Religion ou Mystique? Et est-ce qu’elles conduisent au bonheur ?
Désolé pour la complexité du titre de cette planche, mais c’est sa gestation qui y a conduit. En fait, ma réflexion a commencé comme ainsi :
Dans un article du Journal « Le Temps » daté du 30.12.2011, Madame Patricia Briel, journaliste, affirme, je cite :
« La religion divise davantage les hommes qu’elle ne les unit. La mystique, en revanche, a la capacité de les rassembler au-delà de leurs différences, car elle forme comme un substrat commun à toutes les grandes traditions religieuses, et constitue l’un de leurs plus précieux héritages. »
Ce n’est pas une affirmation banale. C’est même très fort. Madame Briel construit en fait son article sur l’exposition ‘’Mystik – die Sehnsucht nach dem Absoluten’’, ou, en français : ‘’Mystique - la nostalgie de l’absolu’’, du Musée Rietberg de Zurich qui proposait, du 23 septembre 2011 au 15 janvier 2012, un regard sur la tradition mystique de six grandes religions au travers de plus de 150 œuvres d’artistes et de penseurs divers appartenant à ces religions.
Selon mon habitude, j’ai besoin de commencer par poser, ou rafraîchir, la définition de ces termes clés qui constituent le cœur de mon propos.
La Religion tout d’abord.
Nous pensons toujours être au fait du sens de ce mot, alors qu’en réalité il peut en prendre de bien différents selon la culture qui s’exprime. Cicéron par exemple, auteur classique prolifique et homme d’État romain du 1er siècle avant notre ère, considère la religion comme le fait de s’occuper d’une nature supérieure, que l'on appelle divine, et de lui rendre un culte. Pour le Christianisme, on parlera de ce qui concerne la relation entre l'humanité et Dieu. Dans le Coran, le terme dîn, équivalent de celui de religion, désigne avant tout les prescriptions de Dieu pour une communauté. En chinois, le terme zong jiào, inventé au début du 20è siècle pour traduire celui de religion, suggère un enseignement pour une communauté. Enfin, le bouddhisme, souvent considéré comme une religion alors qu'il n'y est question ni de Dieu, ni de nature divine, est une voie individuelle dont le but est l'éveil, par l'extinction du désir lié à l’égo et de l'illusion, causes de la souffrance de l'homme. L'éveil, selon le bouddhisme, étant l’état qui permet à l’être d’atteindre le nirvana et, donc, d’échapper au cycle des renaissances et des morts.
Et bien mes FF:. faites votre choix. Malgré quelques traits apparemment communs, nous avons là, à mon sens, des pistes qui partent tous azimuts.
La Mystique, ou le mysticisme, maintenant.
Il s’agit d’un terme dont le sens a trait aux mystères, à une croyance cachée, supérieure à la raison selon mon Petit Robert préféré. Le terme de mysticisme vient du grec et signifie initier. Ce terme en a lui-même donné de nombreux autres qui sont souvent passés dans le français, dont l’adjectif mystique ou des noms tels que mystère ou mystagogie (initiation aux mystères de l’occultisme, de la magie ou de la foi).
Je pense donc que l’on pourrait résumer ce qui précède de la manière suivante :
La caractéristique principale d'une mystique, quelle que soit la culture dont elle est issue, est qu'elle propose l’introspection comme moyen d'atteindre le divin ou la "Vérité". Donc la mystique passe par la maîtrise du corps dans la mesure où il est nécessaire d’entrer en méditation et cette méditation implique maîtrise de son souffle, de son cœur et, encore plus difficile, de ses pensées.
La caractéristique principale de la religion se comprend plutôt comme une structure ou un ordre bien défini dans lequel est recommandé ce qu'il faut faire et croire. Pour le bouddhisme, on parle de l’ensemble des enseignements du Bouddha qui forment ‘’la loi naturelle’’ ou ‘’l’essence de toutes choses’’. Dans la religion, on sent plutôt une démarche réfléchie avant de déboucher, peut-être, dans une démarche ressentie.
Donc, et là encore ce n’est que mon interprétation, en tant que mystique je vais rechercher au fond de moi-même le chemin du divin, alors qu’en tant qu’adepte d’une religion je vais suivre des règles et appliquer des préceptes supposés me conduire, ou me guider, sur ce chemin.
