Héritiers spirituels des bâtisseurs de cathédrales du Moyen Age, les Franc-maçons entendent élever par leur participation active ce qu'ils nomment : Le Temple idéal de l’humanité. Une telle entreprise, à jamais inachevée, suppose à la base, un effort constant de la part de chaque Franc-maçon dans la quête de la Vérité qu'il est appelé à chercher d'abord en lui-même.
Cette phrase est tirée du document que nous remettons à tout candidat qui marque son désir d’entrer dans notre loge.
Elle nourrit mon questionnement sur ce que je suis venu chercher en entrant en Franc-maçonnerie, sur ce que je propose lors d’entretien avec des personnes intéressées, et sur mon évolution dans le temps face à ces principes fondamentaux.
Après une visite de la Cathédrale de Strasbourg, je me permets nous soumettre à un examen. Rassurez-vous, je ne vais pas vous questionner comme le ferait un maître d’école, et je ne me permettrai pas de vous demander des réponses ou de vous tester. Je ne m’en sens ni le droit ni la qualité. Je ne vais parler que des questions que je me suis posées avant d’essayer de les formuler pour vous au travers de cette planche.
Les réponses que vous donnerez, ou non, à ces quelques questions et réflexions, vous vous les donnerez à vous-même, car j’estime que c’est un devoir pour chacun de nous de faire de temps à autre cet examen.
L’espace que nous créons en F:. M:. est précisément un espace de réflexion et d’échange à l’image d’un chantier de cathédrale, avec pour but, construire en soi-même et ensemble un édifice humain fait de liberté, d’égalité et de fraternité.
Pour répondre aux quelques questions que je vais formuler, j’aimerais utiliser à nouveau l’image que représente la construction de cette cathédrale qui est pour moi un livre de pierres susceptible d’apporter une aide à la démarche de notre propre construction.
Première question
A l’image des maîtres d’œuvre du moyen âge, quel projet avons-nous pour notre vie de F:. M:. ?
Si cette question m’avait été posée lorsque j’ai été contacté pour entrer dans notre Loge, j’aurais été bien incapable d’y répondre de façon claire. Pour répondre à cette question aujourd’hui, je me réfère au sujet de cette planche, mais lors de mon initiation je n’avais aucune idée du milieu dans lequel j’entrais aveuglément, un bandeau sur les yeux. En fait, un Maître, mon « parrain », avait probablement cru voir en moi un possible ouvrier, fait d’un matériau qui pouvait être intégré, puis participer au chantier de l’édifice que représente notre loge. Chacun donnera pour lui-même sa réponse à cette question, mais en ce qui me concerne, chaque étape de ma progression dans le métier me fait redéfinir mon projet de vie Maç:..
Bien sûr cette réponse ne parle que de moi, qui, je l’espère, suis une pierre qui a trouvé sa place dans l’édifice, mais je voudrais aller plus loin dans le questionnement sur l’œuvre que nous poursuivons. Car ce que je ressens aujourd’hui, et il s’agit d’une perspective plus large que ma seule personne, c’est ce que nous transmettrons au travers de nos travaux et réflexions. Il s’agit bien d’un projet plus large que notre seul développement personnel. Sans prétention bien entendu, car la portée de notre parcours est bien limitée. Mais comme le disait Edmond Kaiser, fondateur de Terre des Hommes, fais du bien à un homme et le monde sera meilleur.
En résumé :
Sommes-nous bien conscients du projet qui conduit notre démarche ?
Seconde question
Quelle mesure, quel plan ou esquisse utilisons-nous comme référence pour mener à bien ce projet ?
Pour cette question je vous cite un extrait d’un ouvrage intitulé Les mystères de la cathédrale de Chartres :
« A aucun moment, le Maître de l’Œuvre n’a eu à établir le moindre calcul, non qu’il n’en eût pas été capable, mais parce que le calcul aurait pu conduire à des déviations disharmoniques. Le cordeau et la mesure suffisent à tout. Il construit sur le terrain. Il veut faire de sa cathédrale un être animé d’une vie qui lui soit propre. Il ne travaille pas dans l’idéal, mais dans la matière qu’il doit animer, et pour ce faire, il utilise les proportions rythmées qui répondent à une mathématique vivante. » On ne saurait mieux dire.
A propos de la mesure encore, nous avons vu à Strasbourg le fameux « pied » qui sert de mesure de référence à l’ensemble de l’édifice.
Quelle est notre mesure à nous ? Dirions-nous comme Protagoras : “ L’homme est la mesure de toute chose : de celles qui sont, du fait qu’elles sont ; de celles qui ne sont pas, du fait qu’elles ne sont pas“ ?
Pour ma part j’aime la version rationaliste de l’interprétation de Platon, à savoir que si les choses n’existent que par l’homme, la vérité n’existe alors aussi que par l’homme. L’homme, grâce à sa raison, fait advenir le monde en tant que monde rationnel.
