Cet entretien, réalisé par nos confrères du Magazine Alpina (GLSA) 4/2022, publié aussi par Hiram.be, et que nous reprenons avec la permission des auteurs, nous semble significatif pour nos lecteurs dans cette époque ou la Franc-maçonnerie, cette "école de l'esprit" cherche à s'inscrire dans la modernité. Pourtant, comme le dit si bien la G.M. Nicola, le meilleur outil de communication que nous avons, consiste à être fier d'être Franc-maçon.
Comment conçois-tu ta fonction de Grand Maître ?
Je me considère comme le gardien de la Tradition maçonnique, en l’occurrence celle de la Grande Loge Suisse Alpina dans sa dimension exotérique. Je vais appliquer à la lettre les huit Principes généraux de sa Constitution et je souhaite que les Frères de nos 87 Loges les respectent également.
J’accorde de l’importance en particulier au deuxième Principe qui explique que « les Francs-maçons se reconnaissent comme Frères et considèrent leur alliance comme une alliance de Frères. Ils savent aussi que tous les hommes, quelle que soit la différence de leurs talents ou de leur position sociale, sont nés avec les mêmes droits et les mêmes devoirs. Se souvenant que cette vérité est souvent méconnue dans la vie, ils estiment par conséquent qu’il est de leur devoir d’entretenir et de fortifier parmi eux d’abord, puis parmi les autres hommes, des sentiments de fraternité et d’égalité ». Le quatrième Principe retient aussi mon attention ; il énonce que « l’Alliance maçonnique travaille à la Gloire du Grand Architecte de l’Univers. Elle affirme la liberté de conscience, de croyance et de pensée, et repousse toute entrave à ces libertés. Elle respecte toutes les convictions sincères et réprouve toute opposition à la liberté de pensée (…) ». C’est encore le cas du septième Principe qui stipule que « l’Alliance maçonnique admet dans son sein des hommes libres et de bonnes mœurs qui s’unissent fraternellement pour travailler à leur perfectionnement. Elle le fait sans distinction de croyance, d’ethnie, de nationalité, de parti politique ou de position sociale (…) ».
Enfin, je tiens à souligner que notre Obédience regroupe certes des hommes libres, mais des hommes… Par conséquent, je ne suis pas favorable à la mixité des Loges, mais je reste ouvert à la collaboration avec les Sœurs dans des secteurs spécifiques.
Quels objectifs espères-tu atteindre durant ton mandat de quatre ans ?
Avant tout, il y a la continuité : je poursuivrai l’œuvre du précédent Comité Directeur dirigé par le F∴ Dominique Juilland, son Collège des Grands Officiers et notre Chancelier, notamment. Autrement dit, je reconduirai tous les chantiers ouverts avec la ferme volonté de les finaliser, et en tous cas de les faire progresser de manière significative.
Parmi certains objectifs fixés, j’entends réviser une poignée d’articles de notre Constitution et la simplifier dans sa globalité, comme l’Assemblée des Vénérables Maîtres et des Maîtres Députés l’a souhaité en octobre 2021. Par exemple, je trouve que les membres du Comité Directeur ne doivent pas être ex officio membres du Collège des Grands Officiers. Je suis d’avis que les compétences entre les deux organes doivent être séparées pour éviter tous conflits d’intérêts. D’un côté, le Collège des Grands Officiers fonctionnerait comme une sorte de Conseil d’administration et organe de contrôle, tandis que l’autre, le Comité Directeur serait l’organe exécutif responsable de la stratégie générale de la GLSA. Il faut également donner un fondement juridique solide à nos assemblées et réunions tenues en virtuel.
Je vais aussi m’atteler à mettre un terme à l’hémorragie des démissions de notre Obédience, surtout des jeunes Maîtres qui quittent les Loges parce qu’ils n’y trouvent ni la fraternité ni la concorde que nous leur avons promises lors de leur Initiation. Je vais également rappeler le huitième Principe de notre Constitution aux Frères qui entretiennent ou provoquent des discordes étant la source de tant de sorties. Il précise, entre autres, que « les Maçons doivent s’employer à défendre de leur mieux l’honneur et les intérêts de leur Loge ». Je projette encore d’instaurer un véritable dialogue au sein et entre les Girons de nos quatre régions linguistiques, dans le but de concrétiser des projets communs, par exemple dans la bienfaisance, dans lesquels chaque Frère de la GLSA pourra apporter sa pierre.
Selon toi, quel est le meilleur outil de communication de la GLSA ?
