Perspective de l’histoire
Perspective du contenu
Modification des Rites au fil du temps
Au fil du temps, les Rites font l’objet de modifications parfois très sensibles comme le Rite Français dans ses versions successives: Régulateur de 1785, Murat (1858), Amiable (1887), Blatin (1907), Gérard (1922), Groussier (1938, 1955 et 2009), sans compter - avec René Guilly - la création du Rite Français dit Traditionnel (1955).
Le Rite Émulation, en revanche, est intouchable depuis sa création en 1823 et les variantes des Rites Schröder ou Ecossais Rectifié résultent plutôt de retouches.
Ainsi, la version actuelle du Rite de Memphis-Misraïm a été rédigée par Robert Ambelain au début des années 1960 et résulte d’emprunts aux Rites Français, Ecossais Ancien et Accepté et Ecossais Rectifié avec des gloses relatives à la mythologie égyptienne et le Rite Ruchon des années 1930 est une version abrégée du Rite Ecossais Ancien et Accepté avec des emprunts au Rite Français.
Les variantes entre les Rites ne touchent parfois qu’à des points de détail, comme l’usage de l’épée droite plutôt que de l’épée flamboyante, l’existence ou la non existence d’un mot de passe au premier degré, la couleur des décors ou encore la manière d’entrer en Loge ou d’en sortir.
Trois degrés d’importance des variantes entre les Rites
Sans doute plus importantes sont la présence ou l’absence du cabinet de réflexion ou des épreuves par les éléments associées aux trois voyages, l’emplacement des deux colonnes et des Surveillants, ou celui des trois colonnes autour du tableau de Loge.
En outre, le dépaysement d’un Maçon visiteur d’une Loge d’un Rite autre que le sien propre est assuré quant au rapport au religieux. Ainsi, le Rite Suédois, fondamentalement chrétien et dont le but assigné est « la connaissance de Dieu par la reconnaissance de l'esprit divin que chacun porte en soi, par l'appréhension de la dimension trinitaire et par la foi en Jésus-Christ » (sic).
Savoir où l’on va
Jacques Herman PGM du GOS
© Jacques Herman 2021/Cahiers Bleus
(A suivre)
Références
Bouchard Maurice et Michel Philippe, Rit Français d’origine 1785, 2e éd., Dervy, Paris, 2017
Concernant l’ensemble des Rites Français, Ecossais Rectifié, Ecossais Ancien et Accepté, Anglo-saxons et Egyptiens:
Alain Bauer et Roger Dachez (sous la dir. de), Le Livre de la Franc-Maçonnerie, Presses Universitaires de France, Paris, 2019
Concernant le Rite Ancien et Primitif de Memphis-Misraïm:
Caillet, Serge, La Franc-Maçonnerie Egyptienne de Memphis-Misraïm, Dervy, Paris, 2003
Concernant la composition des rituels:
Perenne, Sophie, Vivre, Lire et Ecrire les Rituels, Ed. E.M.E., Bruxelles, 2011
De la diversité des rites (2)
De la théorie de la transition à la théorie de l’emprunt
et du regard porté sur la diversité des Rites maçonnique
Je me suis intéressé à la diversité des Rites maçonniques dès mon entrée en Maçonnerie en 1973. Dès lors, je n’ai cessé de scruter les pratiques rituelles tout au moins pour les Rites pratiqués en Suisse: Français, Ecossais Rectifié, Ecossais Ancien et Accepté, Memphis-Misraïm, Schröder et Emulation.
La planche que je vous présente ce soir en résume l’essentiel. Elle est née de ma confrontation directe aux Rites - et donc aux rituels qui les constituent - ainsi qu’à l’étude des travaux d’ordre historiographique, publiés entre les années 1970 et aujourd’hui.
Le thème que je souhaite aborder avec vous est double: la première partie portera sur le passage de la théorie de la transition à la théorie de l’emprunt et la deuxième partie, qui lui est liée, concernera le regard que nous pouvons porter sur la diversité des Rites.
La théorie de la transition
Commençons par la théorie de la transition.
C’est celle qui a eu cours jusqu’en 1978, année où elle fut remise en cause par l’historien anglais Eric Ward.
La théorie de la transition affirme l’existence d’une filiation directe entre la Maçonnerie opérative et la Maçonnerie spéculative. Dans un contexte de déclin, principalement dû à la fin des grands chantiers de construction, ces Loges opératives auraient accepté des gentilshommes et des bourgeois devenus « Maçons acceptés » et ces derniers, au fil du temps, seraient devenus majoritaires. Finalement, au début du 18e siècle, il n’y aurait plus eu dans ces Loges que des Maçons spéculatifs qui auraient conservé la symbolique et les rituels de leurs Frères opératifs.
