V:.M:., et vous tous mes BAF en vos grades, qualités et fonctions,
J’ai longtemps songé à vous écrire toute cette planche en latin, puis en réalisant que la tolérance et la charité sont deux vertus maçonniques importantes, j’ai alors eu pitié de vous, mes Frères.
Le rapport à la mort est resté très longtemps à des années-lumière de mes préoccupations, mais il y a 4-5 ans environ quand j’ai pris ma retraite professionnelle et quand je suis venu m’installer au bord du lac, les choses ont commencé à changer. Les enfants partis, les soucis professionnels envolés, avec davantage de temps pour réfléchir peut être et prendre du recul, et j’ai commencé peu à peu à réaliser qu’au lieu de passer son temps à essayer de gagner sa vie, notre plus grand défi personnel était de réussir à préparer notre mort.
Donc voilà, l’idée est de se concentrer un moment non pas sur l’initiation, c’est à dire le début de la route, la naissance, le commencement, non pas non plus sur la route elle-même, c’est à dire sur notre parcours de vie, notre chemin maçonnique sur lequel nous planchons toute notre existence, mais sur le bout du chemin, ce grand point d’interrogation qui effraie et qui intrigue.
MEMENTO MORI, ou Souviens toi que tu es mortel, ou Souviens toi qu’un jour toi aussi tu disparaitras de ce monde temporel et matériel.
Lorsque l’empereur ou le général romain défilait en une parade triomphale à la tête des légions sous l’arc de triomphe, il était suivi par un esclave, ou par le général vaincu qui allait être sacrifié, qui lui glissait à l’oreille: ‘Memento Mori’, souviens toi que même au faite de ta gloire tu peux mourir à tout moment et qu’un jour tu ne seras plus là. La phrase exacte était: ‘Respice post te! Hominem te esse memento! Memento mori. C’est à dire regarde derrière toi! Souviens-toi que tu es un homme! Souviens-toi que tu vas mourir !
Alors pourquoi penser à la mort, pourquoi même devoir parfois y réfléchir plutôt que simplement vivre sa vie instantanément en pleine insouciance ? Cette planche me trotte dans la tête depuis plus de 4 ans, depuis que j’ai pris ma retraite professionnelle et que ma vie a basculé, depuis que je commence à voir les gens vieillir autour de moi, et parfois mourir, surtout ceux d’ailleurs qui meurent plus jeunes que moi alors que je tiens encore à peu près debout. Depuis que mon père de 90 ans a fini par être rattrapé par un cancer, que ma belle-mère est décédée il y a quelques semaines, depuis que notre B:.A:.F:. Guy est parti lui aussi vers un Orient inconnu et éternel.
Pourquoi alors vous parler de la mort alors qu’il y a tant de sujets bien plus agréables et enrichissants vers lesquels se tourner? D’ailleurs je ne suis pas autorisé par nos statuts à vous parler ici de politique ni de religion, donc pourquoi devrais-je essayer de vous dire ce qui va se passer dans l’au-delà. Moi j’ai ma petite idée bien sur la question, mais je resterai muet, même si un jour que j’espère très lointain je vous observerai d’une position privilégiée en sirotant un verre de bon Bordeaux entouré de 72 vierges court vêtues…
Dans la vie parmi les gens qui nous entourent, il y a trois (tiens, trois) catégories d’individus:
- ceux qui n’ont pas à chercher les réponses car ils ne se posent pas de questions. Je les plains, ils vivent comme les animaux, empêtrés dans leur vie matérielle en cherchant simplement à survivre.
- ceux qui se sont posé les questions et qui ont trouvé les réponses. Je les envie, ils doivent être bienheureux, ils ont la conscience de leur vie et peuvent ensuite partager le bonheur autour d’eux.
- et enfin ceux, dont je fais partie, qui se sont posé les bonnes questions mais sans avoir trouvé, ou encore trouvé, les bonnes réponses. Alors ils cherchent, car il faut chercher pour pouvoir trouver. Et en tant que Francs-Maçons nous avons heureusement un cadre pour orienter et concentrer nos recherches, car nous sommes aidés par un rituel et aidés par l’exemple de nos Frères qui nous font partager leurs doutes et leurs propres expériences, et nous avons aussi un parcours maçonnique pour jalonner notre vie.
