La rédaction des Cahiers Bleus est heureuse de vous présenter notre interview avec Philippe Guglielmi, Très Sage et Parfait Grand Vénérable du Grand Chapitre Général du Rite Français du Grand Orient de France et ancien Grand Maître du GODF (1997-1999).
C'est par son travail dédié et celui du Conseil de l'Ordre qu'il présidait que la renaissance du GCG [1] a pu se réaliser à La Rochelle en 1999). L’Illustre F :. Guglielmi est aussi une personnalité politique, promoteur d’une Laïcité inclusive, qui réunit.
L’occasion de notre interview a été l’exposition actuellement proposée au Musée de la franc-maçonnerie sur le thème, des 230 ans d’agrégation du Grand Chapitre Général du Rite Français au GODF.
Expliciter les principes du Rite Français participe à une meilleure visibilité du RF dans notre Obédience aux rites multiples, travaillant en harmonie. Pour les FF :. et SS :. qui nous lisent nombreux, qu'il soient au trois premiers Gr:. symboliques ou aux Grades de Sagesse de notre G :. C :. G :. H :. , cette contribution à la compréhension du Rite Français est d'un grand intérêt et aussi d'actualité pour inspirer le travail en cours dans nos ateliers et vallées.
PG : Permettez-moi d'ajuster la question. Le Rite Français a bien plus que 230 ans. Bien sûr, la période qui va de 1786 à 1788 constitue le moment-clé du Rite Français, celui où son continuum initiatique et sa structuration se sont établis grâce à l'agrégation du Grand Chapitre Général au Grand Orient de France, obédience libérale la plus importante d'Europe continentale. Mais en réalité, les textes originels du Rite Français sont issus de la traduction directe en 1728 des rituels anglais importés en Europe après 1717. On peut donc dire sans rougir que le Rite Français est consubstantiel de la franc-maçonnerie. Cette précision préalable corrobore d'ailleurs ma réponse à votre question : s'il devait y avoir une caractéristique distinctive unique du Rite Français, je dirais qu'il est le Rite de l'émancipation, dans tous les sens du terme, émancipation de l'homme, des structures et des sociétés.
IT : Comment, le R :. F :. laïque abrite-t-il le croyant fervent, l'agnostique tolérant et l'athée militant?
PG : La réponse est contenue dans votre question. Car c'est justement la laïcité, au sens où nous l'entendons [2] (et c'est la seule acception légitime à mes yeux), qui constitue le vecteur idéal, le centre de l'union qui permet à tous de s'y sentir bien, en fraternité et en harmonie. Peu nous importe à qui nos frères et nos sœurs adressent leur prières dans leur for intérieur. Tous se retrouvent à niveau dans un rite de liberté, qui laisse libre court à la tradition comme à l'inventivité maçonniques. Je n'ai d'ailleurs pas le souvenir qu'un seul membre croyant du Grand Chapitre se soit jamais senti marginalisé ou écarté par le rite qu'il pratique. Et comme T:.S:.P:.G:.V:., je ne l'accepterais d'ailleurs pas.
IT : Les symboles et légendes des religions sont-ils constitutifs, allégoriques ou incompatibles avec la laïcité du R :. F :. ?
PG : Tout d'abord, il est rare qu'un symbole, s'il est lié à une religion, renvoie à une référence unique et exclusive. Ensuite, les fondateurs de la franc-maçonnerie se sont investis dans leur édification avec la culture, l'environnement, les pratiques, qui étaient ceux de l'époque et on peut comprendre que les rituels soient émaillés de références religieuses qui gouvernaient alors naturellement toute transcendance.
Les symboles et les rites sont, au fond, un langage qui permet à tous de se comprendre, quel que soit leur niveau d'instruction. Le symbole, en cela, est neutre d'adhésion spirituelle, même s'il se rattache à des mythes ou à des références issues de la religion. Celui qui le manie en fait ce qu'il en veut, lui accorde la signification qu'il souhaite, mais son intention n'empêche jamais qu'il soit compris par ses interlocuteurs, puisqu'ils en ont validé concomitamment le sens grâce à la connaissance du rituel et à la pratique maçonnique. C'est d'ailleurs vrai pour le rite Français comme pour les autres rites.
