chercher la Vérité au tréfonds de l’Univers, aussi.
Mon compas trace large ouvert, mes bras, aussi.
L’Esprit (1), est la vie qui s’est rendu compte qu’elle est.
Sentients, capables de nous examiner et de juger, nous sommes notre esprit, notre âme, comment se passer de ce mot ?
Cette entité consciente de soi, est impalpable à ce jour. Est-elle faculté, fonction de la matière vivante, phénomène vécu ou essence immatérielle, étincelle de souffle divin ? La dispute va continuer, longtemps...
Certes, notre esprit n’est pas chose fabriquée il est né. Pareil au vivant dans lequel il habite - qui donne naissance à la nouvelle vie – il crée ce qui n’était pas avant et il agit (2) . Sur Terre, seul l’esprit est donneur de noms (3), faiseur des langues et d’art.
Mon souffle vital, pneuma, anima, âme, psychisme, « vie mentale », est-il périssable ou immortel ? Accordé par la Divinité ou surgi de l’évolution de la Matière ? Je ne le sais… le fait est que nous ressentons cet état, nous sommes cet état sans pareil. Nous sommes quelqu’un, une identité qui peut dire « moi » ou «nous» Nous éprouvons, chacun, directement, à la première personne, le goût de ce qu’est être sciemment quelqu’un (4), sentir joie et douleur, juger, vouloir, désirer… Sans lui nous ne sommes personne.
Il y a vie de l’esprit si en notre for intérieur ont cours des sentiments et des valeurs, des vertus, des doutes et des convictions, l’action, l’humilité, des devoirs et libertés. Une vision du monde et un espoir peuvent s’appeler déjà spiritualité. A l’opposé, les machines sont des engins fabriqués de substances mortes, leurs algorithmes purgés de valeurs n’ont rien d’une spiritualité, seulement la vie en est capable. La vie de l’esprit seule, fait de nos filiations de mortels des histoires de vie uniques et irremplaçables plutôt que des chaînes d’élevage et de production. C’est la vie seulement qui est douée d’espérance, d’idéal, de pardon et de promesse. La vie et la société des humains.
Pour la raison sèche, la spiritualité reste une subjectivité, une illusion, voir, une superstition. Ceci me semble déplorable, car ce qui désenchante le monde – même la vérité scientifique quand elle est exclusivement de la matière inerte, des abstractions et des machines – assèche la spiritualité et abaisse l’humain. Par des méthodes qui nient l’existence de ce qu’elles n’ont pas prouvé et mesuré, rien ne reste en main en dépeçant le comportement et le corps afin de contrôler s’il y a l’esprit. Pour citer Goethe (en original, car il est mal traduit) :
„Wer will was Lebendig's erkennen und beschreiben,
Sucht erst den Geist heraus zu treiben,
Dann hat er die Teile in seiner Hand,
Fehlt leider nur das geistige Band.“ (5)
“Qui veut déceler et décrire le Vivant/cherche se défaire de l'Âme avant, /puis, bien en main sont les parties, / hélas, manque juste le Lien - l'esprit.”
Nier l’existence de l’esprit, degrade l'homme.
Vie spirituelle, spiritualité, intellect, religion, le sacré? Humaniser le chaos.
Il y a aussi un brin de spiritualité en tout savoir, même intuitif, en tout symbole ou métaphore, mais parler, connaitre et expliquer n’est pas tout. Une étincelle d’esprit vit en chacun de nous, tout simplement, connaissante, éveillée et sensible, pourtant, pour affirmer une vie spirituelle, il faut comprendre l’émerveillement, notre propension historique à enchanter le monde en lui attribuant signification et destinée.
