L’auteur nous a confié cette planche présentée il y a plusieurs années, qui s’inspire et résume sa lecture du notoire livre de Claude Guillon et Yves le Bonniec, interdit à l’époque et devenu introuvable. Par souci de ne pas nuire, nous incluons cette intéressante réflexion dans l'espace privé, réservé aux membres. Un sujet douloureux ne perd pas sa gravité avec les années. Certains d’entre nous peuvent être choqués, d’autres militent pour la liberté de choix. Tous ont droit au respect de leur conviction. Le débat sur le suicide et le droit au suicide dans certains cas, comme partie de la dignité humaine ne perd pas son actualité, au contraire il a beaucoup avancé. Voir pour 2017 http://www.exit-geneve.ch/
Bien qu'informé par ses soins de cette hypothèse, je l'avais reçue légèrement sans m'inquiéter outre mesure de ce que je considérais comme une incongruité, comme l'expression d'une dépression passagère, comme inenvisageable ; aussi fus-je peiné, atterré, mais surtout culpabilisé de n'avoir pas pris au sérieux cet appel au secours et de lui avoir seulement rappelé son devoir de responsabilité à l'égard de sa famille, sans m'inquiéter outre mesure de l'impact de mes propos conventionnels.
En tout état de cause, quelles que soient ses raisons, elles sont toutes à mes yeux légitimes parce que sincères au point d'avoir motivé cette issue funeste. Je suis particulièrement sourcilleux quant au respect absolu de la Liberté individuelle, et cette action en est la manifestation la plus extrême.
Je développerais plus avant cette opinion, mais je tenais d'ores et déjà à préciser formellement que ce travail n'a aucune valeur de jugement en quoi que ce soit et à l'égard de qui que ce soit et n'en aucun cas une prise de position en ce domaine ô combien personnel ou toutes les opinions sont respectables et doivent être respectées. Néanmoins, j'ai naturellement la mienne, bien entendu.
Ce meurtre de soi-même entraînait en France en 1989 (l'Institut spécialisé de dispose que des statistiques de cette époque) 11'152 décès répartis en 7'944 Hommes et 3'208 Femmes d'où une première observation que développerait plus avant cette proportion 2/3 - 1/3 se vérifie également en Suisse.
Deuxième observation, j'aurais souhaité disposer de chiffres originaires de Pays à niveau de vie inférieur afin de savoir s'il y a corrélation entre l'aisance matérielle et la fréquence des suicides, mais je n'ai pas pu me les procurer, vous ne disposez donc que des statistiques Suisses actualisés dont les chiffres intéressants seront analysés plus tard.
Ainsi sur un plan pratique des milliers d'heures de vie sont perdues ainsi que des dizaines de milliers d'autres après des tentatives ayant échouées. Les séquelles physiques et psychologiques sont également difficilement quantifiables, mais sont néanmoins à prendre en compte dans cette approche peut être trop pragmatique d'une situation douloureuse.
Que dit le dictionnaire à propos de ce mot qui aurait été utilisé pour la première fois en 1737 par l'Abbé Desfontaines, je cite :
"Action de causer volontairement sa propre Mort (ou de la tenter) pour échapper à une situation psychologique intolérable, lorsque cet acte dans l'esprit de celui qui le commet doit entraîner à coup sûr la Mort"
Cette définition est exacte mais incomplète et orientée, ce n'est pas que cela le fait d'attenter à ses jours; Sénèque et Van Gogh en portent témoignage, l'un discutait calmement avec ses disciples pendant qu'un médecin surveillait la Vie qui s'écoulait de ses veines, l'autre souhaitait découvrir ce qu'il était et qui il était.
Je cite la cruelle information parue dans les journaux du 04 Avril 1794 "Marie, Jean, Antoine, Nicolas Caritat Marquis de Condorcet, né le 17 septembre 1743 à Ribemont en Picardie s'est empoisonné dans sa prison de Bourg-la-Reine. En pénétrant dans sa cellule hier matin on le trouva mort d'avoir absorbé le contenu de sa bague. »
Ce qui témoigne à conséquence égale: la Mort, de l'extraordinaire pluralité des causes, il n'y a pas un suicide mais des suicides.
