Un intéressant récit, rapport des visites d'un Frère dans les LL suisses du debut de siècle XX! Un instantané de temps oubliés, d'universalité. Nous vous proposons ce document en original, et en transcription, car il nous semble une précieuse image de l’époque.
Notre BAF David S:. de la RL Phoenix, qui a retrouvé ce document, nous l'a présenté dans une rencontre Maçonnique virtuelle. Il a eu la gentillesse de transmettre aux Cahiers Bleus du GOS le fac-similé que nous sommes très contents de publier. Il a cherché les traces du F:. Lapie, libraire en son temps, (Librairie Lapié Rue de la louve à Lausanne en 1926)
Le BAF Lucien D:. a complété la recherche dans les archives de La Fraternité: Armand Lapié, né en 1865 a été initié à la RL La Fraternité en 1906. Des 1934 il en était membre honoraire. Décédé en 1940. La pl:. à été présentée à la RL La Sincérité de Reims.
Enfin le BAF Silvio A.-W. notre confrère qui publie "Le Bonnet Phrygien" à la G.L.S.A., avec lequel nous avons partagé ce beau document d'époque, a eu la générosité de transcrire le texte conforme. Merci au TIF Silvio!
Pendant plus de 25 années, j’ai fréquenté les loges suisses ; particulièrement les 3 loges de Lausanne. C’est le résultat de ses expériences que je vais vous soumettre.
Lorsque je fus initié apprenti à la loge « La Fraternité » à l’Orde Genève, je vous proposais de suivre les travaux des loges de la ville où j’étais établi libraire (Lausanne).
Comment se fait-il, devez-vous penser, que je ne me soie pas présenté dans une loge lausannoise ? Voilà pourquoi :
En 1905, connu comme militant et fondateur de la LIBRE PENSÉE, sans aucun doute, je n’aurai pas été reçu. C’est qu’à cette époque, s’affirmer libre penseur était une abomination. Socialiste, libertaire, peut-être, mais en acceptant une croyance religieuse.
C’est pourquoi j’ai demandé mon admission à la « Fraternité » de Genève, parce que d’abord loge française, et ensuite plus libérale.
Depuis que de progrès accomplis.
Maintenant, grâce peut-être à notre influence, à notre participation désintéressée à leurs travaux, on peut se présenter dans les loges suisses comme libres penseurs et être acceptés.

En voici un exemple :
En 1910, se fond à Lausanne un club composé exclusivement de Francs-Maçons réguliers, mais libres penseurs, où, par des conférences, des discussions, nous pûmes peu à peu faire adopter par les Francs-Maçons croyants nos principes de tolérance.
Cependant, certains de nos Frères libres penseurs et d’opinions sociales avancées se décidèrent à fonder une troisième loge « Le Progrès ».
Que de luttes, et ce n’est que deux ans après la fondation de cette loge qu’elle fut admise à la Grande Loge Alpina.
Qu’est-ce que l’Alpina ?
C’est l’obédience suisse, composée de toutes les loges suisses. Seule, la loge « La Fraternité » du Grand Orient de France est autorisée à exercer en Suisse, parce que cette loge est antérieure à la création de la Grande Loge Alpina.
Elle a été fondée en 1792 par des réfugiés français. Cette loge française est composée de citoyens français, de citoyens suisses et d’étrangers (la plupart réfugiés politiques).
Le comité de l’Alpina siège pendant cinq ans à Berne, puis à Lausanne, à Genève, à Neuchâtel.
Le comité se compose des Frères Maçons où se trouve le siège de l’Alpina et des réunions ont lieu avec la présence des Vénérables et Maîtres Députés de chacune des Loges.
Chaque année a lieu un convent des loges, dans une ville suisse, où sont discutés les tractanda soumis aux loges. Le nombre de Francs-Maçons suisses est de 4'000 environ. Genève, qui possède un grand local en commun, se compose de huit loges. Lausanne trois loges.

Les femmes et les familles dans la Franc-Maçonnerie
Nos Frères suisses, particulièrement à Genève, Lausanne, etc. s’efforcent d’attirer dans les loges les compagnes et les enfants des Francs-Maçons.
Chaque année, il leur est offert en tenue blanche des conférences avec projections lumineuses, des causeries, des soirées familières, des banquets.
J’ai eu le plaisir, en pleine guerre, d’organiser des conférences dans plusieurs loges sur les sujets suivants :
• Les souvenirs d’un convoyeur de rapatriés français
• Des conférences avec musique avec le concours des Frères et Sœurs sur « La chanson populaire en France », toutes suivies par des auditoires nombreux.
Vous savez sans doute qu’en pays protestant, les fêtes de Noël sont les plus fréquentées. Dans les loges, il y a de nombreux arbres de Noël. Chaque loge en fait un avec de nombreux cadeau pour les enfants des Frères, suivi d’un goutter.
Les Sœurs se réunissent ne fois par semaine pendant l’hiver pour confectionner des vêtements pour les enfants pauvres qui leur sont signalés par les Frères.
Ecoutez ceci :
La veille de Noël, les Sœurs ayant en mains la liste des enfants pauvres qui leur sont signalés, emportent dans une voiture les objets confectionnés.
Les paquets contiennent en outre du chocolat, des sucreries, des oranges.

