Mieux vaut l’affirmer encore une fois : Une Loge qui n’a pas de mémoire, n’a pas d’avenir – et ceci est vrai pour notre Grand Orient tout entier. Conscients de ceci, nous sommes heureux - sous cette lumineuse image astrale - de publier les souvenirs d’un F:. «aux franges d’or ». Authentique document de notre modeste histoire, ce témoignage garde vivant un chapitre de notre beau voyage, au profit de nos « apprentis». Car il n’y a pas de vieilles histoires; pour un « nouveau né » toute histoire est une première. (Rédaction)
Je voudrais tout d’abord tous vous remercier car c’est avec émotion que je reçois ce tablier à franges d’or, témoignage de 40 ans, exactement 41 ans de maçonnerie au sein de cette loge, ma loge, Mozart et Voltaire.
Paraphrasant Aznavour j’ai envie de dire : Hier encore j’avais vingt ans, je caressais le temps et jouais de la vie.
Eh bien le vendredi 11 avril 1975, je n’avais pas vingt ans, mais 33 ans, rétrospectivement j’en suis assez fier car je n’avais rien prémédité et il n’y a pas de hasard.
1975 c’était moins de 10 ans, soit 8 années après la fondation de Mozart et Voltaire en 1967 et d’une manière concomitante de la fondation de l’obédience la Grande Loge de Suisse à laquelle nous appartenions et qui a repris le nom de Grand Orient de Suisse à la fin des années nonante, 1999 je crois.
On était encore très imprégné et sensibilisé par cet évènement fondamental dans l’évolution de la maçonnerie libérale en Suisse.
Pour Mozart et Voltaire, seule Loge au rite Français (Groussier) qui n’est pas le rite français moderne, mais certainement le plus moderne qui soit, en tout cas le plus dépouillé.
Il faut revenir à la fondation en Suisse d’une loge du Grand Orient de France, porté sur les fonts baptismaux à Genève je veux dire constituée à Genève, soit la Loge Lumière et Travail.
Pour des questions de territorialité cette loge du Grand Orient de France était très mal vue, elle a déménagé à Lausanne et est par la suite tombée en désuétude.
C’est le 18.05.1967 que huit FF de cette loge Lumière et Travail créée en 1955 fondent notre Loge Mozart et Voltaire, parmi lesquels nous trouvons les noms de J. Bacher J. Ferrer, André Kleinmann Georges Kleinmann, Albert Rouvière plus deux FF de la respectable Loge la Fraternité qui se joignent à eux, il s’agit des FF Jean-Pierre Stroot et Claude Tripet.
Ce sont ces FF qui par leur personnalité ont façonné et imprégné le caractère de cette loge.
Ceux qui m’ont laissé l’impression la plus forte furent les FF Kleinmann et Claude Tripet.
Georges défenseur des droits de l’homme et de la laïcité, pour une maçonnerie bien sûr libérale et progressiste, très GODF, amoureux de Mozart et des bons mots, aimant par-dessus tout émailler ses discours par des citations de Sacha Guitry.
Georges était pour une maçonnerie engagée, voire politique pour lui la loge est le centre de l’union, mais le maçon est un homme engagé qui va porter les idées dans la cité, il concevait la maçonnerie comme un moyen pour transformer l’homme et la société et cela se concrétisait par un engagement extérieur à la maçonnerie.
Son F.’. André c’était autre chose, j’en garde un souvenir - très union rationaliste, une vision très froide et intellectuelle, mais j’ai le souvenir d’instructions en tant qu’apprenti : il était très rigoureux en ce qui concernait le rituel, le rite français certainement et le « Groussier » en particulier, qui lui convenait très bien et je crois, ou je ne crois pas, mais j’en suis sûr aussi bien Georges qu’André était très peu perméable à d’autres rite que celui-ci, notamment le REAA.
C’était une époque où la loge Mozart et Voltaire avait une vocation entrepreneuriale, ce qui s’est concrétisé au début des années 70 sous l’impulsion d’un F.’. le F.’. Diserens de fonder une loge à Zurich.
Pendant deux ans des MM de MV se rendirent tous les quinze jours à Zurich pour occuper les plateaux d’officiers et assurer ainsi le bon fonctionnement, de cette loge appelée « Post Tenebras Lux ».
L’isolement des FF de cette loge fit qu’elle donna sa démission à la Grande Loge de Suisse pour rejoindre l’Alpina où aujourd’hui encore elle pratique le rite français je crois avec quelques aménagements.
