Le moine géomètre Luca Pacioli, un contemporain de Léonard de Vinci, utilisa le terme Divine Proportion, et ce pour ses propriétés mathématiques ainsi que ses attributs esthétiques. Divine proportion car elle est unique, et régit, comme la sainte trinité, une relation entre trois termes et comme Dieu, reste semblable a elle-même (Marius Cleyet Michaud; Que Sais-je).
Le diplomate roumain, Matila Ghyka, lui donna, en 1932, le nom de nombre d’or.
On arrive à un nombre irrationnel est l'unique solution positive de l'équation x2 = x + 1. J’omets sa valeur et j’expliquerai plus loin pourquoi.
Phi (terme inspire par le nom de Phidias, Architecte du Parthénon et donne par le mathématicien Mark Barr au début du 20ème siècle) intervient dans la construction du pentagone régulier. Ses propriétés algébriques le lient à la suite de Fibonacci .
Ce nombre Phi est clairement intégré à la connaissance mathématique, à la géométrie. Mais alors pourquoi insiste-t-on sur la notion d’or ou de divine proportion ?
Essayant de dénouer l’écheveau de ce nombre, j’ai constaté qu’il est entremêlé de notions souvent confuses, ésotériques (ésotériques dans le sens où il s’agit d’une affirmation souvent gratuite), de postulats peu académiques, ainsi que de raccourcis quelque peu cavaliers…
La valeur mathématique de Phi est claire, mais toutefois aujourd’hui d’une portée limitée, au sein de la vaste connaissance mathématique en général.
Ce qui est intéressant, ce sont les notions philosophiques, spirituelles, artistiques, liées a ce nombre Phi, et leur intégration dans notre démarche maçonnique.
Il va sans dire que des hommes de talent (Leonard de Vinci, Dali, Le Corbusier et j’en passe) ont utilisé ce nombre pour constituer une œuvre qui, cependant, correspond plus à leur génie créatif qu’au nombre Phi lui-même. D’ailleurs, une référence intéressante à ce sujet est le travail de Cyril Jaquier et Kévin Drapel: Le nombre d’or : réalité ou interprétations douteuses, qui démonte point par point les assertions erronées à ce sujet. https://www.google.com/search?q=Cyril+Jaquier+et+Kévin+Drapel:+Le+nombre+d%27or+:+réalité+ou+interprétations+douteuses,&source=lmns&bih=1488&biw=2710&client=opera&hs=Hro&hl=en&sa=X&ved=2ahUKEwjx5PKm8PHzAhVCnRoKHcZUBNsQ_AUoAHoECAEQAA
Instinctivement, au cours de ma recherche sur Phi, j’ai eu tendance assez rapidement a entrevoir la corrélation entre la symbolique du nombre d’or et la recherche d’une juste proportion, d’une juste mesure. Sans ces deux dernières notions, je ne vois pas vraiment ce que ce nombre d’or pourrait m’apporter, tout au long de mon parcours initiatique. Le nombre d’or per se, au XXIème siècle, valeur mathématique parmi beaucoup d’autres, ne me parle pas suffisamment. Il aurait plutôt tendance à me faire tourner en rond avec mon compas…
De nombreuses civilisations et penseurs ont recherché la notion de proportion juste. Et ce pour mettre en accord l’homme avec sa dimension spirituelle.
Pour les Pythagoriciens, tout n’est que nombre, de façon à accéder a l’universalité. Et n’oublions pas que leur signe de ralliement aurait été le pentagramme. La construction du pentagramme ou pentacle est directement liée à Phi. C’était le symbole de la perfection. Il illustrerait, pour eux, la situation de l’homme, trait d’union entre le ciel et la terre.
- La terre représentée par le carré
- L’eau représente par l’icosaèdre (20 faces)
- Le feu représente par le tétraèdre régulier
- L’air représenté par l’octaèdre régulier
Ces 4 éléments étaient contenus dans le dodécaèdre, construit de pentagones, eux-mêmes construits par des triangles. Pour Platon, le dodécaèdre serait le plan de l’univers, telle qu’il a été construit par Dieu.
Nous retrouvons donc, étroitement enchevêtrées des notions de géométrie classique, associées a des concepts philosophiques tentant d’expliquer le monde et la place de l’homme dans celui -ci, au-delà des dogmes de l’époque.
L’importance des mathématiques et de la géométrie en particulier se maintient au Moyen Age. Robert Grosseteste, philosophe et théologien, souligne qu’il est impossible de connaitre la nature sans géométrie car c’est dans cette géométrie que se trouverait la clé de la connaissance de l’univers.
Albrecht Dürer (fin du 15ème, début 16ème siècle) stipule que les lignes qui déterminent une figure ne peuvent être construites, ni au compas, ni à la règle. C’est le commencement d’une certaine contestation du tout géométrique.