La spiritualité est encore plus que ceci, bien entendu ; c’est l’esprit des humains réunis en civilisation, quand ils osent et se surpassent, de mille manières, vers des idéaux et théories qui transcendent la matérialité vulgaire ; que ce soit par le savoir compris ou par la foi, le mystère ou la raison, par l’intuition, par le génie, par le sacrifice, par la musique, par la découverte et le culte de la Vérité ou du Sacré, par l’extase ou les mathématiques… pourquoi pas. On vit notre spiritualité de diverses manières, solitaires ou ensemble. Par la méditation, l’extase, par la prière, par un satori ou une révélation, ou en comprenant soudainement, en exclamant « Aha ! Eureka ! » … On exprime la spiritualité par une diversité de symboles et rituels, par des cérémonies, mais aussi par l’appartenance, le vécu et le faire de chacun ; le travail bien fait, la pierre bien polie, l’œuvre inspirée, l’art vécu, la pensée selon la méthode scientifique ou la philosophie.
Notre monde ainsi enchanté ou expliqué, nous devient compréhensible, cohérent, prévisible, digne, porteur d’espérance. Pour parler vraiment de spiritualité, l’essentiel est ce que l’être pensant éprouve, croit et fait du vécu, du savoir et des idées, pas seulement ce qu’il sait…
La raison de la spiritualité est d’apporter humanité et harmonie dans le chaos.
Car l’Humanité, comme la Vie, apporte à l’Univers aveugle, qui s’ignorait, sens et formes qui n’y étaient pas et qui, sans l’Homme, disparaîtraient. Sur la «Nature telle qu’elle est», l’homme décalque ses significations, ses mesures, ses façons de comprendre et l’expression de ce que les choses valent pour nous humains. L’Homme apporte ses manières de vivre et de gérer son monde, avec des outils spirituels qui ne se trouvaient pas dans la matière sans lui : la Raison et le savoir, la Méthode Scientifique, mais aussi la compassion, l’espoir, la foi transcendante, la morale, la responsabilité, l’esthétique. L’homme apporte ses questions, son « Pourquoi pas ? », la tristesse, le regret et le rire, la fidélité et la trahison, la solidarité et le rejet. L’homme apporte les mots et avec eux l’outil de la vérité, du mensonge et de l’art. D’où viennent le non-être, les mathématiques, l’Utopie, le Bien et le Mal, la Beauté, sinon de l’esprit ? L’homme invoque et honore, il discerne et célèbre le sacré. L’homme institue des symboles et des vérités morales, invente des formes nouvelles et s’empare de forces démiurges capables de donner forme ou, au contraire, de transformer, de déformer ou tout détruire.
Tout ce qui est spiritualité n’est pas nécessairement bon.
On est justifié de dire qu’on a une vie spirituelle quand l’aspiration de vivre, comprendre et de faire embrasse autre chose en plus d’un Univers exclusivement mécanique et biologique, fait de substance, énergie, information, déterminé sans liberté, par des causalités réduites à la physique et aux autres sciences « exactes » L’être humain et sa société ont un besoin inné de vivre et de mourir plus haut, de croire et révérer quelque chose, même une utopie.
« Nous sommes de l'étoffe dont sont faits les rêves…» (9)
Tout commence humblement : ma spiritualité s’éveille quand que je me demande pourquoi je vis, pourquoi je suis né, moi et pas un autre, à quoi je sers (10). Quand je comprends que je ne comprends pas et je suis curieux de ce dont je suis ignorant au lieu d’en être fier. Quand je m’étonne et je m’émerveille. Quand je me passionne pour des idées et des valeurs. Quand je pose des questions, surtout « Pourquoi ? ». Quand je doute. Quand je découvre quelque chose qui change ma vie comme une nouvelle lumière. Quand je ressens l’enchantement et l’altruisme. Quand des actions ont sens pour moi, pas seulement cause ou utilité. Quand j'ai des choses - que ce soit mon Dieu, la Patrie, la famille, la Vérité, ,l'Humanité, la Vie - qui sont sacrées pour moi. Quand je me construis une citadelle intérieure à l’instar de Montaigne ou de Goethe. Quand mes pensées sont belles. Quand je veux devenir meilleur. (11)
J’exerce ma vie spirituelle quand, scientifique ou mystique, je réfléchis au-delà de mon corps, de ma survie animale et sociale, de mes intérêts et plaisirs et de la souffrance primaire, la chair et les os. Je la vis quand je ressens comme une attirance les limites de ce que je suis et sais, de mon savoir et de mon ignorance aussi. Ceci m’enrichit sans cesse, l’ennui est impossible. J’attends de ce monde intérieur passionnant qu’il me guide et me soutienne d’espoir durant mon voyage par la grande forêt du connu et de l’inconnu, même par-delà de la mort. Avec ma spiritualité, je ne suis jamais seul.
