C'est l'histoire d'une femme libre, une femme d'exception, humaniste en avance sur son temps, une visionnaire qui a vécu pour ses idées, et qui en est morte.
« La femme - c'est ainsi qu'elle s'exprime en 1793 dans sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (art. 10) – la femme a le droit de monter sur l'échafaud, elle doit avoir également le droit de monter à la tribune! ».
Cette phrase qui l'a rendue célèbre fut la devise du mouvement féministe du 19ème siècle.
Je consacre ces lignes à celle qui fut l'une des grandes figures révolutionnaires du 18ème siècle, Olympe de Gouges. Elle fut à l'avant-garde d'un remarquable combat humaniste qui s'acheva, dramatiquement, sous la Terreur, par le couperet de la guillotine. Elle fut parmi les premières féministes et consacra sa vie à revendiquer l'égalité entre les sexes et la démocratie.
Issue d'une famille modeste, son père, bourgeois de Montauban, était boucher et sa mère fille de drapier, elle serait la fille naturelle du Marquis Lefranc de Pompignan, académicien et homme de lettres, dont sa mère était la filleule.
A 17 ans, elle est mariée contre son gré à Louis Yves Aubry, traiteur parisien. A l'époque, je le rappelle, la femme était totalement considérée comme une mineure et son mariage lui permettait d'être sous la tutelle de son époux après celle de son père.
Elle est veuve à 20 ans, peu après la naissance de son fils et, déçue par son expérience conjugale, décide de ne pas se remarier, qualifiant le mariage religieux de « tombeau de la confiance et de l'amour ». Elle quitte Montauban et grâce à un riche toulousain qui est son protecteur, monte à Paris. Sa mère étant issue d'un milieu bourgeois, elle a reçu une bonne éducation, elle souhaite se consacrer aux Lettres.
Nous sommes dans les années 1770, Marie est une jolie femme brune, enjouée et pleine de bagout, elle s’exprime avec vivacité, à l’aise dans les salons mondains, fréquente les clubs féminins et maçonniques (elle aurait été initiée dans une loge d'adoption?), rencontre des hommes de lettres, des musiciens, des comédiens et côtoie des cercles d'intellectuels.
Ses premiers écrits datent de 1780. C'est alors qu'elle prend le nom d'Olympe de Gouges. Autodidacte, elle est – dit-elle « l'ouvrage de la nature : tout me vient d'elle, je suis une de ses rares productions ».
Avec la pièce de théâtre « Zamora et Mirza ou l'heureux naufrage», premier drame à mettre en scène des esclaves noirs qui s’expriment sur leur condition, Olympe pense utiliser la scène comme une tribune contre l’esclavage afin d’atteindre l’opinion publique, susciter son indignation et provoquer le débat.
Écrite en 1780, présentée à la Comédie française en 1783, la pièce ne fut jouée qu’en fin 1789 après de nombreuses modifications (indiens au lieu de noirs) à cause d’une violente censure (cabale des colons). En effet, la pièce critique le Code Noir édicté sous Louis XIV, en vigueur dans les colonies françaises. De nombreuses familles à la cour tiraient alors une grande partie de leurs revenus des denrées coloniales qui représentaient la moitié du commerce extérieur français à la veille de la révolution. Elle compose une autre pièce en 1790 intitulée « Le marché des Noirs ».
Au titre d'abolitionniste, - le courant abolitionniste, la Société des Amis des Noirs, fut créé en 1787 à Londres mais pas encore organisé en France, - elle sera citée en 1808 par l'Abbé Grégoire, prêtre révolutionnaire, député, qui a combattu l'esclavage et la traite sous la Convention, dans « La liste des Hommes courageux qui ont plaidé la cause des malheureux Noirs ».
En 1784, Olympe est interpellée par une pièce de Beaumarchais « Le mariage de Figaro », ou les femmes y sont représentées comme des êtres responsables et réfléchis, victimes de l'irresponsabilité des hommes, « traitées (les femmes) en mineures pour nos biens, punies en majeures pour nos fautes ! ».
Elle écrit « le mariage inattendu de Chérubin » (1786) mettant la condition féminine au centre de son intrigue et dénonçant le mariage forcé, le joug paternel et marital. Influence de Rousseau qui avait mis le mariage d'amour au goût du jour dans « La Nouvelle Héloïse ».
Elle dirigera même une petite troupe de théâtre. Ses écrits sont empreints d'un humanisme généreux et reflètent les idées nouvelles qui seront le socle de la révolution.
