"Une nécessité : La reprise des travaux
L’inactivité est en effet un poison lent, la séparation et l’éloignement mettant en place un processus de dissolution des LL∴ et donc de la Maçonnerie qui, si on ne le prévient pas, pourrait devenir irréversible. L’hypothèse d’une disparition semble peu probable, mais celle d’un évidement, d’une perte de substance, toute aussi funeste, ne l’est pas.
Les chantiers qui s’ouvrent devant nous sont immenses et le retour en L∴ est primordial. Dès que cela est envisageable, quand les conditions règlementaires sanitaires l’autorisent, ayons la volonté de reprendre nos travaux afin que le plus grand nombre d’At∴ se réunissent à nouveau régulièrement en Tenue. Il est impératif que nous retrouvions l’enrichissement et le plaisir de la présence physique, certes en responsabilité, en appliquant rigoureusement les mesures
préconisées et les gestes barrières, en acceptant évidemment l’absence des plus fragiles, même en moins grand nombre, mais sous la forme rituelle et selon la méthode maçonnique, et en chair et en os, ce qui est bien le moins pour des Maitres Maçons.
Cependant, cela est encore souvent impossible, et dans ces circonstances exceptionnelles, les instances comme les LL∴ ont dû avoir recours à des solutions alternatives. Même insatisfaisante, la forme dématérialisée nous a ainsi permis de nous retrouver et d’échanger selon de nouveaux modes de réunions qui, malgré leurs limites et bien qu’ils ne remplaceront jamais nos Tenues, offrent de nombreuses possibilités. Ce sont des outils intéressants, simples d’usage et peu
coûteux et, sans tomber dans le piège mortel d’une « télé-maçonnerie » et tout en prisant modérément cette nouvelle langue, prenons acte que, visio-conférence, télétravail, zoom, présentiel et distanciel forment un nouveau lexique d’usage courant.
Avec ces nouveaux supports et malgré de nombreuses réticences initiales, les SS∴ et FF∴ ont pu maintenir des relations, travailler et garder le contact et désormais, ces instruments sont devenus familiers. Même si ces réunions ne peuvent être que profanes et ne remplaceront jamais nos travaux en Tenue, nous ne pouvons réagir en zélotes et refuser tout objet nouveau sous le seul prétexte de sa modernité."
Discours d’installation de Georges SERIGNAC Grand Maître, Président du Conseil de l’Ordre, GRAND ORIENT DE FRANCE CONVENT 6020 16 janvier 2021
Géplu : Georges, que penses-tu de la situation du Grand Orient de France aujourd’hui ? Peux-tu nous faire un état des lieux ?
Georges Serignac : La situation du Grand Orient de France ne peut être disjointe de la situation extérieure. Cette année a été difficile, très particulière avec la crise sanitaire et tout ce qu’elle a engendré, notamment le confinement. L’activité des loges a été empêchée pendant plusieurs mois. Elle a repris temporairement à la rentrée de septembre mais reste restreinte. Aujourd’hui seule une minorité de Loges peut se réunir. De lourds nuages se sont amoncelés et de nombreuses interrogations demeurent pour le futur immédiat. Personne ne peut prédire le déroulement des mois prochains voire même de l’année maçonnique qui s’ouvre. Le GODF est comme un géant assoupi dans un moment suspendu.
Mon action va donc devoir s’adapter à cette situation inhabituelle et tout faire pour que le Grand Orient soit préservé dans toutes ses dimensions, initiatique, philosophique et citoyenne. Pour y parvenir, le grand déterminant sera l’appui et le soutien aux Loges qui sont la seule réalité de la maçonnerie. La préservation de la nature, la grandeur et la spécificité du Grand Orient passe par l’appui, le soutien et le renforcement de ses Loges.
Dans quel état d’esprit abordes-tu la fonction ?
Je suis honoré et heureux d’avoir la confiance et la reconnaissance de mes sœurs et frères, mais je ressens aussi le doute que procure la pleine conscience de la difficulté de la fonction. C’est donc avec humilité et détermination que je l’aborde. Comme je viens de le dire, j’ai une réelle volonté de travailler avec les Loges, en les rencontrant et en m’appuyant sur elles. La rencontre avec les Loges est indispensable pour cette « mise à jour » qui à mon avis est nécessaire sur de très nombreux points qui sont aujourd’hui encore plus aigus avec cette crise. Sachant que le Grand Orient a une histoire, une place importante dans la République et dans le paysage maçonnique qu’il faut préserver, comme il faut préserver sa composante initiatique à laquelle je tiens beaucoup.
Et quelle est cette composante initiatique du Grand Orient de France ?
Elle est essentielle, car elle nous construit et nous fait francs-maçons. Nous perdrions notre essence même en affaiblissant notre pilier initiatique. En nous imprégnant malgré nous par le rituel et l’apport de la fonction symbolique, et ceci vaut pour tous les rites, elle donne un socle autant qu’un cadre à l’émergence d’une pensée individuelle et collective originale. Par sa conjonction indissociable au GODF avec notre pilier philosophique, la liberté de conscience et l’humanisme, et notre pilier républicain, liberté – égalité – fraternité, la dimension initiatique procède de cette alchimie propre à notre obédience qui se perdrait si nous en négligions un des termes.