Je crois que s’ennuyer souvent, signale le manque de spiritualité.
La face visible de la spiritualité, qu’elle soit laïque ou religieuse, nous la pratiquons sous forme de rituels et de cérémonies. C’est une multitude de rituels, gestes symboliques et communions - quotidiennes ou sacrées, dans tous les sens du mot.
Toute activité humaine importante acquiert avec le temps une valeur symbolique et tend à se ritualiser.
Une pluralité de spiritualités, jardin d’échelles vers le plus haut
Dans mon opinion, la spiritualité est ainsi la vie de l’esprit – ce souffle si léger que la Science d’aujourd’hui n’arrive pas encore à le saisir ou le mesurer (12) – quand elle se hausse et se dépasse, que ce soit par le savoir, par la raison, par l’intuition, par le talent, par la foi, par l’émotion, par la découverte ou la révélation si vous voulez. On la vit de mille manières, par des événements révélateurs et des rituels sociaux ou religieux, des cérémonies ou spectacles ou par la méditation, par l’extase, par la musique (13)... On la vit aussi par la vocation et par l’œuvre ; qui va nier qu’il y a une spiritualité du travail, de l’ouvrier et de l’œuvre, de la chose bien faite, inspirée, qui rejette la médiocrité au service de ce qui est plus haut?
Dire qu’il y a une seule manière de s’élever spirituellement, la seule spiritualité vraie et exclusive, devient souvent un aveuglement totalitaire ou un mensonge.
Inévitablement, par la pluralité de modes de vie, d’intelligences et de domaines, il y a plus qu’une spiritualité : l’Humanité a ses intelligences et ses mentalités dissemblables, qui ressentent et comprennent à leur critère, qui savent et croient avec des différences irréductibles. Ces Weltanschauungs, agissent pour concevoir et pour changer le monde à leur image. La spiritualité des Hommes ici sur Terre (14), on l’a observée en une multitude de formes, contemplatives ou actives, des progressions du savoir et de l’imaginaire sacralisé, qui ont évolué du temps des cavernes à nos jours (15) … L’Histoire, la Civilisation, la Terre transformée par l’Anthropocène, la condition humaine civilisée, toutes œuvres de notre esprit, en sont la synthèse.
Comparer et mettre en hiérarchie ou en exclusion réciproque les voies de spiritualité n’est pas raisonnable, car elles sont plurielles et ceci veut dire incommensurables. Parfois incompatibles. On peut rêver les réduire l’une à l’autre en imposant un seul critère de vérité, de réalité ou de mérite. Elles correspondent à des domaines et modes de vie différents. Elles suivent des intérêts différents. Quelle absurdité de se faire arbitre unique dans ce jardin d’échelles vers le plus haut, autant de voies d’élévation !
Non seulement il y a plusieurs voies (16), mais souvent, en la même personne, on en observe plus d’une à l’œuvre ; rien n’empêche le grand savant d’être grand croyant ou mystique, le poète d’être religieux ou athée, le danseur d’élever le corps à l’idée et au sacré. Rien n’empêche le prêtre d’être dédié à la Méthode Scientifique – savant qui consacre sa passion à la science ou à l’art. Rien n’empêche l’athée d’être grand érudit, même scrupuleux théologien, qui réfléchit et agit de bonne foi au service de la spiritualité. La largesse d’esprit permet la coexistence dans la pluralité.