La vitalité de Mozart et Voltaire était telle que d’autres loges ont été portées sur les fonts baptismaux, notamment Cosmos à l’orient de Neuchâtel et Benjamin Franklin à l’orient de Vevey devenu Phoenix aujourd’hui.
Il est facile de dire que c’était mieux avant, mais objectivement il y avait un dynamisme, une énergie, une force, un état d’esprit appelez ça comme vous voulez, mais c’était vraiment quelque chose qui vous poussait en avant.
Les discussions à cette époque n’étaient pas exemptes de heurts et de conflits, de discussions passionnées où se mêlait contradictions et controverses, mais de ces débats jaillissait un courant extraordinairement porteur et créatif.
C’est vrai que nous avions quelques fortes personnalités j’oserais même dire charismatiques, le mot n’est pas trop fort et ceci au niveau des membres fondateurs.
Je pense en particulier aux frères Kleinmann, l’un Georges plus Mozart que Voltaire, et l’autre André plus Voltaire que Mozart.
La vitalité de MV se concrétisait aussi par des prises de position en tant que société de pensée en faisant part de ses opinions sur la laïcité, notamment dans le cadre d’une votation sur la séparation de l’église et de l’état. Sur également un statut des frontaliers qui fût envoyé au Conseil de l’Europe.
Enfin on ne peut pas passer sous silence l’action initiée dans ce temple et dans cette loge à la suite de l’intervention de deux F.’. Libanais dont l’un était Ab Del Kaber Jaber qui nous fit part des exactions commises dans le cadre de la guerre au Liban.
C’est à la suite de cette intervention que fût créée l’Association ENFANTS DE NOS FRERES, dans le but de venir en aide aux enfants du Liban victimes de la guerre.
Ce fût un bel élan de générosité qui déborda largement la loge et l’obédience et les frontières qui malheureusement se termina de manière déplorable.
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Quand je suis entré en maçonnerie, j’étais dans une recherche spirituelle, philosophique et métaphysique, disons à peu près tout ça d’une manière un peu confuse. En tout cas dans une recherche de sens et de raison d’être.
J’étais très influencé par mes lectures de Carl Gustav Jung, notamment « l’homme à la recherche de son âme » et un peu plus tard par la philosophie indienne des Grands sage de l’Inde dont Sri Aurobindo, Ramana Maharashi, Vivekananda. Sri Ramdas etc. c’est surtout à travers Jean Herbert le grand orientaliste genevois que j’ai approché cette philosophie.
Alors c’est vrai qu’au début j’ai été quelque peu déstabilisé par certaines prises de positions abruptes de la raison viscéralement raisonnante et discursive qui émanait de cette loge.
Cela n’a pas été grave et j’ai survécu. Non je peux dire que j’ai finalement trouvé un équilibre j’ai trouvé mon compte.
Et cet équilibre il existait intrinsèquement dans cette loge de par la personnalité des fondateurs ce de que je qualifierais par le courant Kleinman et son antithèse le courant Tripet.
Pour moi Claude Tripet était une personne charismatique et exceptionnelle.
Il était d’une grande érudition une sorte de bibliothèque maçonnique à lui tout seul, et il avait surtout par le verbe et un talent oratoire, une facilité d’élocution le pouvoir de vous expliquer aussi bien du point de vue symbolique que maçonnique, spirituel ou ésotérique les choses les plus compliquées.
Je vous laisse méditer cette citation de lui tirée de Claude T∴ LA «GRAMMMAIRE » DU MAÇON ou LES «BONNES MŒURS » MAÇONNIQUES se terminant par une citation de lui-même :
"Seuls ceux qui ont acquis la connaissance totale de la forme pourront un jour aller au-delà de la forme." Claude R. Tripet »
J’aime cette vision Neptunienne des choses d’aller au-delà d’une perception visible et possible et l’appréhension de l’infini d’une certaine manière. Je recommande la lecture de ce qui est un véritable traité de savoir-vivre maçonnique non seulement aux apprentis mais à tous.
Evidemment ce serait réducteur de vouloir résumer la vie de cette loge à deux seuls courants qui serait Kleinmann-Tripet, sans évoquer d’autres fortes personnalités parmi lesquelles Richard S.’., Laurent Janssens, Guy Auderset, Robert E.’., Paul Girod, Furio G.’. espérantiste convaincu, Pierre Wisard, maître de la colonne d’harmonie… et j’en oublie.