N'oublions pas que nous sommes au cœur du Siècle des Lumières, mouvement culturel et philosophique qui a dominé le 18ème siècle. Les penseurs éclairés de l'époque ont procédé au renouvellement du savoir, de l'éthique par leurs engagements contre les oppressions religieuses, morales et politiques, en faisant triompher la raison sur la foi et la croyance, la bourgeoisie sur la noblesse et le clergé.
En particulier, la franc-maçonnerie, née en Angleterre et en Écosse, concentre tous les caractères des Lumières : sans être anticléricale et antirévolutionnaire, elle est tolérante, libérale, humaniste. En 1789, on compte des milliers de loges qui ont contribué à répandre les idées philosophiques et l'esprit de réforme dans les milieux intellectuels, l'égalité des talents privilégiant enfin les avantages reçus à la naissance.
Définition des Lumières selon Kant : « Les Lumières, c'est la sortie de l'homme hors de l'état de tutelle dont il est lui-même responsable ...».
A partir de 1788, Olympe entre en politique. La tribune des États généraux étant refusée aux femmes et n'ayant pas le droit d'éditer son propre journal, elle se ruine en faisant imprimer et diffuser des milliers de tracts et d'affiches qui exposent ses thèses. Seule façon d'exprimer ses idées. Elle envoie ses écrits à Mirabeau, La Fayette et Necker, qu'elle admire beaucoup.
A la veille de la révolution, démocrate fervente, elle multiplie les manifestes politiques, elle défend le principe d'une monarchie constitutionnelle. Elle repousse même les avances de la reine Marie-Antoinette qui espère la rallier aux royalistes.
En 1789, dans sa « Lettre aux représentants de la nation » elle déclare : « Les uns veulent que je sois aristocrate ; les aristocrates que je sois démocrate. Je me trouve réduite, comme ce pauvre agonisant à qui un prêtre demandait, à son dernier soupir : « Êtes-vous moliniste ou janséniste ? » « Hélas, répond le pauvre moribond, je suis ébéniste. » Comme lui, je ne connais aucun parti. Le seul qui m'intéresse vivement est celui de ma patrie, celui de la France... ».
Elle s'adresse directement à l'opinion par ses pièces de théâtre et écrits, ses pamphlets politiques, ses affiches (à sa mort, elle laisse derrière elle quelque 75 ouvrages), elle dénonce les abus de l'Ancien Régime comme du nouveau, elle lutte pour la liberté, pour les faibles, les opprimés, les femmes, les Noirs, les filles-mères, les enfants naturels, les prostituées, les chômeurs (elle suggère la création d'ateliers nationaux).
Elle propose de nombreuses réformes : lutte contre la tyrannie et pour la justice sociale, liberté d'expression, égalité hommes-femmes, droit au divorce – premier et seul droit accordé aux femmes par la révolution - droit à l'héritage (pour les femmes), suppression du mariage religieux et remplacement par un contrat civil (pacs avant l'heure), reconnaissance des enfants nés hors mariage, accès pour les femmes à toutes les fonctions y compris électives, abolition de l'esclavage et de la peine de mort, création d'un impôt sur les revenus les plus élevés, distribution aux paysans ou à des coopératives des terres en friche, création de maternités et de foyer pour les plus démunis, etc. etc...
Comme le savons, beaucoup de ces propositions ne verront le jour que très tardivement et encore.. nombreuses sont encore en chantier... peu avancé !
Olympe de Gouges a été la première femme française à se lancer dans l'arène publique. Elle revendique pour les femmes les mêmes droits que les hommes. Son mot d'ordre :
« Quelles que soient les barrières qu'on vous oppose, il est en votre pouvoir de vous en affranchir ; vous n'avez qu'à le vouloir ! ».
L'idée d'une égalité naturelle entre les deux sexes était aussi défendue, entre autres, par Diderot, Condorcet, Helvetius et d'Alembert (Des femmes 1774).
En 1791, l'Assemblée constituante produit la Constitution qui exclut les femmes des droits de cité. Olympe de Gouges reprend alors, point par point, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 en les « féminisant » afin de montrer que la nation est bisexuée et que la différence des sexes n'est pas contraire à l'exercice de la citoyenneté.
Extrait de la conclusion de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne qui fut refusée par la Convention:
« Femme, réveille-toi ! Le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l'univers; reconnais tes droits. O femmes, femmes, quand cesserez-vous d'être aveugles ? Quels sont les avantages que vous avez recueillis dans la révolution ? Un mépris plus marqué, un dédain plus signalé... etc.. ».