Remarquez bien que je n’ai pas dit qu’un adepte fervent d’une religion ne pourra pas vivre d’expériences mystiques sur le chemin de sa foi. Dans ce cas, je relèverais simplement que le croyant en religion est amené, suite à une expérience particulière ou à une profonde méditation par exemple, à découvrir et explorer une voie intérieure qui lui révèle des vérités qui ne lui étaient pas apparues au cours d’une pratique, disons quelque peu mouton de Panurge, telle qu’elle est le plus souvent considérée comme normale dans nos églises aujourd’hui.
À ce stade de la réflexion, il me semble pouvoir poser que la différence entre mystique et religion est énorme, mais en même temps qu’il est possible de passer très facilement de l’une à l’autre. Une fois encore, cela dépend essentiellement de ce que l’on fait. De ce que l’on veut. Du moteur qui nous anime. Pourquoi sommes-nous là ce soir ? Est-ce juste pour faire ‘’meneu-meneu’’ avec des potes que nous aimons bien ? Où est-ce pour développer une écoute active du ressenti de nos FF.. ? Démarche qui comporte évidemment le risque de nous faire découvrir des visions, des chemins, susceptibles de nous décoiffer complètement, voir d’exploser l’une ou l’autre de nos chères petites certitudes.
Allons, soyons ferme mes FF:.,nous progressons.
Voilà plutôt une autre question : La religion ou la mystique permettent-elles forcément de conduire les chercheurs que nous sommes à la sérénité ? Où au bonheur ?
Avant que ne recommence, posons quelques visions possibles pour cette notion de sérénité :
André Comte Sponville, raaahhh, encore lui ? Et bien oui, nous dit et écoutez bien, c’est magnifique : la sérénité ne laisse rien à espérer, ni à redouter. Elle est suspension de l’espoir et de la crainte. Elle est mise entre parenthèse de l’attente, de l’anticipation, du souci. Elle est négation du néant et de l’égo. Lorsqu’il ne reste plus que le présent, il reste la sérénité.
Il aura probablement été cherché ça en Orient, mais ça n’enlève rien à sa beauté.
Autre vision de la sérénité : David Richo, analyste jungien américain, pense que pour atteindre à la sérénité, il convient tout d’abord d’accepter 5 faits inévitables auxquels nous sommes de toute façon confrontés au cours de notre vie, quelle que soit notre origine, notre culture ou notre condition humaine. Je cite :
1. tout change et tout se termine.
2. La vie ne se déroule assurément pas selon nos plans.
3. La vie n’est pas ‘’juste’’ (je te donne une caresse, tu me files une baffe).
4. La douleur et le chagrin font partie de la vie.
5. Les gens qui nous entourent peuvent parfois ne pas nous aimer ou ne pas être loyaux avec nous.
Cet analyste nous assure que face à la vie il y a toujours 2 approches possibles : soit refuser d’accepter ce qui ne peut être changé (voir les 5 points ci-dessus) et vivre douloureusement dans la prison que l’on se crée soi-même, ou, soit, dire OUI à ce qui est et chercher à découvrir ce qui peut en être tiré, ce que l’on peut en apprendre, à quoi cela peut servir. Et, selon lui, c’est précisément ce OUI qui nous ouvre le chemin à la paix ou à la sérénité. Voir au bonheur.
Il est beaucoup question de sérénité dans le bouddhisme. Mais dans le christianisme aussi ; preuve en est cette prière toute simple, dite précisément prière de Sérénité, très en usage chez les Alcooliques Anonymes et écrite en 1932 par Reinhold Niebuhr, théologien protestant américain (comme son nom ne l’indique pas). Je l'ai déjà citée dans une précédente planche, mais je la cite une fois encore:
Mon Dieu,
Donne-moi la sérénité d'accepter les choses que je ne puis changer,
Le courage de changer les choses que je peux,
Et la sagesse d'en connaître la différence.
Nous avons donc bien compris, nous autres de Carpe Diem, que la sérénité est un état d’être que l’on peut atteindre lorsque l’on accepte de passer par des étapes de lâcher prise, où l’on fait table rase de nos haines et autres jalousies, orgueil ou avidités. Maintenant, et pour ma part, je ne pense pas qu’une religion ou qu’une mystique particulière détienne forcément la méthode exclusive pour l’atteindre. Je vais même jusqu’à penser qu’un athée puisse très bien y parvenir, sans pour autant croire en quoi que ce soit d’autre qu’en la capacité de l’être humain à se dépasser et à se débarrasser d’attaches matérielles ou psychiques de toutes sortes.
