Cette année, le convent du Grand Orient a eu lieu à Zoug grâce à l’excellent travail de nos FF de la RL Libertas et Progressus qui nous ont créé un environnement idéal.
On s’est senti tous – incluant les Illustres dignitaires de tant d‘Ordres amis qui nous ont honoré de leur présence – authentiquement ensemble dans une chaîne d’union des bonnes volontés, par delà des frontières, cultures et spiritualités.
Le discours du Grand Maître et les salutations de nos invités sont venues du fond du cœur. Oui, on est tous d’accord : le rôle de la Franc-maçonnerie est partout d’améliorer la condition humaine, la dignité et la concorde. Nous nous levons, tous comme un, pour défendre les démocraties, pour endiguer la contagion de la nouvelle bête totalitaire qui attise les fanatismes et la violence.
Discours du Grand Maître Alexandre Rauzy :
(Auf Deutsch hier clicken)
Dignitaires qui nous faites l’honneur d’être des nôtres ce midi, mes Sœurs et mes Frères en vos grades et qualités:
Une des grandes questions qui ne cesse de m’habiter depuis mon initiation, est celle de l’identité. La première interrogation du franc-maçon, comme du philosophe, est bien: qui suis-je?
Et là, plusieurs pistes de réflexion s’offrent à nous:
Qui suis-je dans mon parcours initiatique? Qui je deviens? Autrement dit, qu’est-ce qui a changé en moi depuis les premières minutes de mon initiation jusqu’à aujourd’hui? Qui sommes-nous en tant que membre d’un atelier qui a une identité propre? En tant qu’obédience? En tant que franc-maçons?
Comme des cercles qui s’inscrivent dans d’autres cercles il y a le moi, la loge, l’obédience, la franc-maçonnerie universelle, le monde profane… Et quand je dis le moi, suis-je en train de parler du moi maçonnique ou du moi profane? D’ailleurs, sont-ils distincts, ou devraient-ils l’être?
Questions multiples, pour une seule question essentielle: celle de l’identité…
Ne faut-il pas au préalable savoir qui on est, pour savoir qui on veut devenir, autrement dit vers quoi on tend, et enfin déboucher sur la problématique de l’action, à savoir du projet? Dis-moi qui tu es, et je te dirai ce que tu dois faire…
La question de l’identité est une propédeutique à celle du devoir…
Ce midi, je vous propose d’examiner le rapport entre l’essentiel et le dérisoire…
La maçonnerie n’est-elle pas un jeu de rôles à la fois essentiel et dérisoire? Ou alors comme disait si bien un de nos passés Grand Maître, un jeu dérisoire qu’il faut jouer avec le plus grand sérieux ?
N’est-elle pas à ce titre un microcosme qui est le reflet d’un macrocosme: le monde?
Qui suis-je? Si ce n’est un être étrange qui de tenue en tenue, se livre à un jeu de rôles venu d’on ne sait où, écrit par on ne sait qui…. Jeu de rôle où le simple laboureur dans la vie profane peut devenir prince, une fois le rideau levé, pardon les travaux ouverts, et où le prince est réduit au silence, dans l’enceinte sacrée.
Et c’est justement ce concept de jeu qui est ambivalent. La tragédie grecque n’est elle pas le modèle d’un jeu de rôle qui traduit l’essentiel de la complexité humaine?
Et la maçonnerie?
Peut-être qu’une des phrases les plus riches de notre rituel est « Tout est symbole ».