Pourtant, respecter cette altérité requiert tout d’abord s’ouvrir l’esprit, concevoir qu’il y a inévitablement des choix de la vie de l’esprit qui ne sont pas monistes, à critère unique. Ce sont des portes et des voies ouvertes à la liberté autant de conscience que de croyance et à la dignité de l’homme, au respect de soi mais aussi d’autrui. On y a tous droit, le progrès spirituel de la Civilisation les a inscrits dans les Droits de l’Homme, de pair avec la recherche du bonheur.
Des génies de l'art de la guerre dont on ne se souvient pas, car ils étaient parfaits, ou d’autres, sanguinaires, comme Alexandre le Grand, Genghis Khan, Bélisaire ou Napoléon… n’ont-ils pas vécu selon une spiritualité de l'antagonisme, Nietzsché-enne ou machiavélienne, de la conquête et de la victoire, une mentalité de la domination qu’on peut désapprouver mais pas nier ou négliger? Les Marines, la Légion Étrangère ont leur esprit de corps, bien authentique. Dans leur training on se croirait en rituel d’initiation. Une spiritualité du devoir, du courage, de la camaraderie, de la loyauté jusqu’à la mort.
Les arts, partis en timides ébauches de manifestation spirituelle, puis servants des religions et des potentats, se sont métamorphosés au cours de l’histoire en porteurs de spiritualité à part entière : Leurs formes et images, le jeu des symboles et des couleurs, leurs mouvements, leurs sons harmoniques, leurs rythmes, moulent les émotions et le vécu des peuples. Chaque art apporte sa langue et sa sensibilité propre pour enrichir le monde avec des œuvres uniques. Les arts suffissent à combler de beauté les vies de certains créateurs et nourrir l’héritage des civilisations et la spiritualité de ceux qui s’y nourrissent. L’architecte et la maçon, le peintre génial, qui érigent et décorent les cathédrales et les cultures, le danseur, la ballerine, qui expriment en mouvement, le dramaturge et son acteur qui donnent vie à la scène et éduquent des nations, la musique qui adoucit les mœurs, divine – on peut dire – par elle-même, la voix qui chante et qui envoûte, tous vivent et éveillent des spiritualités authentiques et intenses… de la chose bien faite, la chose belle, à la chose qui change le monde.
Les Frères ennemis
Dans l’Histoire, la religion et la science sont, à mon avis, deux cultures puissantes qui comprennent et façonnent la réalité différemment. Les deux sont sans limite, parties pour tout couvrir, sans bornes. Deux frères ennemis, des Caïn et Abel engendrés par les successions historiques de la spiritualité humaine. Je dirais que la Science est la face de la spiritualité qui se veut objective, opposée à d’autres, morales ou idéales, comme la Religion. La science, spiritualité de la curiosité et du rationnel, extrait et distille du monde une théorie de la réalité (22); les premises de cette théorie transcendent en spiritualité invérifiable, le savant surpasse l’explication de causes, en se demandant ce que sa découverte signifie pour l’humain ; ainsi, les données et l’information deviennent sagesse qui fait comprendre et maîtriser ce qu’on découvre ou invente en faveur de l’humanité au lieu de subir un « progrès » idolâtré. Science et foi sont des choix justifiables en leurs propres termes en leurs propres domaines. Ce siècle est mûr peut-être pour surpasser la négation réciproque vers une vision plus spacieuse, de complémentarité plurielle.
L’univers, « objectif » comme il l’est, vaut pour nous à travers ce qu’il représente pour nous, par ce que nous comprenons pour en faire usage ou nous en protéger. Notre Univers est humain. Il devient spirituel par nos symboles et notre foi, le respect et l’interdit du sacré, par l’amour, par la beauté ou la laideur, le bien et le mal, la justice et l’injustice, plus que par la falsifiabilité ou la vérité scientifique et encore moins par la réussite des technologies et des empires du profit.