A la Renaissance, les figures géométriques perdent de leur importance au profit de la commensurabilité, qui devient la question centrale (c.à.d. la comparaison d’entités par le biais d’unités adéquates).
L’époque moderne est surtout caractérisée par l’entrée du concept de subjectivité dans la perception des proportions. La subjectivité de l’œil ouvre de nouveaux débouchés à la compréhension du monde.
L’importance de la notion de proportion, de mesure et comment les trouver, les percevoir, continue, avec un petit retour en arrière des cubistes qui reviennent aux formes géométriques élémentaires et au nombre d’or. Comme disait Cézanne : « Traitez la nature par le cylindre, la sphère, le cône, le tout mis en perspective ; soit que chaque côté d'un objet, d'un plan, se dirige vers un point central. »
Einstein avait également dit qu’il n’y a aucun moyen logique de découvrir les élémentaires, mais seulement la voie de l’intuition, soutenue par une sensibilité particulière à l’ordre sous-jacent aux apparences.
L’intuition du franc-maçon, toutes proportions gardées, est de chercher instinctivement, au-delà des apparences, les vérités sur lui-même et le monde qui l’entoure. Pour cela, il faut garder le sens de la mesure. La triangulation de la prise de parole en loge permet de mettre en perspective, jauger, sous-peser les idées ou argumentations, évitant les disputes stériles au profit d’une construction harmonieuse incluant les contradictions qui sont source de contraste et non d’opposition. Donc la recherche de la synthèse plutôt que le va et vient du binaire.
Ce court retour en arrière nous permet de mieux comprendre le concept du nombre d’or et son évolution.
Ce nombre d’or réunit ces messages toujours actuels de l’antiquité grecque (Mide Agan: rien de trop, ainsi que Metron Ariston – juste mesure) soutenus par l’Aufklärung (Sapere aude ! empruntée à Horace (Épitres, I, 2, 40) signifiant « Ose savoir ! », « Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! », devise des Lumières selon Emmanuel Kant.
Ce serait donc faire insulte à Pythagore, Platon, Aristote, Kant et tant d’autres, que de se limiter à Phi a une mesure supposée universelle, censée expliquer tout et son contraire, et par conséquent devenant Dogme.
Sisyphe en effet, n'est pas qu'une conscience malheureuse, sa condition enseigne à "l'homme absurde" qu'il n'y a qu'un monde, que "le bonheur et l'absurde sont deux fils d'une même terre". Coupé des dieux, il s'est réapproprié son destin et a fait de son rocher "sa chose". Il peut dès lors se réconcilier avec le monde, car il a compris que "la lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir le cœur d'un homme".
Cette pensée d’Albert Camus est tout a fait comparable au poème de Kavafis: Ithaque
Garde sans cesse Ithaque présente à ton esprit. Ton but final est d’y parvenir, mais n’écourte pas ton voyage : mieux vaut qu’il dure de longues années, et que tu abordes enfin dans ton île aux jours de ta vieillesse, riche de tout ce que tu as gagné en chemin, sans attendre qu’Ithaque t’enrichisse.
Ithaque t’a donné le beau voyage : sans elle tu ne te serais pas mise en route. Elle n’a plus rien d’autre à te donner.
Même si tu la trouves pauvre, Ithaque ne t’a pas trompé. Sage comme tu l’es devenu à la suite de tant d’expériences, tu as enfin compris ce que signifient les Ithaques »
Excusez cette digression, je trouve qu’elle illustre particulièrement bien notre cheminement maçonnique, cherchant des repères, des références tout au long de notre vie, qui nous permettront de nous construire et contribuer à embellir notre société.
Les nombres nous parlent, non pas en tant que nombres, mais en tant que symboles. Par ce biais nous progressons, lentement, parfois facilement, parfois moins, comme lorsqu’on franchit un gue. Avec Kant ainsi que par la méthodologie maçonnique, les idées ne se schématisent pas, mais deviennent accessible par l’usage de symboles soutenu par une morale du devoir, de l’impératif du travail sur soi, cet effort répétitif du quotidien maçonnique.
Notre méthode se doit de nous éloigner de l’irrationalité, des solutions de facilite, pour aller vers l’essentiel.
Ce travail ne peut avoir de véritable conclusion. Peut-être cette citation de Michel Foucault :
«Il existe … dans cet espace sillonné en toutes directions un point privilégié : il est saturé d’analogies (chacune peut trouver l’un de ses points d’appui) et en passant par lui les rapports s’inversent sans s’altérer. Ce point c’est l’homme ; il est en proportion avec le ciel, comme avec les animaux et les plantes, comme avec la terre, les métaux, les stalactites ou les orages ... le corps de l’homme est toujours la moitié possible d’un atlas universel»