Le F:. J-Cl N., nous rappelle les valeurs sous-tendues par le Rite français, celles d’un combat républicain laïque et émancipateur contre l’imposition des dogmes et contre le cléricalisme, un combat qui met en avant le libre examen et la liberté de conscience. Le Rite français est le plus sociétal des rites, il s’intéresse à la cité, il ne donne pas de limite à la recherche de la vérité et il autorise les débats sur le politique et la religion.
Ce qui définit le Rite français, c'est son système symbolique et rituel, mais aussi son identification historique au GODF et au GOB suite à l'occupation française, héritiers constitutionnels de la première Grande Loge de France au XVIIIe siècle [Bauer p 83]. L'histoire du Rite français se superpose à l'histoire maçonnique française et belge, semée de bruit et de fureur, terriblement marquée par l'histoire politique, sociale et religieuse de ces deux pays.
L'évolution de ses rituels en France plus qu'en Belgique est celle d'une dégénérescence graduelle, abandonnant tour à tour ses bases symboliques afin d'accompagner l'immersion de plus en plus profonde des deux Grands Orients dans le combat politique. Au sortir de la deuxième guerre, au sein du GODF, le retour progressif aux soucis des rites et des symboles a permis le développement d'un mouvement initié par Groussier qui s'insère dans une évolution où l'accent est porté sur la laïcité, « l'adogmatisme », la liberté absolue de conscience, fer de lance d'une maçonnerie « moderne » active et engagée dans le combat des idées et des valeurs au cœur du champ social. [Bauer pp120 et sq]
La voie vers la laïcité
En 1871, le Grand Orient de Belgique décide d'abolir la référence obligatoire à Dieu et à l'immortalité de l'âme, suivi en 1877 par le Grand Orient de France, la même chose valant pour le volume de la loi sacrée.
A été modifiée en 1877 la phrase suivante de l'art 1 de la Constitution de 1865 :
« Elle a pour principes l'existence de Dieu, l'immortalité de l'âme et la solidarité humaine. Elle regarde la liberté de conscience comme un droit propre à chaque homme et n'exclut personne pour ses croyances. (Bull. GO, 1865, pp 230 et sq.) », laquelle est devenue :
« Elle a pour principes la liberté absolue de conscience et la solidarité humaine. »
La décision prise par ces Obédiences de supprimer toute référence obligatoire à un principe supérieur et de se déclarer « adogmatique » créa la rupture définitive avec la maçonnerie anglo-saxonne (rupture toujours en vigueur !) bien que le but n'était pas d'interdire la Bible en Loge ou la référence au GADLU, mais de laisser à chaque loge le choix de s'y référer ou pas. La référence obligatoire à ces symboles a été supprimée parce qu'elle violait la liberté de conscience et empêchait le maçon d'être un homme libre dans une loge libre.
Les rituels vont donc être mis en harmonie avec les modifications qui viennent d'être apportées à la Constitution. Rapidement cependant, l'idée d'un simple toilettage ne suffit pas. Divers courant se fondèrent sur la décision de 1877 pour demander qu'on supprime les « enfantillages symboliques ».
Une première révision est proposée en 1879, puis la tendance favorable à une réforme plus radicale s'impose en 1895. Toutes les formules officielles évoquant le GLADLU ou apparaissant avoir une tonalité religieuse disparaissent. Exit les Trois Lumières, le Delta lumineux placé à l'Orient, symboles directs d'une maçonnerie d'origine chrétienne.
La résolution de 1877 en supprimant les « affirmations dogmatiques » a accompagné un mouvement anticlérical et rationaliste qui trouvait ses racines dans les Lumières et la révolution de 1848. Le désir de gommer ce qu'il y avait de trop marqué par la pitié, d'éradiquer la charge liturgique du cérémonial est particulièrement sensible. Tout ce qui relève de la corporalité, de la manifestation émotionnelle, de l'irrationalité, est banni au bénéfice d'une doctrine rationaliste tournée vers le combat républicain émancipateur.
On est donc passé en dix ans à une interprétation qui, au delà de l'agnosticisme de 1877 débouche sur un positivisme radical, au seuil de l'athéisme doctrinal. Le rituel Amiable a fourni par sa structure et sa tonalité l'ossature actuelle du Rite français.
Les Constitutions du GODF et du GOB assurent la « liberté absolue de conscience et laissent les conceptions métaphysiques à l'appréciation individuelle de ses membres ».
