Tout commença la nuit.
Une certaine nuit d’hiver, j’étais arrivé à la lumière de mon cœur dans un certain lieu. Là, l’on m’avait momentanément bandé les yeux et, l’instant d’après, le bandeau fut enlevé. Le rideau s’étant levé, la pièce se jouant devant mes yeux était bien peu de chose par rapport à la petite bougie placée un peu en avant de moi et qui éclairait ces lieux d’une lumière blafarde, mais qui, pour moi, me transperçait les yeux d’une aveuglante lumière : j’étais initié.
Ainsi commençait une étonnante Odyssée d’où devait toujours subsister cette lumière des débuts.
La lumière de cette petite bougie m’avait particulièrement frappé. Je n’étais pas forcément étonné qu’elle soit là ; je m’y attendais presque, ou du moins l’avais-je imaginée comme faisant partie intégrante de l’éclairage d’ambiance ; mais c’est sa puissance, sa netteté, son je-ne-sais-quoi qui occultait tout ce qui se trouvait dans son environnement direct, alors qu’elle aurait dû me le faire parvenir plus clairement, qui rendait ce feux-follet particulièrement éblouissant.
C’était précisément parce qu’elle me parut représenter bien plus que l’éclairage d’ambiance que sa présence me toucha.
Cette petite lumière devait me révéler bien des choses. Tant dans le temps sacré des travaux, que dans les tribulations et les adversités du monde profane, cette flamme devait chaque fois me rappeler l’étonnement de ce commencement, la beauté de chaque instant et l’étonnante durée du temps.
Ce moment était très fort, parce que rien n’existait. Seul subsistait la lumière, comme si elle avait un corps, qu’elle avait une substance et qu’elle n’était pas seulement la manifestation lumineuse et mobile d’un feu ; cette flamme avait une âme.
Je commençais donc mon chemin maçonnique en ressentant toujours le parfum de cette lumière. Je tentais, comme Pierre dans Guerre et Paix, de comprendre ce nouvel enseignement et d’en décerner l’applicabilité. Pourtant, au-delà de l’enseignement, des instructions et des outils, la flamme des débuts se rappelait toujours à mon esprit.
Il est dit, à la fin de notre rituel : « La lumière du jour s’éteint : conservons en nous celle de son éternelle sagesse. ».
À la lueur de cette phrase, je me demandais souvent quelle sagesse peut donc apporter le jour ? En me levant le matin, l’éclat du soleil apparaît parfois irisé à travers les nuages, parfois caché par les brumes ; souvent ne découvre que la pluie et les temps mauvais.
Pourtant, si la lumière du jour est porteuse de sagesse, alors c’est bien pour mettre en exergue ce temps (météorologique et de mesure) ; de comprendre que la pluie du matin fera peut-être place au soleil du soir et de permettre à notre vie d’avoir un tempo et d’avoir, ainsi, un merveilleux arrière-plan à la grande symphonie de la vie.
À la fin du rituel, il y est également dit que « La lumière qui éclaire le T.·. doit rayonner sur tout l’Univers. ». Et de continuer sur l’importance des devoirs maçonnique. En ce sens, la lumière mets en exergue les devoirs : le maçon ayant reçu la lumière se doit de la partager avec l’humanité. C’est en somme : la lumière de nos qualités. Le maçon reçoit le feu sacré et se doit d’en partager la flamme.
Ainsi, me suis-je souvent posé la question de l’applicabilité de mon enseignement, de ce travaille sur soi-même que tout maçon doit entreprendre lors de son apprentissage. Toujours présente, la lumière était là pour me rappeler le merveilleux étonnement de ces débuts, et de me souvenir que je n’étais pas bien dissemblable à l’Autre, et de pouvoir employer des outils pour construire le temple intérieur, et de comprendre que tailler sa pierre signifie par extension que la place que nous occupons dans ce grand charivari est aussi celle de la pierre dans un mur : ôtez-là et tout s’effondre.
L’avantage que je devais bientôt découvrir en profondeur grâce à notre rituel, est que la FM offre à l’initié un cadre dans lequel la pensée peut évoluer. Bien sûr la pensée se doit toujours d’être libre, mais je découvrais que, lors des travaux, les outils, le rituel, les symboles donnaient un cadre nouveau dans lequel cette pensée pouvait évoluer.