Cette théorie dite de la « transition » paraissait à certains égards assez prestigieuse puisqu’elle était ancrée dans le savoir des bâtisseurs de cathédrales qui bénéficiaient d’une certaine aura liée à la détention de « secrets » réservés à une élite professionnelle à l’aise dans les arcanes d’un ésotérisme ancestral.
Des historiens anglais et français qui font autorité aujourd’hui dans les milieux universitaires (Eric Ward, René Guilly, Roger Dachez, entre autres) ont démontré, à partir du dernier quart du 20e siècle, que cette théorie de la transition relevait du mythe et non de l’histoire. Elle supposait en effet l’existence de Loges opératives au 17e siècle ce qui n’est pas le cas puisqu’elles avaient complètement disparu à la fin de l’époque des Tudor vers 1600.
Dès le 17e siècle, à quelques exceptions près, en Ecosse principalement, quasi toutes les Loges opératives ont disparu.
La théorie de L’Emprunt
Abordons la théorie de l’emprunt.
On sait donc, depuis la fin des années 1970 que la Franc-Maçonnerie est un pur produit des Lumières (Enlightenment en anglais) et que les inventeurs de la Franc-Maçonnerie telle que nous la connaissons se sont appliqués à emprunter un certain nombre de formes opératives (d’où l’expression de « théorie de l’emprunt »). Cette théorie est issue des travaux de l’historien anglais Eric Ward. Elle sera reprise en France par Roger Dachez, historien de la Franc-Maçonnerie et président de l’Institut Maçonnique de France.
Mais avant de poursuivre, évoquons ici le mot « Franc-Maçon » et rappelons-en l’origine.
Lorsqu’il est question de « Freestone Mason », référence est faite à un Maçon qui travaille la pierre tendre (free stone) employée pour des sculptures, des gargouilles, des corniches et des éléments décoratifs. Ce terme s’oppose à celui « Roughstone Mason » qui désigne un tailleur de pierre dure (rough stone). « Free » dans « Freestone Mason » se rapporte à « stone » et non à « Mason ». En revanche, dans le terme de « Freemason », « Free » se rapporte à Mason, ce qui signifie « Maçon libre ». Mais libre de quoi? Libre du métier, dans le sens de dispensé du métier, donc non opératif ou, conséquemment, spéculatif.
Cette précision terminologique posée, revenons à ces Maçons « libres du métier », donc « Francs-Maçons », dans le sens encore en vigueur de nos jours.
Qui étaient-ils ces Francs-Maçons à l’aube du 18e siècle? D’où étaient-ils issus? Comment se sont-ils organisés? Comment travaillaient-ils dans le cadre des Loges qu’ils ont fondées?
Nous ignorons encore pour l’heure comment des Maçons que nous connaissons tous - comme le pasteur anglican Jean-Théophile Désaguliers et le pasteur presbytérien James Anderson - furent « faits Maçons ». Nous sommes certains en revanche de l’appartenance des premiers Francs-Maçons à des sociétés savantes. Nous connaissons en particulier la Royal Society qui regroupait des érudits, des savants en divers domaines, et qui ont posé les fondements de la philosophie des Lumières Outre-Manche. Parmi eux, Isaac Newton qui était à la fois passionné de physique et d’alchimie mais qui, lui, n’était pas Maçon. Ces hommes avaient en commun un idéal de fraternité universelle, de paix et d’humanisme, et ils partageaient une foi intense en la perfectibilité de l’homme et de la société. L’heure était à l’optimisme. Vous savez, cet optimisme que Mozart a si bien traduit dans sa Flûte Enchantée. Un peu dans l’esprit de l’Ode à la Joie: « Alle Menschen werden Brüder… ».
L’esprit ambiant reposait sur la réduction des conflits religieux (alors très marqués entre catholiques et protestants) par le recours à un concept plus générique qui sera nommé Grand Architecte de l’Univers, conçu comme puissance créatrice.
Ces « Maçons fondateurs » appartenaient pour beaucoup à l’élite sociale et/ou à l’élite intellectuelle. Mais pas seulement. On trouvait aussi dans ces premières Loges spéculatives des commerçants, des artisans, des bourgeois.