Quelle belle discrétion, bien franc-maçonnique.
La veille de l’arbre de Noël des enfants des Francs-Maçons 100 à 200 enfants pauvres sont invités par les loges à participer à l’arbre de Noël.
Il y a de la musique, des gâteaux, un bon goutter, le tout servi par nos Sœurs.
Et en France ? Que faisons-nous pour les déshérités, pour les pauvres enfants qui n’ont pour spectacle que la contemplation des vitrines des magasins bien illuminées où les gosses de riches sont privilégiés ?
La Franc-Maçonnerie suisse qui s’occupe dans ses séances des problèmes sociaux, mais pas de politique militante, est essentiellement philanthropique.
Pour ne parler que des Francs-Maçons lausannois, ces Frères ont fondé dans cette ville les œuvres suivantes :
• La Goutte de lait
• Les Colonies de vacances
• Les Cantines scolaires où les Frères chaque jour, pendant l’hiver, font le service pour les enfants
• La Pouponnière, où l’on élève les enfants abandonnés de 15 jours à un an
• Chez nous, où l’on élève les enfants abandonnés d’un an à huit ans
Toutes ces œuvres sont privées et ne vivent que de cotisations volontaires.
Dois-je vous parler aussi de l’accueil qui est fait par nos Frères suisses au Frères d’autres loges et aux Frères étrangers ?

Dans les banquets rituéliques, les tables se composent de 10 couverts.
Un Frère apprenti, quel que soit sa position sociale dans le monde profane, doit servir les Frères de la table et ne s’occuper que de vous.
A ce sujet, permettez-moi une anecdote :
En 1902, à la loge « Union des Cœurs » de l’Or:.de Genève, fut reçu apprenti Franc-Maçon, Monsieur Emile Blanc, tenancier des jeux de Monte Carlo. Comme tous les apprentis, il dut être le serviteur de ses Frères, lui qui avait plus de 300 domestiques sous ses ordres et plusieurs fois millionnaire.
Il a assuré à nos Frères qu’une fois dans son existence il avait pu être enfin utile à ses Frères. Ce Frère, décédé en 1912, a laissé à sa loge un héritage important pour les veuves et les enfants des Francs-Maçons dans le besoin.
Depuis 1910, les loges suisses ont créé un fond important et chaque Frère paye 50 francs par an pour la création d’un asile pour les Frères âgés et besogneux.
Je dois ajouter aussi que toutes les loges font chaque été des sorties, soit sur le lac, soit dans les campagnes, avec les Sœurs et leurs familles et leurs invités.
Les Hauts Grades en Suisse
Vous serez très étonnés d’apprendre que la Grande Loge Suisse Alpina n’a aucun rapport avec les hauts grades. Je ne peux et cela serai trop long de vous en expliquer les motifs.

Il y a cependant à Lausanne des Chapitres, Aréopages, etc., jusqu’au 33e grade. A Genève de même ; il y a aussi des Chapitres récemment créés au 18e à Berne (et à) Zurich.
De même que nos Frères des grades symboliques, nos Frères des hauts grades patronnent, en Suisse, les œuvres de bienfaisance.
Comment l’on devient Franc-Maçon en Suisse
C’est je crois, la partie qui intéresse le plus les jeunes Franc-Maçon introduits dans votre cher Atelier. Comme je vous l’ai dit précédemment, la Franc-Maçonnerie suisse se compose surtout des éléments les plus divers de la bourgeoisie (professeurs, fonctionnaires, quelques instituteurs, industriels, ingénieurs, architectes, petits commerçants et même des pasteurs).
Hélas, peu d’ouvriers. La cause principale, le prix très élevé du prix d’entrée, 360 francs suisses environ, cotisation 80 francs par an, caisse de retraite 50 francs. Peu d’ouvriers peu-vent disposer de cette somme et ne frappent pas à la porte des loges.
Je dois ajouter que ces sommes payent l’ascension aux trois grades et que les outils sont remis gratuitement.
Je dois ajouter aussi que les socialistes suisses sont les pires adversaires de la Franc-Maçonnerie, ainsi que les communistes.

