culture, du partage de la connaissance, des Arts en général. Il est essentiel de favoriser la créativité dès l'école.
Frédéric Lenoir mène des ateliers philosophiques destinés aux tout-petits dans lesquels ils apprennent à penser par eux-mêmes. Nous aussi, nous pouvons semer des graines de philosophie autour de nous, à nos enfants en particulier.
Socrate ne disait-il pas déjà: "Ou on dirige la cité, ou on transmet"...
Le respect reste le b-a/ba de toute vie en commun, de toute société et cela commence bien évidemment par le respect de soi.
L'importance de la mémoire et de l’identité est également relevée: "Un peuple qui ne connaît pas son passé est condamné à le revivre" pour paraphraser Santayana.
...
Après un débat riche et fécond, nous sommes amenés à conclure et chacun est invité à s'exprimer lors d'un rapide tour de parole:
"Dans votre vie, tout ce que vous ferez sera insignifiant, mais il est très important que vous le fassiez quand même" Gandhi
Et si j'accepte les limites naturelles de la vie sur terre?
Si je dis JE à la place de ON, qu'est-ce que ça change?
La Franc-Maçonnerie est un art de vivre.
Il est important de définir nos valeurs.
Je pense, donc je suis.
J'ai des sentiments, donc je suis (humain).
Le libre-arbitre est fondamental, soyons optimistes avec vigilance.
Qu'est-ce qui fonde ma conscience individuelle et qu'est-ce qui fonde la conscience collective de l'espèce humaine?
Encourageons les Arts à tout prix!
La spiritualité peut-elle nous prévenir des dérives du Transhumanisme?
Le garde-fou doit agir individuellement avant d'être collectif. Sur le plan individuel, il est fondamental de rester sain, tant par la nourriture intellectuelle que par la nourriture physique.
Se concentrer sur la connaissance et la conscience.
L'humain restera éternel par l'esprit et par la connaissance, non par l'enveloppe charnelle.
Oui à la science, non au scientisme!
Gardons l'équilibre et le bon dosage grâce à la conscience.
Il est nécessaire de développer la notion de spiritualité au sein de la cité.
Science sans conscience n'est que ruine de l'âme (Rabelais).
Les efforts sont faits pour développer la capacité des enfants, des tout-petits à réfléchir par eux-mêmes et ça fait du bien!
Pourra-t-on utiliser ces techniques en bien?
Nous pouvons échapper à la dualité du Pavé Mosaïque par le Ternaire pour aboutir à la Spiritualité.
La beauté du visage disparaît, la pureté de l'âme persiste.
Synthèse de l’atelier N°3 : Quelle société demain ?
C’est un effort de l’être humain dans sa tentative de suivre l’effort auquel il s’est astreint pour améliorer ses performances.
C’est une suite logique de la transcendance et de la séparation du cerveau, de l’intellect et des sens, du bon sens quotidien, une conséquence pour l’homme du développement de la Raison.
Le Transhumanisme tend à surmonter nos limites biologiques à l’aide de nos progrès technologiques, mais il inspire aussi la peur car on créée ainsi une transformation qui peut devenir un dogme. C’est donc une évolution de la raison mécanique qui peut être inexorable, destructrice et surtout déshumanisante.
Définition de l’humain
Comme tout ce qui vit, l'etre humain meurt, mais LUI le sait, et mieux vaut rajouter de la vie aux années plutôt que des années à la vie.
L’esprit peut changer si l’on modifie le corps, pour des raisons esthétiques, par exemple. On peut aussi le modifier naturellement, par le sport ou l’alimentation. Il se peut qu’un corps parfait incite à la mégalomanie.
Un robot est programmé et ne peut, selon certains, atteindre le niveau de l’entendement humain ; à quoi on peut aussi opposer aux croyants que leur Dieu, ayant créé l’homme, l’a donc programmé et pourquoi ne pourrait-on y parvenir avec les robots ?
Les limites du Transhumanisme
Le Transhumanisme voit le monde à travers:
- Les nanotechnologies
- La biologie
- L’informatique
- Les sciences cognitives
Si les hommes ne s’entendent pas sur d’éventuelles limites, on peut y parvenir en créant des commissions d’éthique, ou au travers la vie politique, au sens noble du terme, mais il est déjà trop tard selon certains, du fait du niveau auquel le numérique contrôle déjà nos vies.
On manque soit d’humilité ou de prudence vis-à-vis des possibilités existantes, de ce que l’Homme est capable de faire en notre époque.
D’une manière générale, l’avenir du Transhumanisme peut paraitre, à la fois, très sombre et merveilleux.
D’où la nécessité de rester VIGILANT.