Quelle définition donnerais-tu du GADLU ?
Personnellement agnostique et profondément attaché à la laïcité, j’aborde ce concept surtout comme un objet historique et de manière symbolique et ouverte, laissant à chacun la possibilité d’avoir sa propre représentation du monde. Qu’on le définisse par la géométrie, la raison, le temps voire le hasard ou que l’on préfère une métaphysique plus religieuse, il ouvre le champ des possibles et réconcilie mystique, connaissance et rationalité.
Quelle expérience as-tu retirée de tes trois premières années au Conseil de l’Ordre ?
Auparavant, il y avait d’abord eu la présidence du Convent à Reims en 2014, qui fut pour moi un moment maçonnique de grande intensité. D’abord dans la préparation du Convent elle-même, qui m’a révélé la capacité d’organisation de l’obédience et la puissance de la volonté quand elle est commune. Ce fut également l’occasion de constater la qualité de notre personnel. Ensuite, la fonction de président du Convent établit un contact étroit avec les près de 1350 représentants des loges, c’est une expérience vraiment exceptionnelle et un moment très fort qui m’a fait ressentir physiquement la force et l’unité du GODF. Cette fonction m’a également permis de constater certaines difficultés administratives sinon bureaucratiques probablement inhérentes à la taille de l’obédience, qui nuisent à sa bonne marche et qu’il faut essayer de gommer.
Concernant les 3 années passées au Conseil de l’Ordre, j’ai beaucoup appris en écoutant et en observant au sein des différentes commissions qui mettent en lumière les nombreux enjeux et soulignent leur complexité qui peut parfois nous perdre. Lors de ces trois ans j’ai participé à de nombreuses tenues et conférences, qui, encore une fois et comme lors du Convent de Reims, m’ont confirmé l’unité et la cohérence du Grand Orient. On est dans un paradoxe qui fait une des richesses de l’obédience avec la coexistence d’une liberté d’opinion, de ton et d’expression, parfois exubérante avec une unité et une cohérence évidente et réelle sur les valeurs et principes fondamentaux.
L’expérience acquise durant ces 3 premières années m’a permis de mieux comprendre la complexité des enjeux et en même temps de mieux percevoir les nombreux et divers paramètres techniques. Ce sont des données qui, dans les prises de décisions futures où là il ne faudra pas avoir la main tremblante pour revenir à ce que l’on disait tout à l’heure, sont importantes. Avec la sœur et les frères de qualité qui composent le Conseil de l’Ordre, nous sommes en effet déterminés à faire de cette crise une opportunité pour le GODF.
Même s’il y a un renouvellement annuel du mandat, ce qui est un fonctionnement démocratique indispensable, j’aurai la possibilité d’être Grand Maître pour une durée de trois ans si les frères et les sœurs en décident ainsi, ce qui permet une continuité dans l’action et donne de la cohérence à notre projet.
Concernant le fonctionnement du conseil lui-même, pour améliorer la transversalité, nous essaierons de travailler en pôles ; le pôle solidarité, le pôle laïcité, le pôle politique internationale, le pôle culture et extériorisation, le pôle finances et immobilier, le pôle relations Interobédientielles et relations avec les juridictions. L’apport des nouveaux outils numériques donnera aux Conseillers de l’Ordre les possibilités d’échanger régulièrement. Le fonctionnement du Conseil doit être plus transversal en interne, c’est un exemple de mise à jour de nos pratiques.
Concernant le Conseil, Jean-Philippe Hubsch estimait que le nombre de Conseillers de l’Ordre était trop élevé et il en aurait bien vu une réduction. Qu’en penses-tu ?
Mon avis n’est pas tranché sur ce sujet. Certains arguments plaident pour le maintien du nombre actuel dans la vision d’une étroite collaboration entre les Loges et les Conseillers de l’Ordre. Celle-ci demande qu’ils se déplacent beaucoup, aillent beaucoup visiter, soient très présents sur le terrain auprès des loges. À l’inverse, si le Conseil de l’Ordre doit se cantonner à un rôle de représentation ou de conseil d’administration qui gère et administre, ils peuvent effectivement être moins nombreux. Comme sur de nombreux dossiers, les paramètres sont nombreux et il faut agir avec discernement. Il y a un travail à faire. Ce travail sera collégial et sans préjugé ni parti pris. Il y a des arguments recevables pour chaque option.
La pandémie a coupé l’élan de plein de manifestations et d’activités lancées par tes prédécesseurs. Les perturbations depuis déjà près de neuf mois font que par exemple les Universités Populaires Maçonniques, créées cette année se sont arrêté à mi-chemin, que les Utopiales n’ont pas eu lieu non plus, ni les Chantiers de la République, etc. Comptes-tu reprendre et relancer ces initiatives ?