« Homme es-tu capable d'être juste ? Dis-moi, qui t'a donné le souverain empire d'opprimer mon sexe ? Ta force ? Tes talents ? ... Observe le Créateur dans sa sagesse. cherche, fouille et distingue si tu peux les sexes dans l'administration de la nature. Partout, tu les trouveras confondus, partout ils coopèrent avec un ensemble harmonieux à ce chef d'œuvre immortel, etc.. »
Sur les bancs de l'Assemblée, Olympe a rejoint en 1792 le mouvement modéré des Girondins représenté par le milieu des affaires, de la bourgeoisie, des armateurs et des intellectuels, dont faisait partie Condorcet, savant et député, qui avait fait adopter la notion fondamentale de laïcité de l'enseignement à la Convention nationale.
A l'opposé, se trouvent les extrémistes, les Montagnards ou Jacobins, dirigés par Robespierre, le mollah de l’Être suprême.
Olympe signe une affiche contre Robespierre et Marat, les accusant d'être responsables des bains de sang. « Tu te dis l'unique auteur de la Révolution, Robespierre ! Tu n'en fus, tu n'en es, tu n'en seras éternellement que l’opprobre et l'exécration... Chacun de tes cheveux porte un crime... Que veux-tu ? Que prétends-tu ? De qui veux-tu te venger ? De quel sang as-tu soif encore ? De celui du peuple ? ».
Après son arrestation à Varennes en 1791, Louis XVI est exécuté en janvier 1793, contre l'avis des Girondins opposés à l'exécution du Roi.
En juin, Robespierre dissout les Girondins accusés de vouloir rétablir l'Ancien régime..
C'est la dictature, la guerre civile. Marat, qui propose d'étendre les massacres de prisonniers dans toute la France, est assassiné en juillet par Charlotte Corday.
Mais la France bascule dans la Terreur, elle est menacée aux frontières par toutes les monarchies européennes et par des révoltes intérieures (les Chouans en Vendée).
Les clubs féminins sont interdits.
Afin d'éviter la guerre civile qu'elle redoute, Olympe fait imprimer, le 20 juillet 1793, une nouvelle affiche « Les trois urnes ou le salut de la patrie» qui propose un référendum permettant au peuple de choisir par scrutin direct et pour chaque département un gouvernement, soit monarchiste, soit fédéral ou révolutionnaire.
A charge pour les citoyens de préférer la monarchie, le fédéralisme ou la république.
Mais ceci est en contradiction avec la loi de mars 1793 punissant de mort quiconque tendrait au rétablissement d'un gouvernement autre que républicain, un et indivisible.
Tous ses amis girondins ont fui, sont cachés, ont été arrêtés ou la renient. Dénoncée par son afficheur, elle est arrêtée le 6 août 1793, et réussit à faire imprimer deux affiches « Olympe de Gouges au tribunal révolutionnaire » et « Une femme persécutée », son dernier texte.
Accusée de remettre en cause le principe républicain, Olympe est inculpée par le Tribunal révolutionnaire le 2 novembre. Fouquier-Tinville, l'accusateur, l'accuse de « attentat contre la souveraineté du peuple ». On lui a refusé un avocat, elle est condamnée à mort. Le 6 novembre, 13 brumaire de l'An 2, elle monte sur l'échafaud place de la Révolution – actuellement place de la Concorde bien nommée – elle a 45 ans.
Son éloge funèbre est prononcée: « Rappelez-vous l'impudente Olympe de Gouges qui, la première institua des sociétés de femmes et abandonna les soins du ménage
pour se mêler de la République et dont la tête est tombée sous le fer vengeur des lois... Elle voulut être homme d'Etat. Il semble que la loi ait puni cette conspiratrice d'avoir oublié les vertus qui conviennent à son sexe.».
Marie-Antoinette a été guillotinée en octobre, Olympe est la troisième femme à périr sous le couperet de la guillotine. La première fut Charlotte Corday. Après elles, il y en aura d'autres... Robespierre subira le même sort l'année suivante. La guillotine a décapité plus de 20.000 personnes en France en quelques mois... Elle fonctionnera jusqu'en 1975...Chaque siècle engendre ses horreurs..
Toute les libertés octroyées sous Les Lumières, divorce compris, seront annulées en quelques années – 1793 à 1799 – par Robespierre et plus tard par Napoléon.
Le 30 octobre 1793, la Convention déchoit les Françaises de leur statut de citoyennes :.