Dans le vide profane, le symbolique est synonyme d’illusoire immatériel. Ici aussi, en un certain sens, y compris et surtout nos grades et qualités. Les dignitaires qui m’entourent et moi-même n’avons que des titres et des fonctions éphémères. Et seulement si nous avons compris cela, nous sommes à la juste place…
Le mandat du Grand Maître ne peut dépasser trois ans, et ensuite? Il sera « Passé », c’est à dire celui qui fût mais qui n’est plus. Et s’il a conservé quelques traces de son prestige d’antan, le « Passé » poursuit son destin, qu’il partage avec l’apprenti: un parcours de travail incessant, suivi par le déclin, jusqu'au passage à l’orient éternel, à moins que le grand départ ne soit précipité par un accident… « Dès qu’un homme est né, il est assez vieux pour mourir » disait Heidegger…
Premièrement, ce destin tragique devrait nous rappeler à chaque instant la juste, l’étonnante valeur de chaque moment de notre existence: « Carpe Diem » clamait le poète latin Horace pour signifier qu’il faut profiter du jour présent… et faire de notre mieux, chaque jour.
Deuxièmement, ce que devrait surtout nous rappeler notre tragique condition, c’est qu’il est primordial de laisser nos passions, autant de faiblesses, à la porte du temple!
Deux passions nous minent principalement: la passion du pouvoir, et celle de l’égo!
Dans « La République » Socrate estimait que les mieux placés pour gouverner sont ceux qui n’ont aucun goût pour le pouvoir mais plutôt un sens du devoir. La société profane nous fait croire qu’on a besoin de dirigeants, pour nous forcer au travail. Un Grand Maître ou un Vénérable Maître ne doivent pas être des leaders dans le sens profane, ils doivent plutôt avoir compris notre identité, compris nos valeurs, compris notre projet. Suffisamment pour avoir la foi et la transmettre. Celle inébranlable et pure du charbonnier. Celle qui donne du courage aux découragés, de l’espoir aux désabusés, de l’enthousiasme aux grincheux. Celle qui va transformer ceux qui brûlent de saper les fondations, en bâtisseurs du meilleur… La maçonnerie est une grande école…
Et que dire de la passion de soi? Cet amour narcissique qui nous empêche de voir que notre ego est bien dérisoire eu égard à l’ambition de notre chantier. « Vanité, tout n’est que vanité, disait l’Ecclésiaste ». Cette passion de soi, qui nous pousse dans le monde profane à une course effrénée dans une cage d’écureuil, pour avoir le sentiment d’avoir réussi sa vie selon des normes matérialistes, n’a pas de sens ici.
Ces deux passions, du pouvoir et de soi, se conjuguent à merveille dans le goût pour le paraître. « Les ânes préféreraient la paille à l’or » disait Héraclite… C’est pour cela que je ne dois pas condamner trop hâtivement ceux que je juge à tors ou à raison, trop superficiels, aujourd’hui on dit plus facilement bling bling. Je ne dois pas juger mon frère, Je dois comprendre qu’il commet une confusion de valeurs, et qu’il est victime de ses passions. On ne juge pas une victime, on l’aide.
Mais notre microcosme, qui mime le macrocosme qui nous entoure à l’aide d’une forêt de symboles, n’est pas un champ de désespoir qui dénonce le « dérisoire », de l’homme rongé par l’ambition et l’égocentrisme. Le symbole questionne le monde profane, comme il nous questionne nous-mêmes, mais il est à la fois le lanceur d’alerte et la thérapie. Le symbole nous montre que ce monde est dérisoire, que les hommes eux-mêmes le sont, mais en même temps il nous montre que l’essentiel est dans la valeur des idéaux qui nous rassemblent et dans la qualité de nos actes. Les hommes sont fragiles et corrompus, pourtant la cause est belle et digne.
Dignitaires, mes TTCCSS, mes TTCCCFF, il y a un an déjà je prenais mes fonctions le lendemain du drame du Bataclan et des multiples attentats qui ont ensanglanté Paris le même jour, et je dénonçais la barbarie issue du fanatisme; aujourd’hui le monde se porte-t-il mieux qu’il y a un an?
Depuis, il y a eu le 14 Juillet à Nice, étape supplémentaire dans l’escalade à l’inhumanité, et bien d’autres reculs de l’idéal démocratique dans le monde, mais en même temps que le mal absolu il y a l’antidote, à savoir le rapprochement de tous les hommes de bonne volonté.