Mais pour mener à bien une entreprise, il faut des règles, un ordre établi et respecté par chacun, un plan. Les constitutions d’Anderson ont été rédigées justement pour définir comment rassembler des hommes dans une démarche de construction humaniste, au-delà des convictions religieuses ou classes sociales. Je vous en cite un extrait :
Il est cependant considéré maintenant comme plus expédient de les soumettre seulement à cette religion que tous les hommes acceptent, laissant à chacun son opinion particulière, et qui consiste à être des hommes bons et loyaux ou hommes d'honneur et de probité, quelles que soient les dénominations ou croyances qui puissent les distinguer; ainsi, la Maçonnerie devient le centre d'union et le moyen de nouer une véritable amitié parmi des personnes qui eussent dû demeurer perpétuellement éloignées.
Le projet consistait bien à réunir des hommes au-delà des classes sociales, des cultures et des confessions pour les amener à développer une société plus tolérante et juste.
En résumé :
Notre engagement dans la démarche maçonnique est-il la mesure de notre appartenance à notre R:.L:. ?
Troisième question
Pourquoi avons-nous des degrés, apprentis, compagnons et maîtres, et comment progressons-nous d’un grade à l’autre ?
Laissons encore une fois parler Anderson : à propos des Maîtres, compagnons et apprentis.
Toute promotion parmi les Maîtres Maçons est fondée uniquement sur la valeur réelle et sur le mérite personnel ; afin que les Seigneurs puissent être bien servis, que les Frères ne soient pas exposés à l'humiliation et que l'Art Royal ne soit point décrié : pour cela aucun Maître ou Surveillant n'est choisi à l'ancienneté, mais bien pour son mérite.
Nous retrouvons ici la notion de l’Homme, mesure de toute chose, dans la F:. M:. dite spéculative.
L’exemple de la construction des cathédrales démontre de façon magistrale, que sans la connaissance du métier, l’exigence de l’apprentissage dans le maniement des outils, mais aussi dans le choix des matériaux, la distribution des tâches en vertu des aptitudes des ouvriers, la transmission des connaissances des maîtres aux compagnons et des compagnons aux apprentis, le maintien au travers des années qu’ont nécessité l’arrivée à son terme du chantier, en partant de l’idée de base de la construction, l’œuvre ne serait pas aboutie. Elle n’est d’ailleurs jamais achevée.
Nous pourrions reprendre point par point les éléments cités en vrac ci-dessus, cela pourrait faire l’objet de plusieurs planches à tous les degrés.
J’aimerais toutefois citer ici quelques points qui me paraissent utiles sinon nécessaires à étudier :
. Comment sommes-nous structurés sur notre chantier : Principe fondamentaux, structure de la loge, offices, rituels, comportements en Loge ?
. Qui intéresser au chantier, quelle qualité d’homme devons-nous rechercher ?
. Comment mener l’étude et développer la lecture des symboles apparaissant à chaque grade ?
. Comment préparer chaque « ouvrier » à occuper un poste en vue de perpétuer l’œuvre entreprise ?
. Comment devenir ce laboratoire d’idées que la F:. M:. à été et doit redevenir ?
. Comment faire rayonner vers l’extérieur les lumières reçues à l’intérieur de nos temples ?
En résumé :
Comment choisissons-nous nos « matériaux », et surtout, comment transmettons-nous le métier ?
Quatrième question en forme de conclusion provisoire :
Où en sommes-nous aujourd’hui ?
Force est de constater aujourd’hui dans la société moderne mais hélas dans nos ateliers également, que, noyés dans le flot des « informations », des sollicitations dans tous les domaines, des préoccupations de chacun pour tout simplement survivre dans le monde troublé où nous sommes, nous avons perdu la vision générale du sens de nos existences, entraînées dans une anonymisation toujours plus grande, dans la masse des classements sociaux, politiques, économiques, religieux, laïcs, sujets aux pressions de toute sorte, assaillis par les « marchands de rêve » des publicistes, dans les obligations de résultats dans tous les domaines.
Pire encore, nous devrions présenter une image idéale de nos personnes, quitte à passer par des interventions de chirurgie plastique, de manipulations génétiques, et j’en passe.
Nos Loges sont-elles à l’abri de cette tendance à entrer dans la danse du plus grand, du plus influent, du plus beau, du plus connecté, etc. ?
Prenons-nous le temps nécessaire pour nous livrer au travail ?
En résumé :
Ne devons-nous-pas simplement nous reposer les questions fondamentales et tendre vers un art de vivre inspiré des bâtisseurs de cathédrales, qui nous donnent aujourd’hui encore à lire ces magnifiques livres de pierres ? Et passer le message ?
Je conclurai comme conclut notre tuileur d’apprentis, qui rappelle à chacun de nous :
TRAVAILLONS ET PERSÉVÉRONS
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Références citées:
Michel Zehnacker La Cathédrale de Strasbourg, 2002, Alsatia
Louis Charpentier « Les mystères de la cathédrale de Chartres », 1966, Robert Laffont
Platon
Les Constitutions d’Anderson
* Photographiée par l'auteur