Le 9 juin, le 60e Déjeuner débat de Dialogue et Démocratie suisse dédié à la commémoration des trois siècles de la maçonnerie «spéculative» a connu un succès évident ; avec tant de participants, les discours ont eu lieu dans la grande salle du Temple. Les présents, FF, SS de toutes Ob:. et invités ont écouté avec grand intérêt des discours que nous avons envie de résumer par une idée simple et optimiste :
Il y a une seule grande fraternité initiatique, de tous ceux qui œuvrent à réunir ce qui est bon, beau et juste dans l’Humanité si éparse. Oui, les idées peuvent devenir réalité, il suffit d’y croire et d'agir avec sagesse, bon sens et constance.
De ce bel événement, nous présentons ici - avec l'accord de l'auteur - un texte qui nous semble illustrer avec force ce qui nous réunit.
A l’occasion du troisième centenaire de la création de la Grande Loge de Londres et Westminster en 1717
-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-
La multiplication rapide et anarchique des loges a provoqué un foisonnement d’organismes et de rituels, de doctrines et de courants d’opinion. La formule a en effet suscité des émules. Tous se réclamaient de la Franc-Maçonnerie. Mais étaient-ils tous véritablement maçons ? Poser cette question revient à tenter de définir ce qu’est la Maçonnerie.
Dé-finir, c’est faire une séparation, exprimée par le préfixe de, au moyen d’une frontière, en latin fines. Une frontière implique qu’il y a deux camps : l’un à l’intérieur de la limite, l’autre au-delà d’elle.
Un membre de la famille royale de Prusse a voulu faire de l’ordre et a convoqué le fameux convent de Wilhelmsbad. Il en est sorti un rituel unifié connu comme la Stricte Observance. Bien que répondant à un véritable besoin, ce convent n’a nullement résolu le problème, car en Prusse seulement, on ne comptait pas moins de trois obédiences et rien n’astreignait les loges à suivre ce rituel.
Où chercher la définition de la Maçonnerie ? En tout cas pas à la Grande Loge Unie d’Angleterre ! Celle-ci n’est aucunement la continuation de la création de 1717. Il y a eu en effet deux obédiences en Angleterre, celle des Anciens et celle des Modernes. Les premiers suivaient une inspiration libérale, pas les seconds. Du temps de Napoléon, l’Angleterre a éprouvé le besoin de se rassembler autour de la monarchie et de son gouvernement et les deux grandes loges ont fusionné, d’où le mot unie dans le résultat de cette fusion. Cette dernière consacre la victoire des modernes sur les anciens, de l’esprit obtus sur la pensée libérale.
D’ailleurs ces constitutions portent la marque de leur temps. Il n’est que de penser à ce passage impensable aujourd’hui que le maçon ne peut être « ni femme ni esclave ». Nées dans un contexte révolu, ces Constitutions sont aujourd’hui dépassées à plus d’un titre mais aussi, malheureusement irremplaçables parce qu’il n’y a personne pour les remplacer. C’est un fait incontournable que le monde a évolué ; la pensée, de même. Rien d’étonnant donc à ce que la compréhension des symboles ait changé elle aussi.
Qui oserait aujourd’hui retracer l’histoire du genre humain comme l’a fait Anderson, en ne s’éclairant que des légendes de l’Ancien Testament, à part quelques attardés en Amérique ? Plus personne ne peut croire que le genre humain n’existait pas avant quatre mille ans avant J-C avant la date approximative selon les Constitutions d’Anderson. Quel crédit peut-on faire à cette introduction des Constitutions ?
Pour ma part, je tiens pour acquis que les symboles de la Maçonnerie sont plus anciens que le Christianisme et partant étrangers à celui-ci. Je me permets de renvoyer à cet égard à la publication de mon étude sur l’âge des rituels qui a paru dans la revue Masonica. Sur des rites et des symboles anciens, on a ajouté des paroles imbibées de Christianisme, mais ce n’est qu’un habillage sur des usages plus anciens, dont la signification est en grande partie perdue.
Devant tant d’incohérences, comment définir la Maçonnerie ?
Il n’existe malheureusement aucun organe qui pourrait revoir le texte des constitutions d’Anderson.
Il y a en tout cas une réalité commune à toutes les obédiences qui se réclament de la Maçonnerie, c’est l’initiation. L’ensemble de ceux qui ont vécu l’initiation constituent la Communauté des Initiés, terme que j’emprunte à notre président André Moser. Mais, il faut hélas constater que cette Communauté n’est pas organisée. Il y a pourtant un champ d’actions communes qui pourraient être entreprises par toute cette Communauté. En rassemblant des frères et des sœurs de toutes obédiences, la Maçonnerie pourrait faire entendre sa voix dans un monde en désarroi. N’est-elle pas une force morale, porteuses de valeurs ? Les mêmes ne pourraient-ils par réunir leurs forces pour des œuvres charitables ou des créations de grande envergure ? Et tout simplement au niveau de l’administration, des échanges d’informations permettraient de ne pas accepter dans une obédience un candidat refusé dans une autre. On le voit bien : il y a un énorme champ de possibilité de coopération ouvert, qui pourrait dépasser des querelles de clocher d’un autre âge.
Où trouverons-nous le dynamisme capable de donner à la Maçonnerie un élan nouveau ? En tout cas ni à Londres, ni à Berne ! Cherchez-le plutôt en Italie. Dans aucun pays la Maçonnerie n’a été en butte à davantage de persécutions. Qu’on pense à la succession de malheurs qui s’est abattue sur le Grand Orient d’Italie : la persécution fasciste, le scandale de la P2, puis des procédures judiciaires et parlementaires interminables, le tout sur un fond d’hostilité traditionnelle de certains milieux influents. Le Grand Orient d’Italie, sous la conduite du frère Virgilio Gaito a résisté victorieusement. Je renvoie à son livre « Massoneria, un amore » (paru chez Pontecorboli, Firenze, 2017). On y lira une énumération de projets, dont certains sont grandioses, qui supposent des moyens considérables. En réunissant la Communauté des Initiés, il y aurait moyen de les réaliser. Et le Grand Orient d’Italie a mis sur pied des manifestations en commun avec d’autres obédiences en Italie.
Si je puis donner un conseil, je suggérerais que les obédiences qualifiées de libérales prennent contact avec leurs pendants en Italie. S’il y a un pays où l’on peut dépasser les stupides querelles de clocher, c’est l’Italie.
Que les plus ouverts et les plus dynamiques s’unissent ! Les traînards finiront bien par suivre.
Granite chain, Walti Goehner CC0 Public Domain Pixabay
Le temps Biblique: Adams' Illustrated Panorama of History Public Domain
Pete Georgiev, Welcome to Acacia street 2009 CC BY-NC-ND 2.0 (Merci à l'auteur pour cette vraie œuvre d'art!)