Dans la conception libérale de la Maçonnerie, le maçon est donc un homme libre et autonome. Il ne doit se soumettre à aucun dogme, à aucun préjugé, à aucune vérité préétablie, à aucun Être supérieur. Il peut pratiquer le libre examen, il dispose de son libre arbitre, de sa liberté de pensée et de conscience. La maçonnerie libérale est adogmatique et humaniste avec des croyants ou des athées.
Les GODF et GOB se sont toujours opposés à l'obscurantisme et jusqu'à présent défendu la laïcité. On dit qu'ils sont anticléricaux, c'est tout à fait normal si l'on sait que le cléricalisme veut dire « favorable à l'intervention du clergé dans les affaires publiques ». La Franc-maçonnerie libérale et adogmatique est aussi antireligieuse bien qu'elle s'en défende parce que la religion n'est qu'un ensemble de dogmes et de croyances et qu'elle rejette justement tous les dogmes et tous les préjugés. En rejetant tous les dogmes, elle ne peut qu'être en opposition avec la religion, sinon elle doit changer ses statuts.
Engagement politique et extériorisation
Chaque franc-maçon se doit d'œuvrer au bien-être de l'Humanité. Ainsi participer à la vie de la cité, c'est s'engager politiquement d'une manière ou d'une autre.
Honnêtement menée, la politique signifie vouloir participer à l'action publique. Si nombre de nos précurseurs franc-maçons ne s'étaient pas investis dans des questions réelles, s'ils s'étaient réfugiés en des chimères au lieu de s'attaquer à de vrais problèmes de société, la Franc-maçonnerie ne se serait sans doute guère développée.
Peut-être n'existerait-elle plus, supplantée par des Rotary ou autres Clubs service d'inspiration anglo-saxonne.
Les exemples foisonnent de maçons dévoués à de nobles causes qui ont lutté afin d'assurer nos libertés individuelles et des conditions de vie décente pour tous. [Dr. Simon, Dr. Rufin...]
Quelle que soit la forme d'implication, il est revigorant de rencontrer des maçons engagés au service d'un objectif choisi profitable à autrui « continuant au dehors du Temple, l'œuvre maçonnique ».
Quel rapport avec le rite français me direz-vous, mais tout ça, c'est le rite français!
Peu de temps après la naissance du GOB, les loges ou plus précisément les frères qui les composaient se sont occupés de questions politiques.
L'article 135 du règlement du GOB, repris des Constitutions d'Anderson de 1723, interdit aux loges des s'occuper de matières politiques et religieuses. Vivement combattu par le frère Théodore Verhaegen, il fut supprimé le 21 octobre 1854.
Il est intéressant de prendre connaissance des considérants de l'article no 597 :
• « Le GOB – considérant que parmi les libertés les plus précieuses à l'homme figure en première ligne celle d'examiner et de discuter, sans entraves, toutes les questions qui se rattachent à la morale, à la philosophie, à la politique, à la religion ; c'est-à-dire toutes les questions qui intéressent le bien-être et le progrès de l'humanité ;
• considérant que les libertés dont jouissent tous les citoyens dans le monde profane ne peuvent être certes refusées aux maçons qui sont citoyens avant tout ;
• considérant que l'article 135 du Règlement du GO porte atteinte au libre examen et à la liberté de discussion, définis ainsi qu'il précède ; qu'il importe à l'honneur de la Maçonnerie de faire disparaître une entrave en contradiction manifeste avec l'article premier des Statuts généraux de l'Ordre, et en même temps avec la loi fondamentale du pays, qui consacre la liberté de conscience et de discussion ;
• arrête...
Les loges belges sont donc libres d'organiser dans leurs Temples des conférences sur toutes les questions qui intéressent le progrès social.
En 1872, le GOB adopte la révision de ses statuts qui est toujours en vigueur à l'heure actuelle. En voici le texte :
« La Franc-maçonnerie, association cosmopolite et progressive, a pour objet la recherche de la vérité et le perfectionnement de l'humanité. Elle se fonde sur la liberté et la tolérance ; elle ne formule ou n'invoque aucun dogme. […] Elle forme une société d'hommes probes qui, liés par des sentiments de liberté, d'égalité et de fraternité, travaillent individuellement et en commun au progrès social, et exercent ainsi la bienfaisance dans le sens le plus étendu. »
Première constatation : comment la Maçonnerie pourrait-elle être progressive et travailler au progrès social sans s'occuper des affaires qui concernent les hommes, la cité au sens large du terme ? Comment pourrait-elle sans influencer la gestion et y participer, sans se mêler de politique active ? Et ce n'est pas uniquement le Maçon à titre individuel qui est engagé à le faire, mais effectivement la Loge, puisqu'il est question de travailler en commun. Cette nouvelle définition confirme donc la possibilité pour la Franc-maçonnerie de s'extérioriser ouvertement.