Cette mort, symbolisée par un crane, le crane qui figure souvent dans nos tenues maçonniques sur l’autel des serments. Goethe a écrit: ’Tant que tu ne sais pas mourir et renaitre, tu n’es qu’un passant affligé sur la terre obscure’. La peur de la Mort, c’est la mort de la peur et l’amour de la Vie. Comme on a toujours un peu peur de l’inconnu, alors on cherche à l’occulter, à l’oublier, on le nie. Pour certaines religions on transforme ce phénomène naturel et probablement inéluctable en naissance, en RE-naissance, en commencement d’autre chose, en début d’une nouvelle aventure encore plus flamboyante. Pour moi ça c’est tricher, car on ne peut repousser le bonheur à demain, et c’est sur cette vie ici-bas qu’il faut le traquer. Quand on n’aime pas un mot, ou un symbole, on le supprime de notre vocabulaire, et un nègre devient un noir, puis un noir devient un métis, un antillais ou un afro-américain, et la mort devient fin de vie, le bout de la route, ou parfois Orient éternel …
Au moyen âge l’espérance de vie était de 19 ans, les filles se mariaient à 8 ou 10 ans, l’officier devenait général à 22 ans, on était parfois Roi comme Louis XIV à 5 ans, et les génies comme Mozart mouraient à 35 ans. Si à cette époque on avait su qu’un jour l’âge moyen de la population atteindrait un jour 50 ans, on se serait cru pouvoir devenir presque immortels. Et en 1900 en Europe l’espérance de vie de la population est effectivement passée à 50 ans, alors on nous a dit qu’un jour lointain certains d’entre nous atteindraient peut être 100 ans d’âge. Aujourd'hui on nous dit qu’un enfant sur trois né après l’an 2000 sera centenaire et que nous sommes construits pour vivre jusqu’a 120 ou 130 ans. Avec l’avancée rapide des techniques médicales, moins d’épidémies et de guerres, des vies plus saines, hygiéniques et sédentaires dans un monde ou les épidémies et l’insalubrité reculent peu à peu, certains s’avancent même à prédire qu’un jour nous pourrions vivre 200 ou 300 ans. Et en poussant le bouchon toujours plus loin, les eugénistes et transhumantes avancent même que j’homme de demain sera ‘augmenté’, que les handicaps et la mort seront traités comme de simples maladies, donc parfaitement curables, et donc que bientôt nous deviendrons IMMORTELS. Il suffira de passer de temps en temps au garage ou en clinique pour rectifier nos gènes déficients et remplacer nos organes malades ou simplement usés, et même peut être un jour télécharger le contenu de nos cerveaux sur un corps plus performant, ou mieux sur un robot biomécanique aux capacités sans limites. Sans aller vers ces scénarios de science-fiction qui occultent la mort, ou du moins en repoussent sans cesse les limites, l’homme heureux va devoir ne plus considérer la mort comme son ennemie, ou comme une fin en soi, en tout cas ne plus en avoir peur et tenter de presque pouvoir l’apprivoiser.
TEMPUS FUGIT, le temps fuit, disaient les philosophes latins.
On se raccroche à la vie comme à une bouée, face à l’inexorabilité du temps qui passe, car on ne sait pas trop vraiment ce qui nous attend de l’autre côté du miroir. Il y a peut-être un Au-delà riant, ou peut être rien. Certaines religions sont là pour nous rappeler que la mort est une libération de notre enveloppe matérielle et pour nous rappeler que la mort nous montre le caractère vain et vide des plaisirs terrestres. Mais en fait notre passé est derrière nous et donc plus modifiable, même si nous pouvons toujours en tirer des enseignements pour le présent et l’avenir. Quant au futur, il n’existe pas encore, il n’est encore qu’espoir et pure conjecture. Il ne nous reste donc que le moment présent, que les battements du temps vont rogner petit à petit vers une fin inexorable.