Dans le cadre de la Chaîne d’Union, notre rituel précise:
qu’aucune brouillerie ou querelle privée ne doit franchir le seuil de la Loge, moins encore des querelles à propos de la Religion, des Nations ou de la politique d’État, nous, en tant que Maçons, étant uniquement de la Religion Universelle.
Pour autant, je ne pense pas que nous puissions dire qu’il n’y a aucune démarche mystique dans nos Loges. Même si l’illumination n’y est pas chose courante, c’est vrai, nous cultivons des rituels qui sont autant de tremplins vers une réflexion profonde de ce que nous sommes réellement et de ce vers quoi nous souhaiterions tendre. C’est probablement là ce qui fait la force de la Franc-Maçonnerie et qui la distingue, indiscutablement, du club de pétanque du coin.
Bon, et le bonheur alors ?
En avril 2003, étant alors déjà au crachoir de notre Atelier, je vous avais seriné la moindre avec cette ô combien suspecte notion. J’avais même tenté une définition personnelle après avoir ruminé les officielles et dit que, pour moi, le bonheur est un sentiment fugitif, et éprouvé quasi physiquement, de s'approcher d'un état de profonde satisfaction. C’est vrai que, même pris dans le contexte de cette planche, environnée de religion et de mystique, ma définition peut encore tenir. Un autre aurait tout au plus parlé d’état de profonde béatitude, si tant est que la béatitude, mot pourtant issu du latin beatitudo = le bonheur, puisse être comprise, aujourd’hui, comme telle. Car en effet, les béatitudes bibliques décrivent les caractéristiques ou les vertus des habitants du Royaume des Cieux, ceux que l'on considère comme bénis par Dieu. Ma modeste compréhension de ce texte de l’évangile de Matthieu, chapitre 5 pour ceux qui souhaiteraient approfondir, me ferait presque dire que l’on a là, à nouveau, une directive de conduite (rappelez-vous : heureux ceux qui ont une âme de pauvre, car le Royaume des Cieux est à eux. Heureux les affligés, car ils seront consolés. Heureux les doux, car ils posséderont la terre, etc.), directive qui doit nous mener à un bonheur post mortem, mais non pas ici et maintenant. Devrais-je conclure que religion et mystique sont des voies susceptibles de conduire au bonheur, mais qu’elles ne le contiennent pas intrinsèquement elles-mêmes ?
Aïe, voilà que j’ai tout à coup ce petit vertige qui m’indique que je m’aventure sur un terrain qui ne m’appartient pas en propre et que je peux tout au plus donner ma couleur, mais en tout cas pas de verdict universel. Et par conséquent, je vais, lâchement, vous laisser avec cette question supplémentaire. On peut toujours en causer à l’occase, notez bien.
Finissons peut-être avec une question, encore une, qui n’a pratiquement rien à voir avec nous, ou avec cette planchette, mais qui fait du bien. Elle est de Raymond Devos:
Dites, si Dieu n'est vraiment pas marié, pourquoi alors parle-t-on toujours de sa grande Clémence ?
V:.M:. et vous tous mes FF:., j’implore la vôtre. Et j’ai dit.
Un Frère de Carpe Diem
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Francis d'Assisi en extase, Caravaggio 1594 Domaine Public
Giovanni Pico Della Mirandola "Le Jour ni l'Heure" 8286 : masque moderne (d'après les ossements) de l'humaniste, érudit et philosophe Jean Pic de la Mirandole, 1463-1494, musée du château de Mirandola, prov. de Modène, Émilie-Romagne, 2011, cc-by-2.0. Renaud Camus 2011
Savonarole, par Ludwig von Langenmantel 1879 http://lunettesrouges.blog.lemonde.fr/2012/01/18/au-nom-de-dieu-et-du-profit-lart-et-largent/ludwig-von-langenmantel-savonarola-preaching-against-luxury-and-preparing-the-bonfire-of-the-vanities-1881-detail/
Ludwig von Langenmantel (1854-1922) Domaine Public