Oui, absolument. Les UPM seront reconduites selon les mêmes modalités, c’est-à-dire, une fois par mois un conférencier profane dans un Orient de taille moyenne et en province. De même pour les Chantiers de la République, une conférence organisée une fois par mois à Paris par le Conseil de l’Ordre. D’autre part, comme je l’ai annoncé dans ma planche d’installation, si les conditions le permettent, je voudrais qu’on organise une grande journée d’action qui sera un peu différente des Utopiales dans ses modalités. À une même date, en province, les loges qui le désirent organiseront des extériorisations sur un thème commun, et le même jour le Conseil de l’Ordre organisera un colloque de très grande envergure.
Je voudrais aussi, dans l’après Covid et suite au livre blanc « Après », poursuivre la réflexion entamée et en faire un fil rouge. C’est-à-dire que les loges du Grand Orient travaillent dans la durée sur une certaine réinvention du monde, sur une réorganisation en profondeur de la société. La refonte de l’organisation de la société est maintenant une exigence quasiment publique. Contrairement aux politiques qui continuent à gérer ça de la même façon avec les vieux systèmes, la société civile bouge de plus en plus, craque même, les gilets jaunes en ont été un exemple. Il y a une mise sous cloche actuellement avec la pandémie, mais elle n’est que temporaire et quand la vie normale reprendra son cours, il m’apparaît souhaitable que nous ayons une réflexion sur ces questions. Il y a un travail important qui a déjà été fait avec la réflexion des loges sur le Livre Blanc mais il est important de le poursuivre et l’approfondir, comme cela a été fait par exemple sur le revenu universel depuis une quinzaine d’années. Donc je voudrais en faire un fil rouge, et la journée nationale d’action sur ce grand thème pourrait être l’acte fondateur de ce grand chantier des mois et des années prochaines.
Un autre chantier me tient à cœur, ce sont les journées Jean Zay sur l’école, qui est un événement qui n’a pas assez de rayonnement. L’éducation est un sujet essentiel. Et s’il va y avoir encore bien sûr au Conseil de l’Ordre un grand officier chargé de l’école, je vais proposer à un Conseiller de l’Ordre d’entreprendre un travail sur l’Université dont l’évolution devient, année après année, un problème majeur dans notre pays.
Dans les grands points que je veux soutenir et auxquels je veux donner plus de visibilité, il y a aussi la culture. Je pense que le Grand Orient doit faire plus pour la promotion, la défense et l’accession à l’art et à la culture. L’accession à la littérature, au théâtre, à la peinture, à la musique est, comme l’éducation, absolument essentielle. Les musées, les théâtres et les salles de concert qui restent fermés, telle une variable d’ajustement, sont un signifiant majeur de ce qu’est en train de devenir notre société. Un des rôles de la franc-maçonnerie et en particulier du Grand Orient de France est d’être en pointe sur ces sujets. Ces actions dans les domaines de la culture et de l’éducation sont évidemment sous-tendues par la laïcité qui détermine toujours le fond de notre projet et pour laquelle nous poursuivrons toutes les actions qu’effectue jour après jour, année après année, le GODF.
Un autre point essentiel c’est la solidarité. Le budget qui est alloué à l’INSM pour cette année a été fortement augmenté par le Convent sur proposition du Conseil de l’Ordre descendant et de son Passé Grand Maître J.P. Hubsch, car les besoins risquent d’être en forte augmentation cette année. C’est bien sûr l’INSM qui sera en première ligne, mais le Conseil de l’Ordre sera à leur côté pour les soutenir à chaque fois que ce sera nécessaire. Avec le Grand Hospitalier nous allons essayer de développer de nouveaux outils d’entraide pour les frères et les sœurs qui ont des problèmes de santé, de logement, de dépendance.
Concernant la Fondation je voudrais qu’elle ait aussi un peu plus de visibilité. Elle fait un excellent travail et cette solidarité avec le monde profane mérite d’être mieux connue et reconnue par nos sœurs et nos frères.
Un dernier mot peut-être avec la politique internationale que tu souhaites mettre en œuvre ?
Nous ne pouvons aujourd’hui nous contenter d’une pensée réduite géographiquement dans un monde devenu un village planétaire. Il y aura évidemment un Grand Secrétaire aux Affaires Extérieures et un GSAE adjoint, mais il y aura aussi un grand officier par grande région géographique. C’est-à-dire un pour l’Afrique-Moyen Orient, un pour l’Amérique-Caraïbes, un pour l’Océan indien-Pacifique et un pour l’Europe. Nous appliquerons les décisions du Convent votées sans ambiguïté pour un développement, quand et là où c’est nécessaire, de Loges du Grand Orient à l’étranger. Je soutiendrai cette politique sans équivoque, le Convent ayant voté clairement en ce sens plusieurs années de suite. Il traduit la volonté des loges, et le Conseil de l’Ordre est là pour exécuter ces volontés exprimées.
* la planche d’installation du Grand Maître, à laquelle il est plusieurs fois fait référence dans l’interview est disponible, pour les membres du GODF, sur le portail de l’obédience.
mardi 19 janvier 2021