J’estime qu’il consiste à être fier d’ être Franc-Maçon! La Franc-maçonnerie helvétique est un sujet de fierté si l’on tient compte de son histoire et de la participation active des Frères à de nombreuses avancées et réalisations sociales. Je pense que les Francs-maçons doivent davantage s’exposer dans la société pour faire mieux connaître les valeurs qu’ils défendent et les actions bienfaitrices qu’ils entreprennent.
Au chapitre des outils de communication, j’imagine entre autres initiatives que, à l’instar de nos Frères anglais de la Grande Loge Unie d’Angleterre, nous pourrions organiser des présentations de la Franc-maçonnerie et de notre Obédience dans les universités, les hautes écoles et les écoles professionnelles. Elles pourraient se faire en commun par exemple avec la Grande Loge Féminine de Suisse pour exposer notre philosophie, notre démarche et nos valeurs communes. Et puis je rappelle que notre Musée maçonnique sert à mieux faire connaître nos valeurs aux profanes.
La GLSA va-t-elle continuer d’agir en faveur du peuple ukrainien ?
L’agression brutale de l’Ukraine par la Russie nous a fait voir que les mots Liberté et Droits universels de l’Homme sont encore capables de mobiliser hommes et femmes dans un monde que l’on considérait comme une proie facile des régimes antidémocratiques, une thématique si à la mode aujourd’hui. La GLSA va continuer les actions commencées par le précédent Comité Directeur. En d’autres termes, elle répondra favorablement aux demandes financières de la Grande Loge d’Ukraine et appuiera toutes les initiatives prises par nos Loges. Je pense également que toutes les compétences professionnelles réunies dans nos Loges pourraient servir à aider les familles ukrainiennes à mieux s’intégrer dans nos différents systèmes scolaires cantonaux. Dans ce contexte, la Grande Loge pourrait centraliser les demandes, y compris celles relatives à la recherche d’un emploi et à l’obtention d’une bourse, pour améliorer les chances des jeunes réfugiés dans le monde du travail.
Certains Francs-maçons considèrent souvent que le désenchantement caractérise notre époque. La perte d’idéal est-elle l’une de ses principales caractéristiques ?
Je ne crois pas qu’il existe un désenchantement, une perte d’idéal au sein de notre société, si je me réfère à mes expériences et contacts avec mes étudiants. En effet, j’ai souvent constaté que cette jeunesse se passionne pour toutes solutions scientifiques et techniques cherchant à améliorer la condition humaine. Plus que le salaire, le confort matériel ou la position académique, c’est l’intérêt pour leurs activités de recherche qui les stimule.
Pour ma part, j’identifie la Franc-maçonnerie à une école de l’esprit qui travaille sur l’universalité et la construction du Temple de l’Humanité. Dans nos Loges, les Frères ont l’occasion de réfléchir et de débattre, avec respect et tolérance, sur le rôle que peuvent jouer les Francs-maçons et l’idéal qu’ils peuvent défendre dans des problématiques sociétales comme le fossé grandissant entre les nantis et les démunis, la puissance énorme des conglomérats détenteurs des technologies clefs de l’informatique, le danger de l’intelligence artificielle ou de l’homme augmenté par la génétique. Fritz Zwicky, un grand scientifique de la physique suisse né en 1898 et décédé en 1974, écrivait que tous rêvent d’un « monde propre », c’est-à-dire un monde où chacun réalise son « génie » et respecte sans arrière-pensées l’individualité de l’autre, considérée comme unique, incomparable et irremplaçable. En effet, la réalisation de son propre « génie », le respect de l’autre et surtout de son individualité effectivement unique, incomparable et irremplaçable sont les trois conditions de l’épanouissement des Francs-maçons. C’est ce que j’appelle l’utopie maçonnique.
Quels liens établis-tu entre la recherche et la pratique des algorithmes ou le développement de l’informatique, des domaines qui ont concerné ta profession, et la Franc-maçonnerie qui suit une voie initiatique ?
La base de toute recherche scientifique est la mathématique. Il existe deux questions que les scientifiques se posent depuis longtemps : d’une part, pourquoi le langage mathématique est-il si efficace pour comprendre la Nature ? Et, d’autre part, est-ce que le mathématicien découvre ou invente les structures mathématiques qu’il étudie ? La première question est sans réponse claire. La deuxième, si l’on prend la première alternative, donc la découverte, assume implicitement que les objets mathématiques se trouvent quelque part depuis un time immemorial. Ainsi, on finit dans le monde des idées de Platon. Et c’est la surprise : la majorité des grands mathématiciens sont dans ce sens des platoniciens. Dès lors, la transcendance maçonnique se trouve en très bonne compagnie !