Bien trop souvent dans le monde profane, des débats sans cadre et souvent sans queue ni tête empêchent une véritable réflexion sur le fond du sujet débattu.
La lumière participe à donner un cadre aux débats : elle évolue en fonction du rituel, mettant plus ou moins de lumière à certains temps ; elle marque les points cardinaux, jetant plus ou moins de lumière sur les grades. Elle fait tant partie de notre congrégation que nous sommes bien souvent pris pour des illuminés !
En commençant mon chemin maçonnique, je me retrouvais donc sur la colonne du nord où se retrouvent tous les apprentis. Cette colonne est celle qui reçoit le moins de lumière que toutes les autres. Après m’avoir donné la vision, mon parcours débutait pour ainsi dire sans voix. Il est souvent dit qu’il faut perdre une chose afin d’en recevoir une autre. La lumière m’avait laissé entrevoir un monde nouveau et insoupçonné pour m’ôter aussitôt la capacité d’y intervenir directement. Comme si j’étais soudain entré dans un lieu intouchable et intouché, fragile et sacré, ne permettant qu’on y accoste qu’en en connaissant les règles. En écrivant ces lignes, l’image d’un paradis perdu me vient à l’esprit ce qui, je crois, illustre assez bien ce ressenti.
De même que la part d’ombre et de lumière évolue d’un grade à un autre, elle évolue également au gré du rituel. Commençant à midi et finissant à minuit, la lumière prend trois temps, dont deux en miroir pour évoluer dans l’espace sacré. La lumière de midi est semblable à celle de minuit, pourtant elle est différente. L’impatience de l’ouverture de travaux est bien différente de l’apaisement qui arrive leurs clôtures.
La lumière passe ainsi du zénith au nadir, marquant par sa révolution la dichotomie existant entre le soleil et la lune ; l’un brillant de par sa propre substance, l’autre réfléchissant la lumière du premier. J’ai personnellement toujours préféré la lune et me sens attaché à ce bout de notre propre terre qui n’est pas nous, et qui s’éloigne presque en s’excusant. D’ailleurs, il est rappelé dans notre rituel du solstice d’hiver que c’est grâce à la lumière de la lune sont prêt à renvoyer leur propre lumière, devenant alors eux-mêmes source de vie.
Ainsi, la lumière évolue dans le temps sacré des travaux, mais la lumière nous dépasse : elle marque également la révolution des astres et le changement des saisons. Comme la révolution de cette lumière, je connaissais une évolution similaire. Peu avant l’initiation, j’étais remonté de cette sorte de grotte obscure et minuscule où j’avais écrit un testament qui devait partir en flamme. Mais la lumière ne marquait pas seulement mon initiation. L’évolution de la lumière se fait au rythme des saisons, métamorphosant la nature et les hommes avec le passage des jours.
Ce changement est particulièrement sensible aux solstices. À celui d’hiver où les heures tombent, ou à celui d’été où la lumière réchauffe nos cœurs. Notre rituel du solstice de la Saint-Jean d’été dit : « Le solstice d’été, c’est la fête du Janus qui regard vers le passé, l’homme qui s’arrête un instant pour contempler le chemin parcouru et méditer. » et de continuer : « (…) les francs-maçons sont symboliquement les disciples de Jean, car ils sont les enfants de la Lumière et en sont les témoins dans le monde. ». Ainsi, les francs-maçons portent en eux cette lumière qu’ils portent, je cite : « (…) au travers des aléas de l’existence. » ; la lumière réchauffe au solstice d’été les corps et éclaire les pensées à l’aune du chemin parcouru.
À l’opposé de la révolution terrestre, le solstice d’hiver ne rend qu’une pâle lueur à l’homme. À cette date, «(…) seule la lumière de l’esprit brille dans les ténèbres.», lumière qui est l’amour et l’espoir. Là où l’été incitait à une réflexion sur le chemin parcouru, la lumière de l’hiver porte à l’action, demandant au franc-maçon de relayer le soleil et, à son tour, de donner cette lumière.
Aux solstices, le maçon marque le début et la fin d’une nouvelle période. Ce changement de lumière est symbolisé par la rose rouge et la rose blanche. Ces fleurs apportent symboliquement ce qui manque à la période à laquelle on la donne et nous fait penser à nos frères des antipodes qui eux, se donnent la fleur opposée.