Mais au pays protestant, où, être libre penseur est une abomination, parmi les Francs-Maçons suisses, quelques-uns d’entre eux font parfois partie des conseils de paroisses.
Entrer dans la Franc-Maçonnerie suisse n’est pas facile. Il faut autant que possible être présenté par un Frère qui est votre parrain et qui promet à la loge de payer au besoin les cotisations des candidats.
Et cependant, cette institution du parrain me parait excellente. En effet, il doit guider, instruire son filleul, le conseiller, le diriger, jusqu’au 3e grade.
Il est de coutume aussi que les Francs-Maçons arrivés au 3e degré se tutoient.
La lettre de demande lue en assemblée du 1er degré, des renseignements sont demandés aux Frères présents sur le candidat, puis, la demande est communiquée à la commission des candidatures composée de 5 membres de la loge, lesquels choisissent 5 membres de ladite loge ou d’autres Frères pour établir 5 rapports.
On demande aux candidats leur photographie qui est affichée dans la grande salle où cha-cun peut la voir. Puis, le candidat doit répondre à un questionnaire très sévère et remettre une biographie de sa vie privée très complète.
Pour être introduit, il faut au moins trois mois, jusqu’à une année.
Les renseignements pris, les rapports acceptés, on peut à volonté appeler le candidat sous le bandeau pour répondre à diverses questions posées par la commission des candidatures.

Mais, admis, le candidat se présente à 7 heures du soir accompagné de son parrain ; le Frère préparateur conduit le néophyte à la chambre noire.
A Lausanne, elle se trouve dans une cave. Il y a un squelette et les urnes des Frères défunts qui ont fait la demande d’y être enfouis.
Je dois vous dire aussi que la plupart de nos Frères sont partisans de la crémation et que beaucoup d’entre eux passent par le crématoire.
C’est dans cette chapelle que tour à tour les pasteurs, les Frères, les amis, les représentants des sociétés diverses auxquelles les défunts ont appartenu, prononcent les discours. En présence de la famille et des amis, les Francs-Maçons déposent sur le catafalque la fleur d’acacia.
Le candidat est introduit, à moitié déshabillé avec le Frère préparateur, et subit l’interrogatoire très sérieux du Vénérable. Il accomplit les 3 voyages. A chaque voyage, les Frères chantent en chœur le chant « Voulez-vous la lumière » accompagnés par l’orgue et l’orchestre de la loge.
Les épreuves terminées, le néophyte est appelé à voir la petite lumière avec les Frères tenant les épées en main, puis ensuite à voire la grande lumière.
A ce moment se place un des moments les plus beaux de la Franc-Maçonnerie. Au moment où l’on retire le bandeau au candidat accepté, tous les Francs-Maçons se tiennent les mains et le nouveau Frère est admis dans la chaîne symbolique, puis, l’orchestre et l’orgue préludent, parfois, un Frère chante un chant d’allégresse accompagné en sourdine par les violons et violoncelles.
C’est un moment pathétique dont le nouveau Frère doit se souvenir toute sa vie.
Puis le Vén:. dit :

« Alors », dit le Vénérable, « tous nos ennemis ne se trouvent pas devant nous, mais parfois derrière nous. Regardez ! »
Le Frère se retourne alors et ce sont son parrain et ses amis qui lui donnent l’accolade fraternelle.
C’est profondément émotionnant.
Aussi, nos Frères suisses doivent ils garder de leur initiation un impérissable souvenir.
Après le discours du Frère orateur, la séance est levée et les Frères se rendent à la grande salle restaurant et la séance continue. Les amis du nouveau profane prennent la parole pour le féliciter et le Frère orateur pour lui donner de bons conseils.
Ensuite l’on chante les chœurs, des Frères récitent ou chantent le tout accompagné de bonnes bouteilles de vin vaudois.
Vous devez comprendre qu’après de telles tenues, les Frères nouveaux venus sont attachés à leur loge mère.
Pour obtenir les 2e et 3e grades, il faut fréquenter les loges régulièrement, présenter des tra-vaux sérieux et bien répondre aux questions du Vénérable. Car, le Vénérable, élu pour trois ans (les autres officiers pour une année), est bien le père de la loge. C’est à lui que s’adressent les Frères dans les circonstances difficiles de la vie. C’est lui qui les réconforte, les guide dans le droit chemin.
Et permettez-moi, mes chères Frères et amis, au moment où j’ai terminé ma causerie, d’élever mes pensées vers nos Frères suisses qui furent pour moi qui les ai fréquentés de longues années, des Frères et des amis sincères qui m’ont fait comprendre l’idéal maçon-nique de Fraternité et de Tolérance, d’amitiés sincères et désintéressées qui sont les bases de notre Chaîne maçonnique universelle.
J’ai dit.