Selon les époques et selon les Pays, les réactions qu'ont suscitées dans l'opinion ces actes désespérés ont été diversement appréhendées. Il est une certitude seule, c'est que de tout temps les Hommes ont revendiqué et exercé sur eux-mêmes le Droit de Vie ou de Mort. Rapidement nous pouvons remonter l'Histoire et connaître les facteurs qui, dans un groupe social donné ont poussé les Hommes à mettre fin à leurs jours.
En Asie, aux Indes, sous l'influence du Brahmanisme, les Sages à la recherche du Nîrvanâ se supprimaient fréquemment au cours de Fêtes religieuses dans une démarche hystérique de recherche de perfection.
En Asie toujours, cinq cents disciples de Confucius se précipitèrent à la mer afin de protester (?) contre la destruction de ses livres; des croyants au Japon se suicidaient pour rejoindre leurs divinités et le Samouraïs avaient le privilège de pouvoir se faire seppuku inscrit dans leur code d'honneur.
Pour rester dans le domaine religieux, il est à noter aussi que le Christ accepta sa crucifixion d'une manière délibérée alors que selon les Textes il disposait de la possibilité se s'y soustraire étant d'essence divine "Personne ne m'enlève la Vie, je la livre moi même" fait dire au Christ St Jean l'Evangéliste.
En Grèce, à Athènes, on craignait la puissance de l'Homme qui se permettait de disposer à son gré de sa propre existence; par crainte et par défiance à son égard et de ses instincts meurtriers, l'on enterrait bien loin la main qui était censé avoir tenue l'arme.
Les stoïciens sous l'influence de Platon faisaient peu de cas de la Vie: " On sort de la Vie avec autant de satisfaction que d'une pièce enfumée" - Ils ne furent pourtant pas des partisans inconditionnels du suicide comme l'était Diogène.
Parmi les cyniques, Hegesias surnommé "Pisathanaste" "Pousse au suicide" méritait son surnom; il professait une telle apologie du suicide que ses disciples se supprimaient à l'issue de ses réunions.
Parce que le Droit Français en est l'héritier direct, le Droit Romain est intéressant; à Rome, dans la période décadente, les suicides furent nombreux; les philosophes y jouèrent un rôle; Sénèque, compromis dans un complot se supprime en disant "Penser à la Mort c'est penser à la Liberté»; son neveu Lucain, pour crime de lèse-Néron et de lâcheté à l'égard de sa mère préféra se détruire en déclamant des vers ; quant à Marc Aurèle Empereur et philosophe il écrivait :
"Tu t'es embarqué, tu as navigué, tu as accosté, débarque si c'est pour entrer dans une autre Vie (...) tu cesseras d'avoir à supporter les peines et les plaisirs, d'être asservi à une enveloppe d'autant plus vile qu'est noble la partie de ton Être qui est en servitude. L'Une est intelligence et Divinité, l'Autre Terre et Sang mêlés de boue"
Le suicide n'était pas à l'origine juridiquement condamné en tant que tel, abstraction faite de certaines modalités. D'après les textes du Digeste (recueil de décisions des jurisconsultes composé par ordre le l'Empereur Justinien), il y a deux catégories de suicides les "innocents" et les "inexcusables" parmi ces derniers les militaires qui ne s'appartenaient pas mais étaient la propriété de l’État, et les prévenus qui en cours d'instruction tiraient leur révérence sans crier gare ce qui était un camouflet à l'Autorité. Dans tous ces cas les biens des coupables étaient confisqués par l’État.
Le suicide par conviction philosophique, le dégoût de vivre, la souffrance la maladie incurable étaient excusables pour les civils ; mais seuls la folie furieuse et le désespoir dû à la honte l'étaient pour les militaires. En Germanie, l'on se suicidait entre amis à la fin du repas.
L’Église après exaltation du martyre durant les premiers siècles qui valait un blanc-seing pour le Royaume des Cieux, au IV° siècle change brutalement de démarche et criminalise le suicide; St Augustin s'avise de démontrer qu'il s'agit d'une perversion détestable et que le "Tu ne tueras point" s'applique à soi même ; à la notion de "suicide victime" se substitue la notion de "suicide-crime".
