Nous sommes au cœur de la nuit… C’est le solstice d’hiver, une borne temporelle marquée du sceau de Janus, le dieu à deux visages : l’un contemple les ténèbres du passé, les nuits les plus longues, l'autre regarde la lumière à venir, les jours les plus longs.
« Post tenebras lux » comme le dit la devise de Genève. « Après les ténèbres, la lumière ». Après l'obscurité des consciences viendra leur illumination.
Mais est-ce vraiment aussi simple, mes Sœurs et mes Frères ? Suffira-t-il d’attendre pour que jour après jour, la lumière éclaire les hommes ? Certes, le calendrier nous annonce des jours meilleurs, plus clairs et plus doux. Mais les sociétés et les hommes connaissent des saisons qui obéissent à des rythmes plus complexes et parfois bien incertains, où la lumière se fait attendre car il ne suffit pas de l’invoquer pour qu’elle s’établisse. Il y faut beaucoup de persévérance et de volonté.
Car les lumières de la connaissance sont sans cesse en butte aux attaques des obscurantistes de tout poil. Là où naissent, au sein des dictatures, des aubes prometteuses de démocratie et de liberté, là où, sur les barricades, se sacrifient parfois quelques esprits éclairés, ne voit-on pas souvent, dès le lendemain, des foules aveuglées remplir les urnes de bulletins de vote qui seront autant de cautions pour une tyrannie future ?
Il nous faut être clairvoyants, mes Sœurs et mes Frères, car il est toujours facile de juger la face obscure de l’histoire et nos erreurs du passé mais toujours difficile de faire mieux dans l’avenir. Faire mieux… Notre conviction de francs-maçons est que l’homme est perfectible. Notre histoire nous rappelle que le temple de l’humanité est souvent détruit et toujours à rebâtir.
Le solstice d’hiver, illustré chez nos ancêtres latins par la fête du soleil invaincu, « sol invictus », est le symbole, tout à la fois, de la permanence et du renouveau, de la tradition et de l’évolution. A quelques jours près, il marque le début d’une nouvelle année dans l’ère profane ainsi que dans l’ère maçonnique dite « de la vraie lumière ».
Le moment est donc venu des bonnes résolutions. Et pour que cette « vraie lumière » brille un peu plus au cours de cette année qui va s'ouvrir, il nous faudra travailler. Et travailler, pour les francs-maçons, cela commence le plus souvent par se poser des questions. Je vous en propose quelques-unes en vrac :
— Pourquoi notre société, beaucoup plus riche qu’il y a cinquante ans, n’aurait-elle plus les moyens d’assurer les bases indispensables de la solidarité ?
— Pourquoi pénalise-t-elle les petits pour les erreurs des grands ?
— Pourquoi s’entête-t-elle à faire le succès des idées qui ont fait faillite ?
— Pourquoi, de plus en plus, le cynisme tient-t-il lieu de culture ?
J'arrête là, Vénérable Maître, car je ne veux pas faire ici l’inventaire des sujets possibles au bac de philo. Je souhaite simplement que, grâce au double regard de Janus, nous rêvions ensemble (tout commence souvent par le rêve), nous rêvions d’un monde sans exploiteurs, sans fanatiques, sans dictateurs, sans dogmatiques, sans prédateurs, un monde avec du cœur ! Naïf, me direz-vous peut-être !… Je préférerais « candide », surtout dans cette bonne ville de Genève qui appartient autant à Voltaire qu’à Rousseau.
La naïveté, c’est évidemment un peu cruche ; la candeur, c’est un autre mot pour la blancheur, celle de la moitié du pavé mosaïque, celle de nos gants qui est censée exprimer « la pureté de nos intentions », celle des roses blanches qui symbolise la sagesse de l’initié au solstice d’été. La candeur, c’est aussi la vision sans préjugé. Il faut réhabiliter la candeur.
Vénérable Maître, quand je regarde une loge maçonnique, comme la nôtre en cet instant, je me dis qu’elle est vraiment bien faite (un peu d’autosatisfaction, c’est bon pour notre moral…) Bien faite donc. Pourquoi ? Sur la colonne du midi se tient le Frère Trésorier qui équilibre les nombres. Juste en face de lui, sur la colonne du Nord se tient le Frère Hospitalier : il veille et assiste. D'un côté, l'exactitude de la bonne gestion et de l’autre, la générosité agissante, n’est-ce pas là un très beau modèle pour notre société profane où, à l’inverse, ceux qui comptent étouffent ceux qui veulent aider, où la rapacité tue la justice et où la marge bénéficiaire entrave la marche vers le progrès ?
Mes Sœurs et mes Frères, vous allez emporter tout à l’heure ces roses rouges… Que la force de l’esprit et de l’amour qu’elles symbolisent vous accompagne tout au long de l’année de vraie lumière qui s’ouvre à nous tous.
J’ai dit, Vénérable Maître.
Le F∴ Or∴ Michel G∴ R∴L∴ « Le Labyrinthe »
Images:
Michelangelo, Sixtine Ch: _Separation_of_Light_from_Darkness Domaine Public
Red_Rose_on_a_White_Background Brandy Cross 2013 CC 3.0