Dans le monde maçonnique je me félicite que les divergences de sensibilité qui cloisonnent les obédiences s’atténuent. Certes les spécificités demeurent, mais les obédiences parlent d’une seule voix lorsque nos idéaux sont menacés. Les obédiences spiritualistes parlent d’engagement dans le monde profane. Les obédiences souvent engagées dans la vie publique parlent de spiritualité. De plus en plus de frères se détachent des querelles de clochers, dérisoires s’il en est, pour réfléchir sur les grandes questions de notre temps: l’extrémisme religieux, la problématique des réfugiés, le transhumanisme, l’euthanasie, le racisme, l’homophobie et toute autre forme d’intolérance, l’épuisement au travail, la mutation technologique de ce 21ème siècle…
Parallèlement, dans le monde profane, les partis politiques ont unanimement condamné chaque atteinte à la démocratie et on a vu de belles images de partage fraternel lors de diverses manifestations. Pourvu que cela dure…
Finalement, c’est au plus profond de l’obscurité que jaillit la lumière…
Bien entendu, il faudra être vigilant, mes frères, car à chaque instant l’homme doit échapper à l’emprise des passions qui l’éloigne de son frère. C’est un combat de tous les instants, de l’homme sur lui-même, de l’homme pour l’homme, de l’homme pour un idéal…
Alors méditons la formule de Meissonier:
“Au-dessus de la matière, il y a la pensée ; au-dessus de la pensée, il y a l’idéal.”
J’ai dit.
Alexandre Rauzy, Grand Maître du grand Orient de Suisse. Convent GOS, Zug, 12/11/2016
Une Franc-maçonnerie, consubstantielle à la démocratie
Freimaurerei und Demokratie sind von derselben Substanz (Auf Deutsch hier clicken)
En quelques minutes, j’espère vous dire, simplement, ce qui me fait rester maçon, toujours optimiste après quelque 35 ans dans ma loge. C’est que je continue de croire que la FM sert vraiment une cause plus haute que d’impartir des flatteries illusoires à des gens en mal d’identité et de reconnaissance, ou demandeurs d’une foi plus large d’esprit que celle fournie par les églises et les mouvements politiques. Je crois toujours que par la belle utopie que nous pratiquons, nous apportons une pierre modeste mais vraie à l’édifice d’une humanité plus civilisée et plus généreuse. Laissez-moi rêver !
Je crois que la Franc-maçonnerie, en tout cas la Maçonnerie du Grand Orient de Suisse, telle que je la vis, a vocation de servir la démocratie occidentale, celle que les Maçons de l’époque des Lumières ont aidé à éclore dés le dix huitième siècle. Partout, la Franc-maçonnerie de nos jours est de la même substance que la démocratie. Elle est une graine de démocratie.
Quel rêveur, quel angélisme ! Vous allez dire ! Il confond l’utopie, le psychodrame, les mots du rituel, avec la réalité qui nous inquiète tous, ou l’homme redevient un loup pour l’homme, ou le plus fort gagne, ou l’argent est devenu la mesure de toute chose, même de la vie. N’est-il pas vrai que malgré toute aspiration sélective de recruter les meilleures volontés, la maçonnerie reste un microcosme de la société qui l’entoure avec ses contradictions? N’est-il pas vrai que de mauvais compagnons nous hantent, que les orgueils et les cordons nous suffoquent, que les dogmatismes et les exclusions renaissent sans cesse comme les têtes d’une hydre? N’est-il pas vrai que le rejet qui snobe semble plus fort que la fraternité?
Rassurez-vous, j’en suis conscient.
Pourtant, et ceci est la seule proposition que je vous présente en ce jour solennel, je trouve que oui, la Franc-maçonnerie que je vis, a vocation inhérente de servir et de défendre notre civilisation, notre pays, la démocratie Suisse. C’est pour cela que je suis encore Franc- maçon.