Au Moyen Age il est condamné par le Droit Canon, seul gardien vigilant de la discipline morale, St Louis établit les premières peines laïques, il y en eut peu au V & VI° siècle.
Au XII° & XIII siècle, le Catharisme engendre le "Suicide sacré", la répression de l’Église fut violente qui traîna les corps des suicidés sur la claie, nus face contre terre.
St Thomas d'Aquin faisant référence au Droit Romain en introduisant la notion de "suicide pathologique" le déculpabilisa. Luther et Calvin se prononcèrent contre la légitimité du suicide.
Au Siècle des Lumières, D'Alembert et Diderot posent le suicide dans l'Encyclopédie chargée d'abattre les préjugés et de faire triompher la Raison comme gage de Liberté Individuelle.
Dans "l'Ingénue", Voltaire admet en sociologue la légitimité du suicide.
En 1774, "Les souffrances du jeune Werther" de Goethe déclenche une série de suicides de jeunes gens selon les textes "effrayants de gaîté en frac bleu et culottes jaunes" et le livre en poche qui traite des rêves pénibles d'une jeunesse malade, il s'agit moins d'une thèse que d'une perception émotive.
La Déclaration des Droits de l'Homme qui le déculpabilisa entraîna une vague de suicides. Durant la Révolution nombre d'actes fatals furent des suicides de fuites devant des échéances funestes cruelles donc redoutées.
Au XIX° siècle, le nombre de suicides augmente beaucoup sous l'influence de la rigueur des facteurs sociaux, transformations économiques, politiques, misère qui en découlent, mais certainement aussi à cause du "Mal du Siècle" ou "Romantisme du suicide" répandu par des auteurs tels que Vigny, Chateaubriand.
Dans le dernier quart de ce siècle se développent en Grande-Bretagne et aux U.S.A. des Clubs de suicidaires.
Jusqu'à un passé récent, les suicidés en usurpant les fonctions de l’Église et de l’État étaient traités en disciples de Judas, lequel fut irrémédiablement damné de s'être pendu.
Mais au début de ce siècle L’Église fermait déjà les yeux sur certaines morts suspectes, et moyennant 20, - frs et un certificat médical attestant d'un "suicide involontaire" l'enterrement religieux était délivré sans difficultés.
Après ce bref aperçu historique, en premier lieu et pour une bonne compréhension du texte, je dois d'apporter une précision sémantique : le "suicidé" est celui dont le geste a été fatal; e "suicidant" est celui qui a fait une tentative et qui a survécu à son geste autodestructeur ; le "suicidaire" est celui pour lequel le geste fatal est une probabilité.
Ce meurtre de soi-même selon la définition du XVIII siècle apparaît encore aujourd'hui comme déconcertant.
Depuis qu'Esquirol, médecin aliéniste qui écrivait il y a cent cinquante ans " l'Homme n'attente à ses jours que dans le délire et tous les suicidés sont des aliénés" l'évolution des idées a été considérable.
A l'individu solitaire devant son destin, à la merci de sa folie et de son suicide, Durkheim dans son ouvrage "Le suicide" paru en 1897 substitue "l’Être Social", il affirme qu'il est lié au degré d'intégration du sujet dans le groupe dans lequel il vit, ce qui n'empêche pas ce médecin de proposer que le suicidant soit privé de certaines prérogatives comme la fonction parentale ou l'éligibilité à certaines fonctions publiques. Sont inclus dans sa définition ceux qui refusent de s'alimenter, les héros, les martyrs pour des actes qu'ils savaient être punis de Mort.
En cette fin du XIX° siècle et début du XX°, ce geste fatal fut considéré comme l'expression suprême d'une Liberté à l'égard de démarches réactionnaires dont l'une des plus fleuries se trouve être celle écrite par l'avocat Emmanuel Japy en 1910. Ce juriste propose ni plus ni moins que le nom du suicidé soit publié suivi de l'épitaphe suivante, je cite :
"Suicidé, lâche à ses devoirs d'Homme et de Citoyen" outre une panoplie de répression je cite encore:
Confiscation des corps enlevés aux familles et livrés aux amphis de dissection, annulation de testament, dégradation civique et il ne reculait pas devant une peine d'emprisonnement pour la dépouille mortelle !