Permettez-moi d’introduire ici une remarque concernant la terminologie maçonnique du 18e siècle. On n’y trouve pas ces terme d’ « initié » ou d’ « initiation » qui nous sont si familiers. On était « fait Maçon » ou « reçu Maçon » au cours d’une cérémonie dite de réception et non d’initiation. Parenthèse fermée.
Nous ne disposons pas des rituels en usage avant les deux premières décennies du 18e siècle . Mais il est aisé d’en comprendre la raison. Comme c’est encore le cas aujourd’hui dans les Rites anglo-saxons, le rituel était appris par coeur. Cela ne doit pas nous impressionner: il était en effet extrêmement court (sans doute de l’ordre d’un quart d’heure). Tous les Frères étaient debout, à l’exception du Vénérable de la Loge. Les premiers rituels qui ont été rédigés témoignent encore de la brièveté de leur exécution. Je reviendrai aux rituels dans la deuxième partie de ma planche.
Je reviens à la théorie de l’emprunt. Celle-ci, aujourd’hui scientifiquement incontestable et considérée désormais comme telle, expose une construction progressive, au-delà des querelles politiques et religieuses, par des emprunts de symboles, de signes et de coutumes à d’anciennes corporations de Maçons telles qu’elles apparaissent, entre autres, dans les « Old Charges » ou « Anciens Devoirs » et auxquelles sont ajoutés des récits partiellement ou totalement légendaires.
Quoi qu’il en soit, la théorie de l’emprunt souligne clairement l’aspect exclusivement culturel et symbolique emprunté à la Maçonnerie opérative.
La théorie de l’emprunt invalide évidemment la théorie de la transition.
Quoique universellement admise aujourd’hui, la théorie de l’emprunt rencontre une certaine résistance dans quelques courants conservateurs de la Maçonnerie qui lui reprochent de réduire un Ordre initiatique pérenne à une société philosophique et humaniste issue du courant des Lumières. Les Maçons réfractaires à la théorie de l’emprunt préféreraient considérer la Maçonnerie comme une étape d’un continuum initiatique issu de la haute antiquité, égyptienne notamment. Ils la rattachent aux mystères orphiques et pythagoriciens, comme aux incontournables Ordres chevaleresque du Moyen Âge et en particulier celui des Templiers. Ce courant maçonnique récuse d’autant plus vivement les résultats des travaux de la recherche universitaire qu’il veut ignorer les fondements mêmes de la critique historique.
LA DIVERSITE DES RITES
Je vais entamer à présent, si vous le voulez bien, la deuxième partie de mon exposé. Il portera sur la diversité des Rites.
Chacun d’entre nous, à l’occasion de visites que nous effectuons dans des Loges, prend conscience du large éventail de Rites maçonniques pratiqués de nos jours. Nous allons tenter de clarifier cette diversité mais je vous propose de ne retenir que les Rites les plus connus et pratiqués en Suisse romande.
La suite de la théorie de l’emprunt
Nous revenons à la théorie de l’emprunt parce qu’elle explique aussi le processus d’élaboration des Rites maçonniques au cours des 300 dernières années.
Partons d’un exemple, celui de Rite de Memphis-Misraïm, sans doute le plus complexe. On y trouve les trois candélabres, Sagesse, Force et Beauté, placés aux angles Sud-Est, Sud-Ouest et Nord-Ouest. C’est donc un emprunt au Rite Ecossais Ancien et Accepté. Les Surveillants sont placés au pied des colonnes J et B. J attribué aux Apprentis et B aux Compagnons. C’est donc un emprunt au Rite Français. On note la présence d’une bougie sur le plateau du Secrétaire (à l’origine, dans le but de faciliter l’écriture), c’est donc un emprunt au Rite Ecossais Rectifié. Sur l’autel du Naos, on relève la présence de la règle de 24 pouces, c’est donc un emprunt au Rite Emulation.
Des emprunts assez hétéroclites peuvent - hélas - concerner des Loges qui pratiquent un Rite maçonnique indéterminé. La Loge Le Progrès à l’Or. de Lausanne où je fus initié en 1973, était l’une d’elles. Dans son rituel d’initiation par exemple, on percevait très clairement des emprunts au Rite de Schröder , au Rite Ecossais Rectifié au Rite Français et au Rite Ecossais Ancien et Accepté. Tous les rituels faisaient l’objet de réécritures diverses au fil des lustres.