Seconde constatation : la Franc-maçonnerie ne formule ni n'invoque aucun dogme.
Cela signifie qu'elle rejette tout dogmatisme, qu'elle n'impose aucune limite dans la recherche de la vérité ; elle prône la liberté dans le domaine de la pensée et introduit le Libre examen, tant sur le plan philosophique que religieux. Elle n'exige plus de ses membres ou des candidats qu'ils professent une religion ou se réclament d'une croyance ; ils peuvent se dire agnostiques, voire même athées. Ainsi le rituel sera dès 1875 en Belgique « désacralisé » ou « déchristianisé ».
Au cours des XIXe et XXe siècles, la Franc-maçonnerie belge s'est manifestée à différentes reprises, le plus souvent au sujet de questions politiques. La première fut la création de l'ULB le 20 novembre 1834 pour servir de contrepoids à la création la même année d'une Université catholique dont le siège était initialement Malines, mais l'extériorisation la plus importante a sans conteste été le « Manifeste au Peuple belge » du 8 janvier 1893, dans lequel l'obédience prend position en faveur du suffrage universel.
Il importe de signaler trois formes d'extériorisation particulières à la Belgique :
D'abord la chaire « Théodore Verhaegen » crée en 1983 par le Grand Orient. Ensuite la réalisation de nombreuses expositions destinées au public, en 1983 l'exposition intitulée « Un siècle de Franc-maçonnerie dans nos régions 1740-1840 », en 1993, l'exposition organisée à l'Hôtel de Ville de Bruxelles et aussi celle organisée par le Centre d'action laïque (CAL) sur le thème « La Franc-maçonnerie en question ».
Je ne voudrais pas terminer sans citer au chapitre de l'implication du GODF dans la politique la création le 28 janvier 2015 en présence du Vice-Président du CLIPSAS d'un nouvel espace de travail maçonnique intitulé « L'Europe des Lumières » dont la première voie de travail est « l'échange régulier de correspondance des idées qui seraient lues en Tenue, débattues sur les colonnes et répondues ».
En résumé, le Rite français est un rite positiviste, libéral et laïque. Il est le rituel le plus sociétal et le moins symbolique de la Maçonnerie européenne.
La Franc-maçonnerie du Grand Orient est une maçonnerie dynamique humaniste, démocratique et sociale basée sur la liberté absolue de conscience.
JCN R:.L:. Phoenix, Or. de la Riviera
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Note ajoutée lors de la finalisation du texte : En ce qui concerne l'implication du GODF dans la politique on lira avec intérêt l'article de François Koch « Un franc-maçon nommé Valls » paru dans l'Express n3333 (tiens donc !) du 20 mai 2015.
Références bibliographiques
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Marcos Ludovic, Histoire du Rite français au XIXe siècle, Editions maçonniques de France, 2012.
Marcos Ludovic, Histoire illustrée du Rite français, Dervy, 2012.
Bouchard Maurice et Michel Philippe, Rit Français d'origine 1785, Dervy, 2014.
Vigier Hervé (présenté par) Le Rit Primordial de France, Editions Télètes, 2014.
Arvelle Joël, Histoire de la Franc-Maçonnerie belge, Edition J.-M. Collet, Baine-l'Alleud, 1995.
NN, Le GADLU dans la controverse de 1877, Blog 3,5,7 et plus, 17 mai 2015.
Alberger Gilbert, Bauer Alain, Brandmeyer Bernard, Gugliemi Philippe, Kessel
Patrick, Lafouge Jacques, Ragache Jean-Robert, La franc-maçonnerie, ses valeurs et la crise, Le Monde, Point de vue, 26 août 2009.
NN, L'exclusion du GODF en 1877 vue par l'historien allemand Joseph, Gabriel Findel, Blog gadlu, 14 mai 2015.
Géplu, Religiosité et/ou Franc-maçonnerie, www.hiram.be, 2 octobre 2014.
Keller Daniel, Maçonnerie et laïcité, The Huffington Post, 10 mai 2015.
NN, La Franc-maçonnerie et l'engagement politique, planche de la GLSA publiée partiellement dans gadlu.info, 11 février 2015.