Ces élucubrations témoignent que le problème à l'époque était déjà patent et procédait d'un clivage d'idées donc par conséquent politique.
Cet aspect de la question mériterait à lui seul un développement plus complet, d'autant qu'il subsiste encore à l'heure actuelle où Sylvia Zimmermann proche d'un mouvement autonome des jeunes se supprima place Bellevue à Zürich le 12 décembre 1980.
Cette parenthèse historique refermée, je souhaiterais en venir au cheminement qui conduit à la tentative proprement dite: elle implique une ambiguïté, il n'est en effet pas évident de reconnaître la motivée ce qui sous-entend la recherche de la Mort sans y parvenir. En fait les comportements auto-agressifs sont très variés. De la démarche euthanasique délibérée, délivrance d'une déchéance physique insupportable liée à une situation dégoûtante jusqu'à une attitude n'incluant pas obligatoirement le refus irrépressible de la vie, se positionne le besoin irrésistible de vivre autrement quitte à en mourir pour le faire comprendre. La personne comble le vide de sa communication avec autrui en utilisant cette méthode d'interpellation de sa famille et de la Société.
Les motifs banals invoqués par les suicidants tendraient à prouver et à accréditer l'idée que le risque suicidaire est largement répandu, car qui n'a jamais eu en cours de son existence des conflits familiaux, des déceptions sentimentales, des ennuis professionnels et des deuils ? Seule une infime minorité de postulants au suicide procède d'une démarche doctrinale.
En fait la réalité n'est pas simple, les désordres mentaux et la vie sociale dans son vécu doivent être pris en compte dans les conduites auto-agressives.
Le suicide, ce meurtre donc, est un concept familier à un individu normal, mais dès que l'on aborde la question sur les plans philosophiques, métaphysiques et sociologiques, chaque interlocuteur adopte des positions souvent hermétiques personnalisées par son propre vécu et par ses arrière-pensées morales et philosophiques.
Dans ses propos il est plus ou moins contraint de prendre position sur son propre suicide ; cela induit naturellement des débats animés.
Quant aux moyens de se donner la Mort, en faire la liste n'ajouterait rien au débat, sachez seulement que les médicaments sont utilisés neuf fois sur dix, qu'il s'agit le plus souvent d'un produit prescrit, et que les tranquillisants représentent la classe pharmacologique la plus fréquente, une fois sur deux.
Je pense que nous pouvons assimiler en premier lieu la tentative et à fortiori la réalisation d'un suicide comme la manifestation d'une révolte double effet d'une même cause, a savoir symptômes d'un traumatisme moral, inquiétude et conséquence du vide du Cœur et de l'Esprit.
Les chiffres publiés des tentatives de suicides peuvent être accrues de vingt-cinq % afin d'avoir une approche plus réaliste de la vérité. Il semble en effet que beaucoup ne soient pas déclarés, soit parce qu'il n'y aurait pas de prise en charge, soit parce que la victime est bien intégrée dans son groupe, et cela est surtout vrai pour les adolescents, son entourage craint d'être perçu comme coupable aux yeux des Autres.
On peut distinguer trois éléments dans la démarche suicidaire : Le désir de Mort, le désir de tuer et le désir d'être tué.
Le désir de Mort : Ce que le postulant recherche surtout dans la Mort, c'est avant tout le repos, l'annulation des tensions et la satisfaction du désir d'être passif-- Cet apaisement rejoint le fantasme du Nirvanâ et peut se rapprocher également du plaisir sexuel, la Mort peut être investie de toute une série de satisfactions érotiques jusqu'à prendre parfois même le sens d'un orgasme pur et simple. Ce désir de Mort correspondrait à la recherche du souhait infantile de retourner dans le sein maternel. J'ajoute aussi que parfois l'idée de survie, d'immortalité sont fréquemment associées à celle de la Mort.
Le désir de tuer : C'est un élément important et l'on ne se tue pas sans s'être proposé de tuer l'Autre. Cette agression se manifeste dans les cas de suicides passionnels et l'idée de meurtre va de pair avec l'idée de suicide et parfois la précède.
