C’est la plume légère et féconde sur la page déchirée, ce sont les flocons de neige qui éclatent sur l’asphalte, c’est la fleur dorée assoiffée, c’est le goût sucré teinté d’amertume, ce put être le mot heureux, ce dut être le cadeau, ce fut la dague acérée, la parole malheureuse, l’affliction, en un mot, le verbe endommagé.
« Faire ou ne pas faire », et pourquoi pas également « dire ou ne pas dire », ou du bon usage du verbe. Il pourrait être dit qu’aux voilures grandes déployées, les mots s’entrelacent dans l’esprit bien fait et que de son mauvais usage le verbe et pas seulement lui, sombrent dans de sinueux stigmates que le temps efface peu ou prou.
Le langage, le mot, le verbe, lorsque nous sommes en possession de nos facultés, toujours à notre volonté s’arriment. Quel est le mouvement qui tend à en nous en faire faire tel ou tel usage; dans tous les cas, la conscience et ainsi la responsabilité, cette responsabilité qui nous appartient et qui nous fait agir de telle manière face à une situation donnée, nous conduisant dans une direction qui quoi qu’il en soit est celle de notre choix. Mais le cas fut simple s’il n’était que la responsabilité, est bien souvent partagée. Nous Franc Maçons et Franc Maçonnes qui taillons chaque jour notre pierre, les valeurs que nous prônons nous permettent de contrôler ce que nous disons mais surtout, d‘anticiper les effets du langage et donc d’organiser notre pensée avant que de parler et/ou d’agir, dans le but essentiel de privilégier l’harmonie. La parole circule avec parcimonie et tempérance.
Il eut fallu que l’être humain par nature ne soit pas affublé de faiblesse et de tentations. Peut-être est-ce là la véritable richesse, l’imperfection de l’homme qui offre la diversité, et agit en faveur du bannissement de la parole monolithique et de la pensée unique.
Le bon usage de la parole, qu’est-ce donc à dire ? Approchons nous de plus près des mots et l’on pourra observer qu’ils sont en réalité suaves, nous apprendrons que les dénaturer tend à les vulgariser, que les vider de leur essence les soustrait parfois de notre volonté et ont l’effet contraire à cette dernière. Ils sont nombreux, uniques, puissants. Ils recèlent le cœur et l’âme de leur locuteur. Ils en ont l’âme. L’intention mal servie peut féconder le verbe honni sous les plus belles parures. La noblesse d’esprit le parera de l’éclat de pureté et l’œil de l’auditeur scintillera d’une couleur vive lorsqu’il aura plus de joie pour le recevoir que de peine pour l’oublier ; l’agiter avec force voix l’emportera sous de funestes horizons et aux larmes succéderont la rancune mais jamais l’oubli. Le mot et c’est son paradoxe, est bien plus souvent oublié lorsqu’il est joli que lorsqu’il subit une distorsion. A ce moment il inflige une empreinte indélébile dans la mémoire car comme disait Nietzsche « seul ce qui fait mal est conservé dans la mémoire ».
Ainsi il revient à dire qu’utiliser bien les mots, ne pas les banaliser, les respecter, tend à ne négliger pas son prochain. Rien ne doit être oublié en leur usage car même lorsqu’ils se mettent en retrait, ils ont le pouvoir de distiller l’essence même de la pensée profonde, celle qui n’a pas d’apparat. Ils restent le miroir de l’âme et nul habit des plus somptueux ne les fera mentir.
Si la maîtrise du langage signifie la maîtrise de soi, il faut probablement pour ce faire prendre également en compte d’autres facteurs tels que le niveau d’instruction, l’éducation, la personnalité, l’histoire de vie, tous ces facteurs composant l’aptitude à accéder à la notion de responsabilité; toutefois cela n’apparaît pas si certain car la capacité à la bonté n’a pas de frontière sociétale et prenons pour en faire la démonstration l’extrait du livre d’Edouard Schuré « les grands initiés » : « Entre ce roi, sur son char doré, entouré de ses guerriers, et ce muni presque nu, n’ayant d’autres armes que sa pensée, sa parole et son regard, il y aura une lutte. Et le vainqueur formidable ce ne sera pas le roi ; ce sera le solitaire, le mendiant décharné, parce qu’il aura la conscience et la volonté » ; et nous Franc-maçons et Franc-maçonnes, la solitude n’est pas notre apanage, mais plutôt l’humilité du discours au nom de la sagesse et du travail que nous accomplissons; oui, la parole tient de la valeur morale et c’est ainsi que le verbe se fait outil au service des valeurs communes fondamentales à l’équilibre des rapports humains et à la Transmission.
« On peut si on veut ramener tout l’art de vivre à un bon usage du langage » écrit Simone Weil, la philosophe Française née en 1909. Cette citation est tout aussi controversée par le proverbe chinois « Ce ne sont pas ceux qui savent le mieux parler qui ont de meilleures choses à dire ». Cela n’est-il pas fascinant que d’observer ces deux quasi-oppositions ? Elles suggèrent en fait que la bonne utilisation du verbe puise ses sources dans des horizons divers et qu’à l’aide du bon sens la « parole » sera rendue audible et deviendra un outil que l’on maniera avec le plaisir, celui qui est au fond du cœur et non celui qui est serti de faux diamants.