Pendant longtemps et régulièrement deux moments étaient réservés aux 3’ de Voltaire et aux 3’ de Mozart. Pour Voltaire il s’agissait de lire un texte choisi dans le dictionnaire philosophique et pour Mozart d’évoquer son œuvre ou son histoire.
Pierre Wisard nous dispensait des morceaux choisis parmi les œuvres musicales et au fur et à mesure des tenues nous contait épisode par épisode l’histoire du divin Mozart sans oublier de nous citer les passages les plus scabreux voire même scatologiques tirés de sa correspondance.
A l’époque venait de sortir un énorme pavé peut être la biographie la plus importante qui n’ait jamais été écrite sur Mozart soit le livre de Jean et Brigitte Massin, Brigitte Massin que nous avons eu le privilège d’inviter dans ce temple lors d’une tenue blanche, (ouverte aux non-maçons) ceci au début des années nonante.
Au chapitre des conférenciers extérieurs illustres nous avons eu le privilège d’accueillir un conseiller fédéral en exercice en la personne de Pascal Couchepin.
Au chapitre des conférenciers remarquable et ceux dont je me rappelle, je citerai Madame Rosette Poletti qui nous avait entretenu de la mort et des soins palliatifs, de Jean Eracle alors conservateur du musée d’Ethnographie qui nous avait fait une conférence remarquable sur le bouddhisme.
De conférences sur les religions monothéistes pour lesquelles furent invités une pasteure, un curé, un rabbin.
J’ai occupé à peu près tous les postes, grand expert, orateur, 1er et 2eme surveillant vénérable puis webmaster et Me :. de la colonne d’harmonie.
La fréquentation du Grand Collège, et la proximité des grands maîtres, je rappelle que nous en avons eu quatre successivement issus de notre loge, soit en ordre croissant Georges Kleinman, Paul Girod, Alain C.’.et Jacques N.’. cela m’a permis d’être plus près du mécanisme et de la compréhension de cette politique obédientielle.
Quelques anecdotes de mon passage au Grand Collège où j’ai occupé le poste de Grand Trésorier sous la grande maîtrise de Jean-Pierre S.’.
Quelques moments phares, une tenue à Rome sous la présidence du généralissime Ghinazzi avec quelques mille participants, cela avait de l’allure, je vous l’assure.
Une anecdote avec Jean Pierre Schopfer à l’époque de sa grande maîtrise lors d’un convent et congrès du CLIPSAS auquel participait une délégation mexicaine qui souhaitait adhérer au dit CLIPSAS. Ces mexicains étaient arrivés avec chapeaux « mexicains » et bouteilles de tequila.
Ce congrès avait lieu à Berne au Schweizerhof. (A l’époque on ne lésinait pas sur les moyens.) Il devait se terminer en apothéose à Gruyère. Le déplacement en car devait passer par le Johnpass, manque de chance c’était au mois de novembre et le Johnpass était fermé en raison de la neige si bien que le car a du faire un détour par l’Oberland Bernois en passant par Saanen Gstaad et Saanenmöser. Ambiance extraordinaire avec ces mexicains qui n’avaient jamais vu de neige. Fin de soirée raclette oblige dans un restaurant de Gruyères bien arrosée. Retour au Schweizerhof à Berne aux douze coups de minuit. Avec la loge les déplacements les plus mémorables et remarquables furent nos déplacements à Istanbul sous la houlette de notre F M.’. A.’. avec tenue, mais aussi promenade sur le Bosphore.
Imaginez-nous de nuit sur le toit de l’hôtel qui se trouvait juste en dessous de la Mosquée Bleu de Soliman le magnifique, éclairée et brillant de mille feux, à se partager une bouteille de whisky, ensuite restaurant avec danseuses du ventre s’il vous plaît, certains s’en souviennent encore.
C’est de ces « Turkish nights » que certaines de nos libations se terminent encore à ce jour par un tonitruant « Atech ! » qui n’est pas l’équivalant de santé, prosit, skoll ou autre mais littéralement « Au feux ! »
D’autres sorties organisées dont l’Abbaye de Saint Antoine en Isère restent parmi des moments d’excellence.
Et puis sans oublier les fêtes solsticiales dans le Jura.
Voilà pour conclure d’une manière prosaïque, je vais terminer en disant que quarante ans, c’est un parcours de vie une partie d’un cycle, mais ce n’est pas grand-chose, tout ce que je viens de vous relater, c’est comme si c’était hier...
Soit une infime partie d’un cycle de temps dans un espace infini, comprenne qui pourra.
Frank R.’. RL Mozart et Voltaire 28.10.2016