L’esprit scientifique, c’est de trouver insupportable de ne pas savoir et quantifier ; devenu dogme, il brûle de simplifier l’inconnu, en le réduisant à quelque chose de cohérent avec ce qu’on sait, au moins de mesurable, connaissable et explicable. Prévisible aussi. Le reste ne compte pas, n’existe pas, pour de vrai... Sur ma voie personnelle, une des maturités a été de respecter le droit à l’erreur et à la différence irréductible des convictions, d’apprendre au contraire à vivre sereinement, confiant du peu que je sais et comprends, comme avec une petite bougie allumée, au milieu de l’univers, que je crois inépuisable d’inconnu.
L’athéisme lui-même, matérialisme devenu mouvement de pensée et de révolte, se définit – curieusement à mon sens – par négation de toute divinité … mais afin de sacrer l’homme, la Raison et la liberté de penser. Il propose sa conviction émancipatrice comme une alternative somme toute spirituelle... Voir d’Auguste Comte à Richard Dawkins, Christopher Hitchens, et d’autres passionnés… C’est toujours la métaphore mythique de Prométhée.
Au sommet de la vie de l’Esprit, les grands philosophes de l’Antiquité, comme les saints, proposaient des spiritualités et surtout les vivaient (23). Les philosophes sont souvent des sages. Personne ne va leur nier la vie spirituelle des penseurs, leur « amour pour la sagesse » leur vie contemplative, indépendamment de ce qu’ils professent. On ne va pas nier que Platon ou son Socrate proposent une spiritualité, Aristote aussi. Mais qui va soutenir que Nietzsche n’a pas vécu une grande vie spirituelle ? Les philosophies sont autant de propositions d’idéal, qui apportent sens et civilisation au Monde, qui cherchent à discerner l’ordre dans le chaos…
Elles sont nombreuses, ses échelles qui montent. Je conclus que les spiritualités humaines sont cent nobles fleurs qui fleurissent, un kaléidoscope de voies vers le plus haut, presque indépendantes de comment on conçoit ce plus haut ; Ciel, divinité, Etoile du Nord, morale, la Vérité, l’extase, l’ataraxie… ou plus largement, la sagesse et le bien-être de l’Humanité. A ce point de ma recherche spirituelle, je crois – sans grande originalité – que le voyage vaut plus que la destination.
Oui. Le compas est largement ouvert.
Ioan Tenner, juin 2019 - avril 2020
Notes:
1. Une investigation de ce qu’est la vie spirituelle doit commencer par une idée de ce qu’est l’esprit, car c’est dans ce creuset qu’elle émerge et évolue, même si tout ce qui est activité de l’esprit n’est pas nécessairement sensibilité spirituelle. Ce que j’appelle ici spiritualité est la phénoménologie, les manières, la dont la sensibilité du vivant vit le monde.
2. Les Hommes, étant doués d’esprit, jugent avec intention et valeurs, forment de nouvelles idées et artefacts, choisissent, commencent de nouveaux cours d’action. Pour cette « nouveauté » qu'on ne peut pas contrôler, voir Arendt, Hannah, The Human Condition, Univ. of Chicago (Chicago, 1958,1998) et Arendt, Hannah, Life of the Mind (Harcourt, 1981) passim
3. Platon, Cratyle : donneur de noms ou onomaturge, créateur des mots – ces choses qui qui désignent l'essence des autres choses
4. Voir Thomas Nagel, Quel effet cela fait-il d'être une chauve-souris ? In Vues de l'Esprit, Hofstadter, D., & Dennet D, (Eds) 1981, 1987
5. Goethe, Faust, Der Tragödie erster Teil, 1808. Studierzimmer, Mephistopheles zum Schüler. Je me suis essayé à une traduction en Anglais : “To reveal and describe what life is about/They need first from body the spirit to rout/Then, handy and orderly, study goes on/Except that, the tie, which was spirit, is gone” http://wisdom.tenner.org/the-state-of-the-art---an-impression.html ou, dans mon Français approximatif : “Qui veut décrire et définir le Vivant/doit se défaire de l'Âme avant,/puis, bien en main sont les parties,/ hélas, il manque le Lien - l'esprit.”