Le verbe, de son étymologie grecque, Logos, qui signifie parole ou suite de mots prononcés est un des trois piliers de la rhétorique soit de l’art de convaincre, avec le Pathos, l’émotion, la séduction, l’empathie, et l’Ethos, la prestance, l’éthique. Sous couvert d’une légère digression en ce propos, s’agit-il bien de vouloir toujours convaincre ? non nous dit la vie. Le verbe s’étire du son jusqu’à la gestuelle mais aussi et c’est là qu’il se teinte de préciosité, le verbe se fait chair revêtant la robe de la raison, de la pureté. Evangile selon Saint Jean chapitre 1 ; « au commencement était la Parole ».
Le verbe, du blanc et du noir, de la lumière et de l’ombre, du divin à la notion de logorrhée, long bavardage inutile; de la douce et belle parole à « avoir le verbe haut ». De l’emphase à la tribune au mot timide susurré subrepticement. Lorsque le verbe s’orne de la noblesse de cœur, la sagesse n’est pas loin qui sait faire voguer paisiblement les uns et les autres ensemble : point d’orage ni de tempêtes, tout au moins quelques nuages.
Nous pourrions et pourquoi ne pas le faire car finalement cela est bien plaisant et il serait inutile d’ignorer un instant de plaisir lorsque l’intention est bonne, nous pourrions donc emprunter les voix de l’imaginaire pour faire la démonstration de cette plus que jamais impérieuse nécessité du bon usage du verbe.
Subodorons que le verbe est une eau si limpide que le baigneur en ses mouvements de brasse, dessine la grâce divine; La lenteur du temps est propice à la rêverie que la moiteur aurait endolorie. Le paysage est beau, l’été s’est installé. Non loin de là surgit une vieille bâtisse grisâtre aux cheminées hautes crachant de noires fumées comme expiant la nature féconde. L’usine déverse lentement et insidieusement ses huiles lourdes et épaisses dans le courant de la belle rivière. C’est un tonnerre dans ce tableau, une tache indélébile qui éprouve le regard, une blessure qui meurtrie le peintre, une fuite certaine du baigneur.
Il en va ainsi des effets du verbe. Douceur ou turpitude ? aube ou crépuscule ? ce qui pourrait être la bienfaisance envers notre interlocuteur, ce qui aurait pu être douceur et grâce, finalement se noie dans des méandres sans fond lorsque la parole et l’idée sont assombries. L’eau qui s’écoule vers de purs horizons : si la parole mesurée n’avait pour but universel que d’offrir la bonté, elle serait le message qui s’écoule avec limpidité. Ainsi elle n’irait ni tarir le cœur de l’auditeur, mais encore moins, celui du locuteur. Il est des contrastes qui construisent, il en est d’autres qui infligent la disgrâce; la blessure n’appartient jamais uniquement qu’à l’autre et voici bien la peine ; pulsion ou volonté ? L’erreur annoncée. Notre travail personnel nous permet de n’oublier jamais cela et qu’avec force volonté, les choses peuvent changer. Y travailler seul est rude, à plusieurs, c’est merveilleux.
A quoi sert de rendre le verbe prolifique, la beauté est modeste et clairvoyante. Qu’il soit une discipline que l’on fait maître dans l’art de vivre. Victor Hugo disait : « l’austère vérité n’a plus de portes closes : tout verbe est déchiffré ». Sous les arcanes du non-dit se lit indéfectiblement la vérité. Ainsi le verbe n’usurpe jamais la pensée. Il serait opportun de poursuivre sur cette voix mais elle nous conduirait à la bonté suprême et cette dernière se passe de la parole. Les divergences, la diversité des sensibilités sont constructives ; ne les fuyons pas car elles illuminent le dialogue pour un monde meilleur. Portons-les au cénacle car la guerre est plus facile à engendrer mais moins aisée à mener que la paix ; le bon mot doit être l’offrande offerte au groupe et à soi-même, loin de la démesure. Écoutons aussi celui qui se tait, en son silence il transcende toute théorie qui se voudrait unique. Croyons-nous que le muet n’a rien à dire, il va bien au-delà des mots.
Sommes-nous guidés en nos propos par le besoin ou l’envie d’ouvrir la porte ? Notre interlocuteur ne pourra apprendre ce qu’il y a à apprendre, que lorsqu’il aura acquis la confiance que nous distillons. Le message doit être clair et empreint de quiétude en son but. Une solution s’offre qui repose sur notre travail: sincérité, loyauté, humilité.
Toute cette prose aurait pu être de la simple théorie mais nous savons qu’il n’en est point. Le sujet ainsi abordé est une introduction à notre propre réflexion. Avoir choisi de traiter le mot « verbe » plutôt que le mot « parole » revient à sacraliser l’importance de notre discours invitant peut être ainsi à refondre notre mode de pensée lorsque nous nous éloignons du divin auquel chacun de nous tend. J’aurais pu énoncer moult citations en référence à mon propos. J’ai voulu simplement féconder les mots et l’idée.
La notion de responsabilité est primordiale dans l’usage que l’on fait du verbe car il en va de l’équilibre du groupe, de notre propre équilibre, mais surtout des relations interpersonnelles à l’heure où nous glorifions le travail et témoignons ce midi et à nouveau, de notre amour pour l’humanité.
Martine T L. Tempérance
L. Tempérance