Nos mystères d’initiation, nos grades, les mythes bibliques et les hiérarchies chevaleresques qui sont nos symboles, ne nous empêchent en rien d’être égaux en tant que frères. L’autorité est chez nous librement consentie, de même que la discipline de nos travaux. Les velléités dominatrices qui perdent le bon sens l’apprennent à leurs frais.
Le microcosme qui est l’union de loges libres fédères dans le Grand Orient de Suisse est, par sa structure, son climat et par sa méthode maçonnique partagée, un « modèle réduit » de la démocratie Helvétique. Nous ne sommes pas une union de cantons mais une confédération de rites fièrement divers, autonomes et pourtant capables de coexister, de nous respecter réciproquement, et de composer un tout, un temple spacieux et accueillant de la franc-maçonnerie libérale. J’ose dire que c’est notre avantage compétitif.
Je crois, en toute humilité, que la société profane autour, a des choses à apprendre de notre pratique. Nous vivons un exemple, des savoir-faire, des solutions, à faire rayonner en sortant de nos ateliers.
Imaginez une société civile ou des gens complètement différents - en foi religieuse ou athée, en conviction politique, état social, éducation, ethnie - seraient capables et habitués à se parler sereinement, à tour de rôle, à s’écouter réciproquement, poliment, avec bienveillance, tolérants, surtout quand ils ne sont pas du même avis. Même à apprendre les uns des autres ! Voyez-les s’habituer à tomber d’accord paisiblement à ne pas tomber d’accord. Imaginez des citoyens-frères, qui de leur apprentissage à l’école et durant leur vie, adopteraient pour but de devenir meilleurs, de chercher librement leur choix de vie spirituelle pour s’élever plus haut que la bête plus haut que la routine de la survie, du travail et de la perpétuation de l’espèce. Imaginez un tel monde bigarré, qui est devenu le notre, même dans la tranquille Suisse, prenant l’habitude de se respecter, mutuellement, de se faire confiance, rassurés par la constance de rituels civils qu’ils connaissent et savent pratiquer, sur lesquels on peut compter, par lesquels les promesses d’un contrat social sont tenues, ou les gens se sentent en sécurité et même solidaires. Oui, là j’idéalise franchement, connaisseurs de la Real-politik, soyez indulgents !
Imaginez une société plurielle qui partage les mêmes symboles tout en respectant l’altérité des traditions, des personnalités et des intérêts. Imaginez une démocratie du respect – de soi-même et de la dignité, égale, d’autrui – la seule racine commune de toute démocratie, plus profonde que le vote, la représentation et les lois politiquement correctes. Imaginez une société profane dont la philosophie serait le bon sens, celui qui permet à chacun, sans exclusion, de juger et de s’exprimer librement, pour participer au lieu de s’abstenir.
Vous voyez ou je veux venir. Cette société existe et fonctionne dans nos loges, dommage que nous la cachons trop bien sous notre secret maçonnique. C’est ce que nous sommes – une démocratie par le respect mutuel. Une démocratie des spiritualités dans leur diversité.
Vous pensez peut être que j’exagère fortement avec ma description de notre utopie fraternelle vécue. Il est bien vrai que nous n’échappons pas à notre nature trop humaine, que l’imperfection tache nos gants blancs, que la tartufferie, l’ignominie, l’envie et la haine, se faufilent des fois parmi nous. C’est vrai. Et pourtant…nous voilà toujours ensemble, année après année, toujours en train de tailler notre pierre pour ériger des cathédrales spirituelles qui nous dépassent et qui nous tirent vers le haut. N’avez-vous tous vu de vos yeux tant de pierres brutes polies – d’autrui et la notre propre - après seulement quelques années en Loge ?
J’espère être clair : nous vivons déjà la preuve qu’une telle organisation, une telle société, est possible malgré tous les défauts rencontrés. Ce que nous devons faire mieux, est de propager notre méthode, avec diplomatie, dans la vie de chaque jour.
(I. T, Convent G:.O:.S:., Zug, 12/11/2016)