C'est le retournement de l'agressivité contre lui-même qui motive la tendance du déprimé qui par son suicide parvient tout de même à attaquer son objet.
Chez le mélancolique, qui cherche à détruire l'objet incorporé, l'impulsion suicidaire violente apparaît comme un meurtre de sa propre image.
Le suicide collectif peut être vécu comme un meurtre altruiste comme en témoigne la démarche Cathare.
Le désir d'être tué signifie une autre interprétation de la démarche suicidaire en ce sens qu'elle est vécue comme un châtiment que l'on subit ou que l'on s'inflige et plus particulièrement comme une castration. Ce désir manifeste une culpabilité inconsciente dont la personne est incapable d'appréhender l'intensité et qu'elle tend à exorciser d'une manière sadomasochiste.
La connotation sociologique apparaît comme complémentaire dans le sens des fonctions suicidaires.
La fonction hétéro agressive : dès le début des recherches, il a été admis que l'acte suicidaire a été impliqué dans une agressivité envers autrui afin d'attirer sur elle la réprobation et le remord. " A moi la Mort, à toi le deuil" L'immolation par le feu des bonzes au Viêt-Nam procède de cette démarche. Drieu la Rochelle disait : Je me tue parce que vous me n'avez pas aimé, je serai sur vous comme une tache indélébile".
La fonction d'appel : Stengel en fait le caractère le plus important de la tentative de suicide ; surtout pratiquée par les femmes, c'est une sonnette d'alarme ces appels nécessitant la création d'organismes de prévention dont je reparlerai plus loin.
La fonction ordalique ou Jugement de Dieu auquel la personne se soumettait elle même c'est un test périlleux. Le sujet n'accordait aucun intérêt à la réaction des tiers. C'est une réaction inadaptée au regard d'une situation sociale et émotionnelle insupportables.
La fonction de chantage rejoint la fonction d'appel et procède de la recherche inconsciente d'un bénéfice secondaire.
La fonction de fuite : exprime l'impuissance de la personne à faire face à un danger de sanction par ex: dans le cas de détenus, ou à une échéance financière redoutée (krak boursier de N.Y. en 1929), cette fuite est accomplie pour échapper.
Beaucoup de comportements procèdent de cette recherche inconsciente de fuite, placé devant une situation intolérable, le sujet prend conscience de son propre échec, retourne son agressivité contre sa propre personne ; son suicide est une fuite devant lui-même.
La fonction de jeu : il semble que le sujet joue avec sa vie, cette connotation ludique se retrouve dans bon nombre d'activités humaines. Le célèbre " jeu " de la roulette russe en est une manifestation connue, mais l'on peut rattacher cette fonction à certains exploits sportifs individuels qui reculent les limites des possibilités humaines " ces sports de l'extrême".
Il ressort au terme de cette analyse que le suicidant est à la fois la victime et le bourreau, mais qui sont les assassins ?
Le profil du suicidant se trouve défini par quatre critères majeurs, âge, sexe, catégorie socioprofessionnelle et statut social, auxquels viennent s'ajouter des paramètres religieux, géographique, climatique, d'hérédité et de races.
Je ne veux pas vous ensevelir sous une avalanche de chiffres, mais quelques brèves constations statistiques éclairent bien la situation.
Globalement en moyenne les hommes se suppriment deux fois et demi plus que les femmes bien que celles-ci soient plus nombreuses dans l'ensemble de la population. En affinant l'analyse on constate que la proportion qui est de 3,9 hommes pour une femme vers 14/15 ans décroît à 1,5 vers 84/85 ans. Par contre les femmes sont deux fois plus nombreuses à faire une tentative et à être récidiviste; néanmoins ces tentatives décroissent nettement avec l'âge passant donc de deux fois plus de femmes que d'hommes vers 20/25 ans à un pourcentage à peu près égal vers 60/65 ans. Pour les hommes, on enregistre un % trois fois plus élevé chez les inactifs, cette inactivité souvent liée à la maladie ou à la marginalité. Quant à l'âge, il est significatif que le risque majeur se situe entre trente cinq et cinquante ans parmi une population déjà clairsemée par sa vulnérabilité à d'autres risques, accidents, maladies cardio-vasculaires.