« Les femmes avaient joué un rôle décisif dans le processus révolutionnaire ; la République établie, c'est tout naturellement qu'elles devaient s'abstenir de politiquer... pour rejoindre leur foyer afin de réconforter les combattants ».
Le 19ème siècle, bourgeois, conservateur et misogyne, représente Olympe comme une femme galante, entretenue, à l'égo démesuré, égarée dans la politique...
« Héroïque et folle » écrivent les Goncourt. Dans une étude scientifique, un médecin démontre qu'elle souffrait de paranoya reformatoria, traduction : d'idées réformatrices...
« Femmes, ne serait-il pas grand temps qu'il se fît aussi parmi nous une révolution ? Les femmes seront-elles toujours isolées les unes des autres et ne feront-elles jamais corps avec la société que pour médire de leur sexe et faire pitié à l'autre ? »
C'est seulement en 1901 qu'elle sera récupérée par le mouvement féministe, en tant qu'idole militante. ... Quelques extraits de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne seront publiés en 1840 et la version complète en 1986 seulement, grâce à Benoîte Groult... Elle sera au centre de la célébration du bicentenaire de la Révolution française en 1989, ainsi que des textes d'Olympe qui ont été joués et édités.
Aujourd'hui encore, l'aura de ses « Ecrits politiques » est plus importante en Allemagne, aux Etats-Unis, au Japon, qu'en France...
Le droit de vote tel que le souhaitait notre Olympe de Gouges en 1793 dans sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, n'est accordé aux femmes en France qu'en 1945 !!
En Suisse le suffrage féminin n'est introduit au niveau fédéral qu'en 1971 après une votation refusée en 1959. Genève l'avait introduit en 1960 pour les votations cantonales et le dernier canton à l'appliquer sera le canton d'Appenzell en... 1990.
La reconnaissance arrive enfin. En novembre 1993, une manifestation devant le Panthéon de Paris commémore le bicentenaire de l'exécution d'Olympe. Plusieurs pétitions demandant sa « panthéisation » ont été refusées par Jacques Chirac, de nombreux établissements scolaires et lieux publics à Paris et en province ont été baptisés « Olympe de Gouges », la promotion 2010 de Sciences Po porte son nom.
Comme l'écrit Olivier Blanc, dans son livre « Olympe de Gouges, des droits de la femme à la guillotine, Olympe de Gouges s'est battue pour défendre toutes les causes d'oppressions, chaque fois que la liberté ou la dignité d'un être humain était menacée, ses écrits condamnant la violence concernant toutes les formes d'injustice vis-à.-vis des minorités de couleur et des plus faibles.
Telle fut Olympe de Gouges dont je me suis faite l'humble messagère auprès de vous, pour l'inscrire dans votre mémoire, comme elle l'est dans la mémoire de l'Humanité.
Pour conclure... mais y a-t-il une conclusion ? Je ne le pense pas.
Mon propos ici n'est pas un historique du féminisme, mais il semble que l'histoire a été confisquée par les hommes car elle nie la productivité sociale et économique de la femme. En effet, celles-ci semblent avoir commencé à travailler au milieu du XXème siècle après ..........5.000 ans d'oisiveté...!!
Tout comme la Déclaration des Droits de la femme et de la citoyenne, qui est un projet d'universalité, mais n'est pas encore acquis dans les consciences. Le futur est à construire.
La régression menace et la lutte continue dans nos pays et hors de nos frontières : égalité des salaires à travail égal, femmes battues, violées, vitriolées, mariage forcé, excision,
prostitution, génocide des fœtus féminins en Inde, des nouveau-nées en Chine, soumission des femmes pour des prétextes religieux, port du voile intégral, etc... et j'en passe.
Des mots familiers m'interpellent. Droit légitime à l'indignation, dignité, respect, justice, liberté, égalité, fraternité... amour ? Liberté d'expression, liberté de conscience...
Quels sens revêtent ces valeurs à portée universelle dans notre réalité quotidienne ?
Sur quels chantiers luttons-nous contre les inégalités, injustices autour de nos pavés mosaïques ?
« A chacun sa vérité », comme dit Pirandello. La réponse s’élabore dans le creuset de notre idéal de franc-maçonne, de franc-maçon, au plus profond du silence de notre chemin maçonnique, de notre révolte secrète d'homme et de femme, dans notre action.
Rien n'est acquis, soyons vigilantes, soyons vigilants, l'égalité est un processus qui ne s'achève jamais.
J'ai dit.
Christine Mou :., R.L :. Loge Lutèce, G.L.F.S.