IT : Quel idéal servir, deux siècles après les Lumières: transformer l'ordre social ou l'améliorer tel qu'il est?
PG : L'améliorer, c'est déjà le transformer, vous ne croyez pas, dans la société telle qu'elle est ordonnée aujourd'hui ? L'homme a, depuis quelques décennies, laissé échapper son destin à d'autres puissances qui souvent le dépassent, si bien que la marge de manœuvre des humanistes paraît se réduire comme peau de chagrin. Trouver des voies d'amélioration dans ce contexte, c'est en définitive engager une transformation en douceur. Pour autant, l'idéal doit viser, autant que faire se peut, l'utopie d'une société fraternelle. C'est la qualité de fraternité d'une société qui me semble devoir être la mesure de la progression d'un idéal à servir dans l'esprit des Lumières.
IT : En quoi consiste la sagesse des Grades de Sagesse? Comment la décrire, comment la reconnaître si on la rencontre?
PG : J'aimerais répondre à cette question par ce mot magnifique d’Émile Zola : "Il n'y a qu'une sagesse, n'être que ce qu'on est, mais être solidement."
Cette phrase décrit parfaitement la manière dont j'entrevois les choses : n'être que ce qu'on est, c'est savoir faire preuve de lucidité et d'humilité. La lucidité, c'est se connaître. L'humilité, c'est le garder pour soi.
Mais la solidité, voilà sans doute l'apanage principal de ceux qui pratiquent les ordres de sagesse, tous engagés dans leur loge bleue et qui choisissent pourtant, avec ténacité, d'amplifier leur cheminement initiatique. Avec ces Frères et ces Sœurs-là, il y a de quoi construire un avenir solide pour la maçonnerie libérale.
Propos recueillis par Ioan Tenner
__________________
[1] A ce sujet voir « Interview Philippe Guglielmi : Du renouveau à l’essor du Rite français » propos recueillis par Hélène Cuny, Franc Maçonnerie magazine, Hors Série, No 3, p. 61, Novembre 2016
http://www.fm-mag.fr/hors-serie-n3
[2] Interview dans Hiram.be | Philippe Guglielmi et la laïcité Geplu :
« La laïcité ce n’est pas la neutralité c’est la création d’un espace de tolérance dans lequel « ceux qui croient au ciel et ceux qui n’y croient pas » peuvent vivre dans une même société, une même République…
« La laïcité c’est la séparation entre la sphère publique et la sphère privée. La République est l’axe sur lequel pivotent ces deux sphères sans jamais s’interpénétrer.
La laïcité n’est pas antireligieuse, elle refuse les dogmes, c’est pour cela que j’ai mis au goût du jour le néologisme a-dogmatique en plaçant le a privatif devant le mot dogme), les intelligences supérieures et les vérités révélées, qui voudraient s’imposer au plus grand nombre au mépris des lois. »
http://www.hiram.be/blog/2014/10/27/philippe-guglielmi-et-la-laicite/
"La franc-maçonnerie élève des autels à la vertu et elle combat les extrémismes. La Franc-Maçonnerie est le lieu où les différences se permutent en complémentarités et où celui qui croit au ciel et celui qui n’y croit pas, peuvent se rassembler sans se ressembler. À nos yeux, la foi est un choix intimiste que nous respectons, le dialogue entre celui qui croit est celui qui ne croit pas est source d’enrichissement mutuel. Par contre le prosélytisme nous rebute. La quête d’une spiritualité, qu’en ce qui me concerne je vois laïque, en tant que matière de l’esprit, suscite notre plus vif intérêt."
Voir aussi in Olivier Rimbert : La lettre de Philippe GUGLIELMI au député Philippe Doucet qui tacle laïcité et franc-maçonnerie Publié le 29 avril 2015, dans A vous la parole, Politique, Religion
https://aulnaycap.com/2015/04/29/olivier-rimbert-la-lettre-de-philippe-guglielmi-au-depute-philippe-doucet-qui-tacle-laicite-et-franc-maconnerie/
* Circulaire annonçant la fondation du Grand Chapitre Général de France le 2 février 1784. Musée de la franc-maçonnerie (coll. du GODF) Photo Ronan Loaec.