Quant aux femmes, le risque majeur se situe entre quarante cinq et soixante cinq ans.
Quant à la population enfantine, il y a trois garçonnets et une fille qui se seraient supprimés en 1992 dans la fourchette d'âge 10/14 ans. Ce type de suicide est difficile à appréhender, j'allais écrire que l'esprit s'y refuse, peut être d'autres sont-ils classés dans les rubriques "autres " ou "accidents" qui cumulent 22 décès ?
Population à haut risques, les adolescents les chiffres bondissent à 149 recensés officiellement plus 69 "cause indéterminée" et homicides provoqués intentionnellement. De plus 100 à 120 ados sont admis par années aux urgences de l'Hôpital Cantonal à la suite d'une tentative de suicide. La Suisse occupe en % le 1er rang mondial avec pour 100.000 ados 34,2 garçons et 12,3 filles suicidés selon les chiffres de l'O.M.S.
Le statut matrimonial joue son rôle, les hommes solitaires se suppriment en moyenne trois fois plus que les mariés, les femmes seulement deux fois, ce qui tendrait à prouver que les femmes supportent mieux la solitude volontaire ou non.
Les conditions climatiques et saisonnières jouent également leurs rôles, ainsi se supprime-t-on plus au printemps et en hiver avec des crêtes notamment au mois de janvier, moins en été et encore moins en automne; de même le passage à l'acte a lieu durant la période diurne du jour avec une pointe entre 19 et 21 heures.
Prévention du suicide "social" (le suicide thérapeutique du type euthanasique pose des problèmes éthiques différents que je développerais plus loin). Comment peut- on éviter qu'une personne n’absorbe des comprimés?
Tout le monde tente de vivre dans l'allégresse générale en occultant l'idée de la Mort, comment interpeller la Société afin de ramener à un volume incompressible raisonnable le nombre de désespérés? Car en plus des 1544 décès volontaires en Suisse en 1988, et 1419 en 1995 se répartissant entre 1018 hommes et 401 femmes, dernière statistique connue.
Ces chiffres sont en soi encourageants, l’on constate une baisse de 8,1 % en 7 ans, mais n'oublions pas qu'il y a également:
- 54 empoisonnements "accidentels" (méthode favorite des suicidaires)
- 917 chutes accidentelles
- 1284 décès pour cause inconnue ou mal définie,
- 465 autres causes
Rien ne me permet d'affirmer qu'il se trouve parmi eux des décès volontaires, mais comme je l'ai mentionné auparavant, une famille cache souvent un suicide vécu comme un échec, voire une honte sinon une tare.
J'ajoute à titre de comparaison, le chiffre significatif de 465 décès par accident de la circulation, ce chiffre est intéressant à double titre:
-1°/ Il ne représente que moins du tiers du nombre des suicidés officiellement recensés,
-2°/ Il n'est pas interdit également de penser qu'un certain nombre d'accidents soient "provoqués" afin de faire bénéficier sa famille de prestations,
En clair, j'en conclus qu'au nombre de 1419 officiellement recensés il convient d'en ajouter un nombre indéterminé. Ce total, au regard des 465 décès causés par la route est impressionnant d'ampleur; les suicidants potentiels ne présentant pas dans la plupart des cas des symptômes significatifs, il en sera d'autant plus difficile à réduire.
Il existe en France l'association "Phoenix" qui permet sous le couvert de l'anonymat au suicidaire potentiel de disposer d'un "écoutant" susceptible de lui faire prendre la dimension réelle de l'acte qu'il serait tenter de commettre à son égard et à celui de son entourage. Cet organisme recevait en 1989 environ trois mille cinq cent appels par ans, dix par jour.
A Genève, le désespéré peut appeler "La Main Tendue" au 143 ; elle est l'émanation d'une association crée en Angleterre en 1953 " Les Samaritains"; à l'origine une simple annonce dans les quotidiens " Avant de vous suicider, téléphonez-moi" devant le succès remporté par cette association, un Centre s'est ouvert à Zürich en 1958, et le 07 Décembre 1959 à Genève.