Quelle plus belle image de la lumière ! Au travers de ces roses, je ressentais le bonheur du changement des saisons. Soit, elle me faisait espérer à des jours plus beaux, soit elle me laissait me réjouir de la beauté des prochains mois ! Elle symbolise la lumière par la représentation que l’on s’en fait : par des événements, des rites de passages ; par ce qui est nécessaire à la vie humaine en son cœur : par des fêtes.
Et quelle plus belle fête que celle qui marquait de son tempo régulier deux soirées par mois ? et de se rappeler, de se réjouir qu’un autre jour viendra et qu’une autre soirée arrivera et que tout cela n’est pas uniquement le remplissage d’une vie, mais bien la vie elle-même.
De pouvoir se réjouir de l’été au plus profond de l’hiver et des fleurs quand les feuilles tombent : de marquer le passage des saisons par l’espoir renouvelé et de savoir qu’importe la suite, mais que tout cela recommencera ; et de toujours pouvoir retrouver cet espoir avec chaque matin, c’était là le plus beau sens qu’on puisse trouver à la vie !
Mais alors, quelle est mon rapport à la lumière ? Car, si elle a bien illuminé une nouvelle période de ma vie, même si cette flamme, ce feu sacré, ne me quitte plus depuis : comment tout cela avait-il commencé ?
Par la nature, dans toute sa beauté et sa simplicité.
«À ceux qui cherchent, la nature montre toute chose.[1]»
Petit, mon père me prenait presque chaque jour pour aller sur les sentiers, nous balader et voir, au détour d’un chemin de cailloux, des fleurs qui étaient des palais et des arbres qui étaient des châteaux. Mais ce dont je me rappelle le plus de ces temps anciens est cette lumière qui venait réchauffer mon cœur, et qui aujourd’hui encore, lorsque je la retrouve au détour d’un chemin, me murmure : souviens-toi.
Et alors je me rappelais cette lumière quasi merveilleuse qui donne cette teinte jaune à tous ces souvenirs, comme ces vieilles photos usées par le temps et que l’on garde dans une petite boîte. Et je voyais alors la beauté magique de la nature, et je commençais à comprendre la bêtise de ce que l’on appelle les époques : ce soleil n’était pas différents de celui d’hier ni de celui de demain. D’autres avaient parcouru ce chemin avant moi, d’autres le parcourront après moi. Ma vie n’est qu’une voix pour la Nature. Et le vent emporte cette voix de l’autre côté de l’horizon pour m’apprendre l’humilité.
C’est ainsi que je commençais à me demander que faire de ce temps qui m’étais imparti, car la bougie brûlait avec force et vigueur et l’on n’est jamais à l’abri d’un coup de vent. C’était ainsi qu’une certaine nuit de novembre je devais finir et commencer tout à la fois par retrouver cette lumière de mon enfance et ne la plus perdre depuis.
Petit, ma mère, fervente croyante, me racontait qu’en chacun de nous existe une lumière et nous fait ainsi rayonner. Elle m’expliquait ainsi la part de l’esprit divin qui se trouve en nous, mais il m’en semblait tout autrement. Je ne pensais pas qu’une entité ait mis plus ou moins de lumière en nous, je voyais plutôt celle-ci du côté fraternel.
Comme si nous allions vers les personnes qui détiennent une lumière similaire à la nôtre. Dans le monde profane, cette lumière prend plusieurs noms : mêmes hobbies, mêmes pensées, mêmes envies. Pourtant, cette lumière est pour moi véritablement celle de l’âme. Nous ne nous rencontrons pas parce nous aimons tous les carottes ; nous nous rencontrons car la fraternité est le ciment, la pierre angulaire et la gloire de notre antique confrérie. Et le fruit de la lumière est la fraternité, qui s’exprime par « (…) nos pensées, nos actes et nos paroles [2] . ».
En ce sens, je voyais donc chez les autres une lumière semblable à la mienne. Je n’avais pas à chercher, d’ailleurs je ne m’expliquais pas pourquoi aller vers telle ou telle personne ; la lumière de notre âme nous pousserait inexorablement les uns vers les autres ?
