Il n’y a pas de deuxième chance pour une première impression. L’initiation est une telle occasion unique. Ce que l’Or ∴ va dire maintenant, on va se rappeler. Cette planche d’accueil en est un exemple. Notre but est de construire une collection de telles Pl :. occasionnelles, pour référence et inspiration…
Ce qui nous réunit dans ce Temple, sous cette voûte étoilée qui symbolise l’universalité de notre propos, c’est un trésor que nous partageons, un trésor qui n’est pas l’objet d’une possession et qui ne saurait l’être, mais l’objet d’une quête, d’une recherche perpétuelle qui nous ramène périodiquement en ces lieux. C’est un trésor qui ne se livre jamais tout à fait mais qui s’entrevoit peu à peu: il est le salaire de notre Travail maçonnique.
Tous ici, nous avons en commun d’être passés par les mêmes épreuves. En quelque temps et en quelque endroit du monde que ce soit, nous avons reçu l’initiation. Mais cette initiation n’est pas un fait accompli. Elle n’est pas non plus un simple but à atteindre après avoir assimilé quelques notions élémentaires au gré de l’une ou l’autre instruction. Cette initiation est un commencement. Être initié n’est rien d’autre qu’être mis sur le chemin. Et sur ce chemin, l’initié ne s’arrêtera plus : la véritable initiation continue, elle est permanente. On n’en atteint jamais la fin car elle n’est pas une destination mais une façon de voyager, de mener sa vie maçonnique, d’une porte à l’autre, d’interrogation en interrogation...
Le rituel balise l’espace d’un moment, l’éternité d’un instant, l’immortalité de notre chaîne d’union. Le rituel est fait de nos paroles éparses mises en commun, de nos aspirations partagées, de nos inspirations ressenties. Il éloigne les pensées parasites et les querelles stériles. Il dispose nos esprits au débat serein et à l’enrichissement de l’échange. Tu verras, mon Frère, qu’au delà de l’aspect répétitif de certaines formules, si tu veux bien prêter attention à la signification profonde de ce que tu entendras, ce rituel fera naître en toi ce souffle qui éveillera ta conscience.
Mon Frère nouvel initié, tout à l’heure, dans l’obscurité du Cabinet de Réflexion, alors que tu n’étais pas encore tout à fait des nôtres, tu as rédigé ton testament philosophique et tu l’as fait en définitive pour toi-même dans le secret intime de ta conscience. Et pour t’aider à dégager ta pensée des soucis de la vie quotidienne, pour alléger symboliquement ton esprit du fardeau du monde profane, le Frère qui t’a accueilli t’a demandé de lui remettre tes « métaux », argent, bijoux, montre, toutes choses par lesquelles l’homme existe dans la société, toutes choses inutiles et même néfastes à l’intérieur du Temple (si l’on excepte le devoir de solidarité qui s’impose à tous). Car les Francs-Maçons, dans le Temple, renoncent à leurs distinctions, avantages, préséances et privilèges. Tous, quel que soit l’apparent éclat de leurs fonctions, sont égaux dans une recherche commune.
Laisser tes métaux à la porte du Temple, mon Frère, c’est aussi laisser à l’extérieur ton travail profane. Sache que les Francs-Maçons ont le plus grand respect pour tout travail, quel qu’il soit et le plus humble soit-il, car toute pierre trouve son exacte et indispensable place dans l’édifice. Cependant, le travail profane au dehors du Temple peut nous séparer, voire nous opposer et parfois même nous écraser ; tandis que le Travail dans le Temple nous réunit, nous réconcilie, nous rassemble et nous fait renaître dans une fraternité qu’à chaque fois nous aspirons davantage à retrouver.
Qu’est-ce qui distingue le Travail maçonnique? C’est qu’il obéit à ce que je serais tenté d’appeler la règle des trois T: T comme Travail, T comme Temple, T comme Temps. Le Travail maçonnique s’accomplit en effet dans un Temple espace couvert et préservé de la violence extérieure et dans un Temps qui n’est pas soumis aux contraintes des horloges ordinaires. Les réunions des Maçons, les tenues, commencent toujours et en dépit du méridien de Greenwich lorsqu’il est midi plein, c’est-à-dire quand le soleil est à son zénith.
C’est une manière symbolique d’exprimer qu’ici, ce n’est pas la productivité qui importe ni le rendement qui compte mais la recherche de la perfection. Ici, on ne se bouscule pas à faire plus de choses qu’on n’en peut et donc à les faire peut-être mal. Ici, la qualité prime sur la quantité. C’est en tout cas notre ambition.
Nous savons que, dans le monde profane, le travail peut nous asservir comme il peut nous enrichir. Il peut nous aliéner comme il peut nous libérer. C’est là toute l’ambiguïté du mot « travail » dont l’étymologie nous ramène au latin « tripaliare » qui signifie tourmenter, torturer, faire souffrir. Souvenons-nous aussi que le travail est le châtiment infligé à Adam lorsqu’il est chassé du pays d’Éden; quant à Eve, elle n’est pas mieux lotie, nous le savons, puisque son travail d’enfantement se fera également dans la douleur...
L’histoire récente nous a aussi montré comment, dans des régimes totalitaires, la glorification du travail pouvait aller de pair avec la paupérisation, l’asservissement des consciences et la destruction du cadre de vie.
Mais le Travail du Franc-Maçon ne consiste pas à gérer une vie ressentie comme une punition, il vise à surmonter sa condition, il est d’une autre nature. Il se définirait peut-être mieux par un autre terme, un terme qui exprime davantage la création, la construction, la transformation, la sublimation et même la transmutation, je veux dire l’œuvre, l’œuvre accomplie par l’homme libre et dictée par son esprit et sa conscience.
C’est ce travail-là qui est notre tâche à nous, Maçons. Dans le travail, nous privilégions la part de l’œuvre et l’esprit qui l’anime en tout lieu et à toute heure. Et ce Travail, bien sûr, n’est jamais achevé car la conscience n’est jamais en vacances. C’est ainsi qu’il se prolonge au-dehors du Temple et au-dedans de toi-même, mon Frère.
C’est un travail totalement libre. Nous pourrions graver au fronton de nos temples la devise que Rabelais inscrivait à l’entrée de son « abbaye de Thélème »: « Fais ce que voudras ». Ce n’est pas une invitation à la paresse. Car il y a le devoir, le devoir de l’initié, le devoir de l’éveillé de maintenir l’éveil. C’est ce que nous attendons de toi, mon Frère, que tu accomplisses ton devoir en pleine liberté. Tu es entré dans une loge qui s’appelle « Labyrinthe ». Que ce labyrinthe où nous nous retrouvons pour poursuivre notre chemin soit aussi pour toi, comme il l’est pour nous tous, un laboratoire, c’est-à-dire un lieu de travail, d’expérimentation et de transformation.
Mon Frère nouvel initié, nous sommes réellement heureux de t’accueillir parmi nous et nous te souhaitons bonne route et bon travail!
J’ai dit, V∴M∴
Le F∴ Michel G∴
R∴L∴ Le Labyrinthe à l’Or∴ du Genevois