La cause de l’indétermination de ces Rites est bien connue: après avoir rendu visite dans une Loge, tel élément symbolique ou tel autre opérait une sorte de séduction sur le visiteur qui suggérait à sa Loge propre de procéder à son incorporation. Celui qui vous parle a passé deux fois l’épreuve de la terre (cabinet de réflexion et récipient contenant du sable), deux fois l’épreuve de l’eau (la main plongée dans un bassin d’eau puis une aspersion), deux fois l’épreuve du feu (la main passant au-dessus d’un bassin contenant de l’alcool à brûler et trois flammes issues d’une pipe à lycopode), mais l’épreuve de l’air m’a été épargnée pour une raison qui m’échappe.
Dans les années 1930, ces rituels constitués d’emprunts à des Rites divers gênaient quelques Frères genevois de la Loge Fidélité et Prudence de l’Alpina à l’Orient de Genève. Plutôt que d’opter pour un Rite bien défini, ils ont décidé de mandater une commission présidée par le Frère François Ruchon pour créer de toutes pièces un Rite nouveau, qui fût une sorte de Rite plus épuré et plus cohérent. En 1936, l’Alpina a intégré ce Rite sans difficulté. Il est encore en usage dans cette Loge ainsi que dans quelques Loges du Grand Orient de Suisse.
Les Modernes et les Anciens
Il nous faut aborder à ce stade la querelle des « Modernes » et des « Anciens ». Pourquoi? Parce qu’elle va nous aider à mieux saisir la formation des Rites maçonniques.
Au début du 18e siècle, il n’existait en Angleterre qu’un seul Rite maçonnique. Il ne portait alors aucun nom. C’est à ce Rite que travaillaient notamment les quatre Loges de Londres et Westminster (L’Oie et le Grill », « Le Pommier », « La couronne », « Le gobelet et les raisins »). Ces Loges ont choisi de se rassembler en une sorte de fédération qui portera le titre distinctif de Grande Loge Unie de Londres et de Westminster et qui deviendra par la suite la Grande Loge Unie d’Angleterre, Obédience qui régira le fameux concept de régularité maçonnique jusqu’à nos jours et qu’il me plaît de ne pas aborder aujourd’hui.
Vers 1750, les iles britanniques voient l’implantation d’un Rite légèrement différent. Ce Rite nouveau est produit par l’arrivée en Angleterre de Maçons irlandais et donc catholiques sous la conduite d’un marchand de vin, Laurence Dermott. Une querelle entre les tenants de ces deux Rites va s’activer très rapidement. Les membres du nouveau Rite se proclament - paradoxalement- les « Anciens » et par dérision accusent leurs prédécesseurs d’être des « Modernes » alors qu’en réalité c’est le Rite des « Modernes » qui est le plus ancien.
A mes yeux, cette querelle qui va durer jusqu’en 1813, repose sur des fondements relativement anecdotiques, tout au moins pour un Maçon d’aujourd’hui. La différence entre les deux Rites concerne essentiellement l’emplacement des deux Surveillants, l’attribution des mots J et B aux deux premiers degrés et le positionnement des trois candélabres.
Pour le reste, tout ou quasi tout est identique.
Après des décennies d’invectives et de querelles parfois très violentes, les Frères ennemis se réconcilieront en 1813 dans une seule Obédience: ce sera la Grande Loge Unie d’Angleterre. Cette union doit peut-être son existence au fait que les deux Grands Maîtres, le duc de Sussex et le duc de Kent étaient frères de sang. En 1823, la Grande Loge Unie d’Angleterre se dote d’un Rite en s’inspirant de celui des Anciens: le Rite Emulation et le Rite des Modernes disparaît du paysage maçonnique.
Mais, lorsque la Franc-Maçonnerie s’établira en France, c’est-à-dire à partir de 1725, c’est donc le Rite des Modernes qu’elle adoptera et conservera et c’est ce Rite qui, du fait il n’est désormais plus pratiqué qu’en France, prendra tout naturellement le nom de Rite Français.
Si nous lisons les divulgations maçonniques anciennes comme « La Maçonnerie disséquée » (Masonry dissected) de Samuel Prichard qui date de 1730, ainsi que les premiers rituels écrits, nous prenons conscience des éléments constitutifs du symbolisme maçonnique de la première moitié du 18e siècle. En voici un très bref aperçu.