Notre mortalité nous montre que la vie est courte et que le temps passe vite (Tempus fugit), et il est donc important et nécessaire d’en profiter nous-mêmes et d’en faire profiter autour de nous, et tout particulièrement du temps présent. Dès qu’un enfant nait, il commence sa marche inexorable et sa course effrénée vers la mort. Heidegger disait: ‘ Dès qu’un homme est né, il est assez vieux pour mourir’. Nous sommes tous des condamnés à mort en sursit. Donc loin de rejeter la mort, il nous faut donc vivre avec elle, et composer avec son inéluctabilité. Pour Montaigne, ‘philosopher c’est apprendre à mourir’. Car la mort est la règle, en somme c’est la vie qui est l’exception.
En fait, on ne meurt que deux fois, d’ abord lorsque le souffle disparait et le cœur s’arrête. C’est la mort biologique et physique. Puis, tant que survivent les souvenirs, les évocations, les pensées des amis et des êtres chers, la vie se poursuit par procuration. C’est quand ceux-ci viennent à manquer, quand la mémoire s’efface et les traces disparaissent, c’est là que notre mort sera définitive. C’est pourquoi l’amour et la fraternité sont bien plus forts que la mort elle-même, car elles peuvent prolonger la vie éternellement. Paul Valéry a écrit: ‘Depuis qu’elles se savent mortelles, les civilisations ne veulent plus mourir’. C’est pareil pour moi, je ne veux pas mourir, j’aimerais ne pas disparaitre, mais je me contenterai de mourir le plus tard possible après une vie riche d’émotions et remplie de rencontres. La mort étant la règle et la vie l’exception, je vous souhaite donc, mes Frères, de mourir vous aussi de mort lente, le plus tard possible et en bonne santé.
C’est donc que les valeurs maçonniques nous portent vers une philosophie de l’action plus qu’à la contemplation. Vivre pleinement notre vie, et peut être essayer d’influer positivement sur celle des autres, c’est ne pas craindre la mort, c’est en fait donner tout son sens à la vie.
Stendhal a écrit: ‘Puisque la mort est inévitable, oublions la’. On ne se prépare d’ailleurs pas plus à la mort qu’on ne s’était préparé à vivre.
Marc Aurèle a écrit: ‘ En te levant le matin, rappelle-toi combien précieux est le privilège de vivre, de respirer, d’être heureux’. La solution, pour éviter de s’enliser dans le macabre de notre futur trépas est de mesurer le bonheur et de profiter du présent que la vie nous offre. La solution est peut être aussi à l’image de ces bonzes qui, pour matérialiser leur mortalité, retournent tous les soirs avant de se coucher leur bol de thé à l’envers, pour signifier qu’ils mourront peut être durant la nuit. Ce geste astucieux utilise le mécanisme de la routine du geste, non pas pour endormir les sens, mais pour rappeler tous les matins par ce symbole, lors de la première gorgée de thé, que la vie doit être savourée pleinement.
Donc oublions la mort, ou du moins essayons de la faire passer au second plan. Pour continuer la série des citations latines de cette planche: OMNES VULNERANT, ULTIMA NECAS, c’est à dire tous les coups blessent, mais c’est seulement le dernier qui tue. Pour Boileau: ‘ L’existence est le mouvement d’un être inachevé vers sa complétude. Sa conscience morale est le reflet d’un dieu qu’il voudrait devenir, les attributs de ce dieu étant ce qui lui manque … infaillibilité, justice, bonté, beauté, éternité, plénitude d’être.’
Eh bien puisque nous ne sommes et ne pouvons être des dieux, essayons néanmoins d'être des hommes, et tendons vers ce qui nous manque, essayons de devenir moins faillibles, d’être plus justes, meilleurs, et de remplir notre être de sagesse et de plus de fraternité.
En conclusion, pourquoi est-il coutume d’aller fleurir les tombes? Croit-on seulement glorifier le souvenir de la personne enterrée sous nos pieds, croit-on glorifier plus généralement la mort, ou croit-on essayer de chercher à la repousser en allant la recouvrir de beautés éphémères ?