Je suis convaincu de l’existence de la destinée. Pour moi, il ne peut y avoir d’accident, de chance ou de hasard ; ce qui arrive n’est d’ailleurs pas l’œuvre d’une quelconque déité : l’homme construit sa propre maison et son agencement est sa propre œuvre. Toutefois, j’accepte que certaines choses (par manque de meilleur mot) nous dépassent. L’univers n’a pas été construit par l’homme, ce dernier n’en a construit que sa propre vision. Ainsi, la lumière s’inscrit dans cette conception : comment prédire, comment accepter scientifiquement le ressenti d’un moment à caractère fantastique ? Pourquoi un petit feu éphémère peut amener une réflexion sur soi, sur le monde, et apporter des clés de lectures, s’il n’a pas un certain côté ‘magique’ qui dépasse toute conception d’un univers où les lois mathématiques et physiques semblent pouvoir tout expliquer ? C’est cette petite flamme qui devait allumer de grandes réflexions. Et je pensais à présent que bien que l’homme contrôle son destin, son fatum, je ne pourrai jamais expliquer ma vie : elle détient, même pour moi, une grande part de magie et de mystère.
Cette lumière, cette flamme des débuts, me renvoyait aussi à ma propre existence : comme elle, je naquis un jour, comme elle, je poursuivais ma vie, tentant de tenir bon sous les coups de vents, comme elle je m’éteindrai un jour.
Ainsi, non content de représenter également une nouvelle représentation de ma vie, cette flamme en symbolisait également son parcours.
Notre rituel parle aussi, lors de la chaîne d’union, et de nos maîtres vénérés qui la formaient hier.
Souvent la bougie me rappelait à ce temps jadis, et je pouvais ressentir à chaque fois ce message qui remontait des âges et surgissait à l’appel du présent avec la force du passé. Comme si la lumière, telle les essais d’autrefois sur le magnétisme, ramenait leurs présences, présent par leurs pensées et le rapprochement des cœurs, se faisant l’écho des idées et des âmes ; rappelant l’époque des lumières à notre époque contemporaine.
Finalement, quelle aura été ma route le long du chemin maçonnique ? Car, si le parallèle avec des passées plus ou moins lointains et des avenirs incertains apparaissaient évident pour moi à la lumière de cette flamme, celle-ci éclairait mon parcours maçonnique depuis plus de deux ans maintenant, et telle le jeu de lumière de la loge à chaque fois changeant, mon parcours n’aura pas été qu’une ligne simple et paresseuse : arrivé avec une lueur dans les yeux, j’avais rencontré pendant tout ce temps un renouvellement constant d’idées nouvelles qui aidaient à éclairer mon chemin.
De la fraternité, je ne connaissais que les aprioris : seuls mes amitiés ponctuelles retrouvaient, parfois, un écho à mes idées et à mes aspirations. Je trouvais ici la véritable valeur de la fraternité : celle où des inconnus se retrouvent à la lumière de l’esprit.
Et de découvrir une nouvelle appartenance.
De la remise en question : je n’en avais que trop eu. Mais ces réflexions étaient par trop décousues et m’avait parfois amenées vers des lieux bien sombres. Après chaque tenue, je ressortais avec un espoir renouvelé et je me découvrais un nouveau respect pour cette humanité que j’avais trop longtemps renié.
Et de savoir que c’est au travers de soi-même que l’on améliore l’humanité.
De la vie, il m’arrivait de n’en apercevoir qu’un tableau sans globalité : mais c’est en repensant à chaque fois à nos outils que je découvrais l’utilité qui pouvait en découler dans le monde profane.
Et de comprendre que le travail n’est jamais terminé et que «La vie est la lumière des hommes.»[3]
Souvent je rencontrais des moments troublés, des bas (nous en avons tous), de se perdre un peu soi-même l’espace d’un instant, de perdre quelqu’un, de se demander où tout cela nous mènera ; de perdre pied et de penser tout arrêter, contempler le vide et y trouver l’horreur ; de voir la folie des temps et de ne plus retrouver ce que nous y voyions avant ; mais, dans ces moment-là, je devais toujours me rappeler que tout n’est pas perdu, que si une petite lumière peut créer un univers entier, même la plus petite action aura un impact immense, et de penser que c’est par l’exemple de nos qualités que nous érigeons les beaux jours de demain et de savoir que, comme l’aurait dit Einstein, l’obscurité n’est, au final, que l’absence de lumière.
Adrien Fra.
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[1]Rituel de la Saint-Jean d’hiver
[2] Rituel de la Saint-Jean d’été
[3]Rituel de la Saint-Jean d’hiver