Cette association reçoit des appels de différentes détresses elle n'est pas "spécialisée" dans la prévention anti-suicidaire, mais lorsqu'un appel de cette nature est reçu, l'écoutant est là, présent, attentif et qui tente d'élargir le champ de contact et de conscience du suicidant; il comble le vide dont parlait Valéry " Le suicide est l'absence des Autres" Il tente surtout de faire prendre la réalité d'une approche mal perçue: l'irréversibilité de l'acte fatal.
Une initiative intéressante a été formulée par Mesdames Moser & Blum-Moulin dans leur livre "Désespérance" édité chez I.E.S. à Genève. Elle consisterait à la création d'un groupe de "Suicidaires Anonymes" élaboré selon le schéma des Alcooliques Anonymes forum qui permettrait l'échange d'idées, la prise de conscience du risque encouru et la revalorisation du personnage au contact d'autres personnes ayant vécu la même tentation.
Une approche différente du même phénomène que l'aspect "social" du suicide qui a constitué l'essentiel de mon propos, se positionne une démarche dont j'ai effleuré l'objet à deux reprises et qui consiste à la volonté délibérément manifestée par une personne ne pas vivre une déchéance physique aggravée.
L'association "E.X.I.T." ou le "Droit de mourir dans la dignité" est un regroupement d'adhérents porteurs d'un testament biologique portant témoignage de leur volonté affirmée de quitter la vie délibérément et en toute lucidité lorsque leurs conditions physiques de survie leur paraissent inacceptables. En clair il s'agit de refuser l'acharnement thérapeutique médical qui consisterait à ne faire subsister que par des prouesses techniques une enveloppe charnelle dénuée de toute sensibilité. Les médecins sont tenus de respecter ces dernières volontés clairement exprimées même si l'entourage du patient ou son éthique personnelle s'y opposent.
Cette revendication pour une Mort digne, sans souffrance j’allais écrire « propre » est tout à fait légitime. La mort en douceur est le rêve de chacun et la possession d’un produit d’auto délivrance est un souci majeur.
Ces produits existent, mais EXIT n’ose ni la conseiller, ni accorder à ses membres la possibilité de se la procurer, ce qui est en soi paradoxal dans la mesure où justement l’un de ses objectifs est de prôner la mort dans la dignité.
En résumé dans notre Société qui est placée sous le signe de la communication celle-ci s'effectue essentiellement à sens unique orientée de haut en bas elle est insuffisante de bas en haut alors qu'il serait plus judicieux qu'elle fut horizontale et dense. La solitude générée par notre mode de vie engendre des meurtres de soi même pour des raisons toutes légitimes à ses yeux pour une personne particulière à un moment donné de son existence.
Il n'y a pas une thérapie du suicide, mais la principale serait être attentif, à l'écoute de l'Autre, disponible, ouvert et tolérant et surtout d'en parler.
J'ai dit V.'. M.'.
F.'. J-Cl G MV
https://fr.wikipedia.org/wiki/Suicide
Claude Guillon et Yves le Bonniec, Suicide, mode d'emploi, Histoire, technique, actualité, Éditions Alain Moreau, 1982
Suicide, mode d'emploi https://fr.wikipedia.org/wiki/Suicide,_mode_d%27emploi
Loic Chauveau, 13 ans après... (1995) http://next.liberation.fr/culture/1995/02/16/13ansapreslesauteursetlediteurdesuicidemodedemploienproces_12306
Données de l’époque:
Institut d'Etudes Sociales
28 rue Prévôt-Martin
1211 GENEVE 4
" La Main Tendue"
Case Postale 157
1211 GENEVE 4
E.X.I.T.
"Droit de mourir dans la Dignité"
Case Postale 100
1222 VESENAZ
Illustration:
Mark Antokolski: Death of Socrates, 1875 Domaine Public
Edouard Manet - Le Suicidé entre 1877 et 1881 Fondation E.G. Bührle Zürich Domaine Public
Reginald Arthur (1871–1934) The Death of Cleopatra 1892 Domaine Public
Karditsa Thinker -
Clay male figurine, known as the "Thinker". Late Neolithic (4500-3300 BC). National Archaeological Museum (Source Flickr: neolithic man
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