Notre vie est un long cheminement vers la mort, et nos réflexions sur notre mort ne sont en fait qu’une nostalgie du temps qui passe et une pause sur le sens de la vie. Vieillir c’est s’appesantir sur le passé et nous rappeler sans cesse que le temps nous est compté. Jusqu’à preuve du contraire, la mort est inévitable, même si les adeptes du transhumanisme peuvent avoir d’autres vues sur la question. Tout doit mourir un jour, hommes et civilisations, car ce qui ne meurt pas ne vit pas.
MORS CERTA, HORA INCERTA, c’est à dire La mort est certaine, seule l’heure est inconnue.
Je ne pouvais finir donc mon propos sans vous infliger une dernière citation latine chère à Epicure: CARPE DIEM.
La citation complète est en fait: CARPE DIEM, QUAM MINIMUM CREDULA POSTERO, c’est à dire, Saisis le jour (donc profite du moment présent), et consacre le moins de foi possible dans l’avenir. Ce qu’en bon auvergnat, je traduis aussi par: la vie est bien trop courte pour se contenter de boire de la piquette.
En somme, sachons profiter de l’instant présent, car nous n’avons pas d’influence sur ce qui est derrière nous, et comme la vie est courte et la mort au bout du chemin, à moins de savoir très précisément ce qui se trouve derrière le miroir, ou à moins qu’un savant fou arrive un jour à nous rendre immortel, c’est aujourd’hui que tout se joue. Il serait criminel de gâcher notre existence, et ce d’autant plus qu’en tant que Franc Maçons nous sommes équipés pour la route avec tous les outils nécessaires pour la plénitude du bonheur. Vivons donc dans le présent, et sans peur de la mort. Si beaucoup d’entre nous sont hantés par la mort, ou du moins en ont peur, c’est a priori à juste titre. Comment ne pas être fasciné, ou terrorisé, ou interpelé, par ce monde inconnu qui nous attend, et qui peut être pour certains le Grand Rien, pour d’autre le début d’une autre vie ou d’un monde meilleur, ou bien d’un univers nouveau que même la science n’a pas réussi à approcher. Il est assez symptomatique qu’un artiste comme Damien Hirst puisse vendre de nos jours un crâne humain constellé d’étoiles en diamants pour 110 millions de livres sterling (160 millions d’euros) !
Si la réponse à l’énigme de MEMENTO MORI est CARPE DIEM, ce n’est pas qu’il faille ignorer l’inconnu ou ce que l’on peine à comprendre, c’est plutôt simplement qu’il vaut mieux essayer de profiter pleinement de ce que la vie nous offre plutôt que de reporter à demain la quête du bonheur et la recherche de sa vérité. La philosophie du Plaisir et du Bonheur que nous propose Epicure est fondée sur la réalité, les sens et la recherche de notre vérité personnelle. Pour Epicure, la mort n’est pas à craindre, on peut supprimer la douleur et on peut atteindre le bonheur. La vie vaut la peine d’être vécue ici et maintenant, et ne pas craindre la mort est une marque de sagesse. Bien sûr il est également nécessaire de limiter la recherche du plaisir et du bonheur par le principe du raisonnable et de la responsabilité envers soi-même et envers autrui.
Il nous restera aussi peut être l’option de nous suicider, mais là c’est un autre débat. En attendant, et pour l’heure je me contenterai de relayer le propos de notre Frère Jean Luc Mélanchon en forme d’espoir: ‘Nous ne vivons que pour attraper notre part de bonheur et pouvoir en faire partager aux autres’.
En tant que Franc Maçons, nous sommes toujours en quête d’un ailleurs meilleur, mais la sagesse nous incite à essayer de bien vivre le temps présent pour mieux accepter un demain qui nous amène inévitablement vers la mort, chacun donnant à cet évènement la tonalité qu’il veut et ce à quoi il croit, un passage, un pont, un néant, l’infini, …ou rien .
Et puis pour ceux d’entre nous qui estiment ne pas avoir réussi leur vie, il leur reste toujours l’espoir de réussir leur mort.
Donc, Gémissons, Gémissons, Gémissons … mais Espérons !
V:.M.., j’ai dit
Annon, 6017.