6. Concept introduit par Vladimir Vernadsky, et mis en valeur par Pierre Teilhard de Chardin en 1922, imaginé comme une couche de pensée et de conscience, une « nappe pensante », véritable tissu de la société humaine, qui envelopperait la surface de la Terre. Dans cet écosystème métaphorique, des idées et des humeurs – qu’elles soient familières, de travail ou de proie, coexistent en compétition et se nourrissent les unes des autres. Quand leur temps est venu, elles se réunissent formant des mentalités, l’esprit du temps (Weltanschauung), des mouvements qui stabilisent ou chambardent le monde humain. Tout ceci n’est pas réductible à la pensée seule.
7. J’adopte la vision de Karl Popper, Three Worlds THE TANNER LECTURE ON HUMAN VALUES, The University of Michigan April 7, 1978 pp 143-145 : 1er monde – Le monde physique subdivisé en monde non-vivant et monde vivant; 2e monde – le monde mental ou psychologique, subdivisé en expériences conscientes, rêves et sous-conscientes – dont la réalité est niée par certains mais admise par le sens commun; 3e monde – celui des produits de l'esprit (mind) humain: langues, histoires, mythes religieux, conjectures ou théories scientifiques, constructions mathématiques , chants, symphonies, peintures, sculptures... aéroports etc.
8. Comme dit Romain Rolland, « L’esprit ne sait pas toujours choisir » (Préfacé à Stefan Zweig, Nouvelles d’une mauvaise passion, Paris, Stock, Delamain et Boutelleau, 1927)
9. La Tempête (1611) de William Shakespeare
10. On s’éveille à cette vie en voyant plus grand, par petits pas. Ou par l’intuition, la découverte et la révélation soudaine. On s’y initie en dépassant l’utilitarisme quotidien, pour chercher un sens à ce qu’on fait et à la mort, au plus haut que nous, au pourquoi de l’Univers…
11. Si je continue ainsi je vais arriver à me demander avec Kant « Que puis-je savoir ? Que dois-je faire ? Que m’est-il permis d’espérer ? » J’aurais « le ciel étoilé au-dessus de moi et la loi morale en moi ». Voici la spiritualité qui se lève!
12. On peut parler d’avoir une vie spirituelle quand l’esprit fleurit au point d’enrichir le vécu de celui qui a un nom, des ancêtres et des descendants, qui dit « je sais, je ne sais pas, je crois, je doute, je pense, je choisis, j’agis, j’aime ».
13. Il y a spiritualité là où, dans notre conscience, ont cours des sentiments et des valeurs, des vertus et des vices, des doutes et des croyances, devoirs et libertés, visions et intentions. A l’opposé, les machines n’ont pas de spiritualité, seule la vie en est capable. C’est seulement la vie qui est capable d’intention, d’espoir, de souhait et demande, d’idéal, de pardon et de promesse.
14. Il me semble raisonnable de commencer considérant que vie spirituelle est ce que semblent faire et dire les gens réputés être des personnalités de grande spiritualité et d’affiner successivement cette observation. Le réveil (Erklärung, Enlightenment) spirituel de l’époque axiale décrite par Karl Jaspers me semble donner l’exemple de ces créateurs de religions, de philosophies, de sciences, économies, technologies et d’empires (Vom Ursprung und Ziel der Geschichte. München & Zürich 1949 (Darstellung der Achsenzeit)).
15. Premières célébrations de la nature, sacrifices, respect des morts, l’animisme, les mythologies, symboles, magie, outils, rituels, préceptes, enseignements, traditions religieuses, folklores, savoirs ésotériques, œuvres et chefs-d’œuvre, conquêtes fondatrices, sphères morales partagées, théories, philosophies, utopies, dogmes, idéologies, Zeitgeist… L’Histoire en entier, la Terre transformée par nos architectures, la condition humaine, en résultent.