La Loge est un lieu couvert, extérieurement et intérieurement. Les Tenues se tiennent dans une salle très ordinaire où l’on découvre au centre un tapis de Loge, élément essentiel puisqu’il réunit tous les symboles maçonniques du degré concerné: portail du Temple de Salomon, pavé mosaïque, colonnes J et B, équerre, niveau et perpendiculaire, pierre brute et pierre cubique, soleil et lune, etc. Autour de ce tableau, trois piliers, aux angles Nord-Est, Sud-Est et Sud-Ouest. A l’Orient, le plateau du Maître en Chaire et son siège. Sur le plateau, une Bible et un compas. Tout autour du tableau, debout, les Frères. Chaque Officier porte un sautoir avec l’attribut de sa fonction. Le couvreur, épée à la main, près du porche d’Occident, le Premier et le Second Surveillants respectivement au Sud-Ouest et au Nord-Ouest.
Le profane est préparé dans une pièce séparée du Temple, et sa vêture est identique à celle qui est encore en usage aujourd’hui. Remarque importante: le cabinet de réflexion est inexistant. Le profane fait le tour de la Loge, les yeux bandés, conduit par un Expert vers le Maître en Chaire. Remarque importante: il n’y a aucune épreuve au cours de son déplacement. Il prête son obligation, on lui retire le bandeau et il accède à la lumière. Remarque importante, la coupe d’amertume n’existe pas. Il est vêtu d’un tablier de cuir et reçoit des gants blancs. Une exhortation est donnée en fin de cérémonie puis on passe à la fermeture des Travaux. Remarque importante: le rite de la chaîne d’union est totalement inconnu.
Voilà pour le Rite des Modernes. Celui des Anciens inverse les colonnes, modifie l’emplacement des Surveillants et des trois candélabres.
On estime que la durée du rituel ne devait pas excéder un bon quart d’heure. Remarque importante: toutes les Tenues sont axées sur les cérémonies de réception aux trois degrés et la pratique de la lecture de planches est totalement inconnue. C’est encore le cas, aujourd’hui, dans tous les Rites anglo-saxons comme un moyen d’éviter des discussions d’ordre politique ou religieux.
Deux facteurs importants vont se manifester entre la fin du 18e siècle et la fin du 20e. Le premier, c’est l’extension géographique: des Loges vont s’implanter sur quasi toute la surface de la terre et les cultures sont différentes d’un pays à un autre. Si je devais me résumer en une seule question, comment un Maçon suédois, chrétien et monarchiste, peut-il s’y retrouver dans une Maçonnerie française laïque et républicaine? Et réciproquement, évidemment.
Le second, est d’ordre rédactionnel: à mesure que les années passent, les Rites se complexifient.
Les Rites ne cessent de se multiplier mais beaucoup finissent par s’étioler avant de disparaître. C’est le cas notamment du Rite de la Stricte Observance Templière fondé en 1755 et disparu peu après le décès de son fondateur, le baron von Hund, en 1776.
Voici une brève chronologie des principaux Rites maçonniques:
Vers 1725, c’est naissance de la Franc-Maçonnerie en France. Elle est importée par des émigrants anglais et pratique intégralement le seul Rite alors en usage en Angleterre, celui qu’on qualifiera de « Rite des Modernes » à partir de 1751 et qui, en France, prendra plus tard le nom de Rite Français.
1751 Des Maçons irlandais émigrent en Angleterre. Sous la houlette de l’un d’eux, Laurence Dermott, on assiste à la création du « Rite des Anciens ». Dermott qualifie, par mépris, le Rite existant de « Rite des Modernes » alors qu’il lui est antérieur de près d’un demi-siècle.
De 1751 à 1813, en Angleterre, on assiste pendant plus de soixante ans à un conflit des Anciens et des Modernes qui s’achèvera en 1813, par l’union des Anciens et des Modernes aboutissant à la création de la Grande Loge Unie d’Angleterre.
1755 marque la fondation de la Stricte Observance Templière en Allemagne par le baron von Hund et qui influencera le Rite Ecossais Rectifié. Ce Rite disparaîtra vers 1776.
1785 Sous la direction de Roëttiers de Montaleau, le Grand Orient de France procède à la fixation du Rite Français : le Régulateur du Maçon qui sera imprimé en 1801.
1759 Fondation du très chrétien Rite Suédois pratiqué en Scandinavie et dans le nord de l’Allemagne.
1782 Fondation au Convent de Wilhelmsbad du Rite Ecossais Rectifié, inspiré des Modernes, de la Stricte Observance Templière et de Martinès de Pasqually.
1801 Fixation du Rite Ecossais Ancien et Accepté fondé en 1801 à Charleston et inspiré des Anciens.
1810 Le Rite de Misraïm, inspiré des Anciens, est développé par les Frères Bédarride.
1811 Création du Rite de Schröder, inspiré des Modernes et pratiqué en Allemagne, Autriche, Hongrie et Suisse.
1823 Fixation en Angleterre du Rite Emulation, inspiré des Anciens.
1838 Rite de Memphis, inspiré des Anciens, codifié sous l’influence de Marconis de Nègre.
1881 Fusion par Garibaldi des deux Rites égyptiens sous l’appellation de Rite de Memphis-Misraïm. Il sera réformé en profondeur par Robert Ambelain en 1960. Ce Rite, dans sa version Ambelain, est issu des Anciens avec de nombreux emprunts aux Modernes.
1931 Codification à Genève du Rite Ruchon.
1974 Fondation par Jacques de La Personne du Rite Opératif de Salomon, rite composite inspiré de plusieurs Rites, entre autres : Français, Emulation, York et Ecossais Rectifié.
Les Rites ne se complexifient par uniquement par des emprunts à d’autres Rites mais aussi par l’apparition de grades nouveaux. C’est ainsi qu'on a vu apparaître peu avant 1730 le 3e degré avec le mythe d’Hiram, totalement inconnu de la Maçonnerie originelle qui ne connaissait que les deux degrés d’Apprenti et de Compagnon.
Au fil du temps on a vu apparaître le cabinet de réflexion et son symbolisme moral et alchimique, le breuvage d’amertume et les quatre éléments dont trois caractérisent les « voyages ». Plus récemment, on a assisté dans beaucoup de Loges de différents Rites à l’introduction du fil à plomb à la verticale du centre de la Loge ainsi que celle de reflets compagnonniques à l’issue du rituel du 2e degré. On a vu apparaître beaucoup d’autres choses encore qui auraient étranges voire irrecevables au regard d’un Maçon de l’époque d’Anderson et de Désaguliers.
Plus le temps passe, semble-t-il, plus la Maçonnerie est encline à emprunter ici et là: à la kabbale, à l’alchimie, au Compagnonnage, aux Ordres chevaleresques. Il s’agit le plus souvent d’une kabbale de pacotille et d’un hermétisme de fantaisie, mais là n’est pas mon propos aujourd’hui.
Toujours est-il que la théorie de l’emprunt dont nous parlions au début de cette planche ne cesse de se confirmer par la continuité du recours à d’innombrables emprunts au fil du temps.
CONCLUSION
La diversité des Rites maçonniques n’altère en rien l’unité qui les caractérise.
Même si comparaison n’est pas raison, osons une double image comparative dans le domaine musical.
Un guitariste peut jouer de la guitare classique, de la guitare de jazz ou de la guitare électrique mais il s’agit toujours d’un instrument qui se compose d’un corps, d’un manche et de six cordes mi la ré sol si mi. Les effets sonores, aussi différents soient-ils, n’empêchent que quel que soit le type de l’instrument, il s’agit toujours d’une guitare.
Semblablement, les Rites maçonniques, pourtant si différents du point de vue formel, relèvent des mêmes concepts constitutifs: mêmes références au passage des ténèbres à la lumière, mêmes références à la symbolique de la construction et au Temple de Salomon, mêmes moyens de reconnaissance, mêmes recours à la symbolique des nombres, et ainsi de suite.
Comme des instruments de musique, ils diffèrent par des aspects formels, par des résonances particulières, par leur style. A ce propos, il est intéressant de relever que dans la Maçonnerie anglo-saxonne on a recours au terme « working » pour exprimer le terme même de Rite. Ainsi faudrait-il traduire « Emulation working » par « style Emulation » plutôt que par « Rite Emulation ».
Chaque Rite maçonnique correspond de fait à un « style » particulier. Un fauteuil Louis XV se distingue clairement d’un fauteuil de style Empire, mais il s’agit toujours d’un fauteuil et l’usager peut avoir une préférence pour tel style de fauteuil plutôt que pour tel autre.
La Maçonnerie offre une mosaïque de styles différents dont certains conviennent mieux que d’autres aux Maçons en fonction d’aspects culturels particuliers. Il se trouve des Rites plus ou moins déistes, plus ou moins chrétiens, plus ou moins laïques, plus ou moins spiritualistes, ou plus ou moins bien adaptés à une conception sociétale ou à une conception introspective de la Maçonnerie. Mais l’ossature ou, si l’on préfère, les fondamentaux, est commune à tous les Rites.
Jacques Herman, 2021
© Jacques Herman 2021/Cahiers Bleus