16. Même les divinités sacrées des grandes religions sont plurielles ; est-il raisonnable d’imposer à autrui un des trois monothéismes abrahamiques, en déclarant fausses toutes les autres, hindoues, bouddhistes, confucéennes, shintoïstes et j’en passe… ? Est-ce qu’un Gandhi manque de spiritualité ?
17. Bien entendu, les handicapés de spiritualité vont asséner leur suffisance : “What’s the use of stories that aren’t even true?” A quoi servent ces histoires qui ne sont même pas vraies ? (Salman Rushdie, Haroun and the Sea of Stories)
18. Nier l’esprit avec intelligence n’est pas la spiritualité… à l’envers ? Seulement la négliger, incapable de se rendre compte de son sujet est manque de spiritualité.
19. Pour preuve, le prestigieux Oxford English Dictionary affirme encore en son édition de 2013 que « spirituality veut dire tout d’abord 1 : « le clergé » 2 : « propriété ou revenu ecclésiastique…de caractère purement spirituel » 3 : « The quality or condition of being spiritual; regard for spiritual as opp. to material things; spec. the study and practice of prayer... leading to union with God…une remarque pieuse… » 4 : « le fait ou condition d’être non-physique » ! Chambers Thesaurus 2012, plus généreux, accepte la variété de la situation de fait : « dedication, commitment, consecration, ardour, loyalty, faithfulness, allegiance, adherence, trueness, staunchness, constancy, solidarity, unselfishness, self-sacrifice, zeal, support, love, passion, fervour, fondness, attachment, admiration, warmness, closeness, adoration, affection, reverence, steadfastness, regard, earnestness, formal fidelity, 2 devoutness, piety, godliness, faith, holiness, spirituality, sanctity, religiousness 3 prayer, worship, observance Holiness, sacredness, sanctity, spirituality, divinity, piety, devoutness, godliness, consecration, dedication, saintliness, blessedness, religiousness, goodness, virtuousness, righteousness, purity, morality, virtue, perfection, sinlessness, chastity, self-denial, self-sacrifice, asceticism, uprightness, old halidom, sanctimony (Antonym: mysticism) deism, theism, spiritism, supernaturalism, transcendentalism, esotericism, occultism, mystery, mysteriousness, incomprehensibility, inexplicability arcaneness piety piousness, devoutness, godliness, saintliness, holiness, sanctity, religiousness, religion, faith, devotion, reverence, respect, fear of God, deference (Antonyms: impiety, irreligion) …
20. Popper, Karl, Unended Quest, An Intellectual Autobiography, Routledge (2002)p. 18
21. Digne de ce nom, le scientifique n’est pas – comme certains – un mécréant, mercenaire du gain, du pouvoir ou de la technologie, mais un moine chercheur ou grand pontife qui a reçu le sacrement de la Méthode. Son ministère est une œuvre de vie vouée à la Vérité et au service de l’Humanité. Récemment la science s’est donnée à la grande finance et fait aussi la vaisselle pour la jeune déesse déchaînée, la Technologie. Ensemble ils ont enfanté la Technoscience qui mue sous nos yeux en nouvelle et ultime « spiritualité » du post-humain). On ne va pas nier que leur post-humanisme est une proposition de religion sui generis…
22.Pour la science, la Rationalité est la forme suprême de la spiritualité humaine. La théorie scientifique, l’image scientifique du monde, sont régies par des croyances incontestées et irréductibles, par des valeurs propres à la science : la Vérité comme valeur ultime, la Rationalité, la causalité, le Progrès, le Monisme, la réduction au plus simple, l’émergence, le saut qualitatif, la réplicabilité, la falsifiabilité, les lois, la quantité, la mesure et la quantification avant tout…
23. Pierre Hadot - Exercices spirituels et philosophie antique, Études augustiniennes, Paris(1987) passim.
Regardez aussi la belle série sur Arte:
https://www.arte.tv/fr/videos/098380-000-A/les-chemins-du-sacre/