La rédaction des Cahiers Bleus vous présente l’interview que nous a accordée Jean-Pierre B., Très Sage et Parfait Grand Vénérable du Grand Chapitre Général Helvétique. Cet entretien fait suite à celui de Philippe Guglielmi, TS&PGV du Grand Chapitre Général du Rite Français du GOdF en continuant notre présentation du RITE FRANÇAIS, un des grands Rites des grades symboliques et des HG pratiqués au Grand Orient de Suisse.
J-P B. : Le Rite Français est singulier à plus d’un égard, tout d’abord il n’a porté son titre que tardivement alors qu’en fait il existait dès les origines de la Franc-Maçonnerie. Il s’agit en fait du plus ancien de tous les Rites et il a probablement été le seul jusque vers 1750 environ aussi bien en Angleterre qu’en France. Paradoxalement, le Rite que l’on appelle Français est d’origine Anglaise. Mais s’il s’agit de donner mon opinion, l’unicité du Rite Français est que de tous les Rites Maçonniques du monde, il est le plus accueillant de la diversité.
IT : Y a-t-il quelque particularité Suisse dans la manière ou le RF - sans doute universel - est pratiqué chez nous?
J-P B. : Le Rite Français pratiqué dans quelques loges bleues du GOS connaît certaines légères nuances. Par contre dans les Ordres de Sagesse il est strictement en conformité avec le Rite de référence tel que défini au GOdF lors de sa refondation. Nous nous sommes engagés à le respecter au plus près de la lettre.
IT : En quoi consiste la sagesse dans nos grades de sagesse? Comment la reconnaître en la rencontrant durant nos travaux?
J-P B. : Les grades au-delà du grade de maître, appelé souvent improprement Hauts Grades se distinguent par leur appellation en Ordres de Sagesse. Nous ne parlons pas de Loges de perfection, car nous travaillons à aller vers la sagesse, qui s’obtient par l’amélioration de soi-même et la progression de la Connaissance Maçonnique. Bien entendu, tous les FFMM de tous les Rites aspirent à cette sagesse qui fait de nous tous des femmes et des hommes libres, s’adonnant à respecter les valeurs morales. Outre le travail symbolique qui reste la base de la FM, nos travaux sont clairement orientés vers les réflexions sur les questions que nous posent nos sociétés modernes. Entre autres les questions de vivre ensemble, le transhumanisme, la montée des extrémismes de tous bords sont abordés pour tenter de nous positionner avec sagesse dans notre monde en perte de repères, en écoutant toutes les sensibilités. Partout, nous cherchons ce qui rend la société et la vie de l’homme meilleures.
IT : A quoi de spécial, à quelle direction des attentes de maçons d'aujourd'hui sert le Rite Français dans le concert bien fourni d’autres rites respectables et installés dans la tradition? Y a-t-il un besoin maçonnique particulier auquel le RF répond spécifiquement?
J-P B. : La philosophie des Ordres de Sagesse est un idéal que nous voulons servir qui est le prolongement de l’idéal des Lumières. Par l’élargissement de sa pensée le FM qui comprend bien la philosophie du Rite Français jouera de son influence, chacun à son niveau, à améliorer l’ordre social. Nous nous attachons à être des (é)veilleurs de conscience en maintenant et en développant les valeurs définies dans la déclaration universelle des droits humains, qui déclare que « tous les humains sont égaux en dignité et en droit », sans oublier naturellement nos devoirs. Je crois que nous répondons surtout à l’attente de ceux qui se cherchent dans une perspective de spiritualité humaniste.
IT : Comment décrire la notion si importante pour le RF - la laïcité, dans le contexte Suisse? Respecter tout simplement la liberté de chacun de croire ou de ne pas croire dans son for privé ou dans son Rite?, faire une condition de la réciprocité du respect de l’altérite?, travailler pour une élévation spirituelle encore plus haute et intégratrice?
J-P B. : Dans l’article premier de nos Constitutions, que nous lisons à chaque ouverture de nos travaux, nous précisons :
« Considérant les conceptions métaphysiques comme étant du domaine exclusif de l’appréciation individuelle de ses membres elle se refuse à toute affirmation dogmatique. Elle attache une importance fondamentale à la laïcité. »
Ce point fait souvent débat car la notion de laïcité est mal comprise, et elle a naturellement une connotation différente que l’on se situe en Belgique, en France ou en Suisse. Je reviendrai sur ce point mais je voudrais tout d’abord préciser que lorsque au Rite Français toute référence à un principe créateur a été supprimée ce n’était pas motivé par une tendance anticléricale quelconque, mais dans le but que personne ne soit discriminé pour sa foi, sa confession, son athéisme ou son agnosticisme. Nous posons avec force le principe de la liberté absolue de conscience en dehors de tout dogmatisme.
Pour revenir à notre spécificité Suisse, la question des libertés de croyance est garantie par la Constitution Fédérale. Je vous en livre ici un extrait :
Art. 15
1 La liberté de conscience et de croyance est garantie.
La Suisse ne se définit pas comme un état laïc, mais les rapports entre l’Eglise et l’Etat sont en fait délégués :
Art. 72
1 La réglementation des rapports entre l’Eglise et l’Etat est du ressort des cantons. »
Seul le Canton de Genève se définit comme un état laïc, mais toutes les Constitutions Cantonales sont en conformité avec les principes de base de la Constitution Fédérale.
Notre rôle dans ce contexte qui aujourd’hui ne pose pas de problème, mais il se doit de veiller à maintenir fermement ces positions, surtout face aux tentatives de divers mouvements religieux de limiter ces libertés.
IT : Comment interpréter, comment utiliser et vivre les symboles et légendes des religions, présentes dans nos rituels et Grades?
J-P B. : La Franc-maçonnerie est imprégnée de culture chrétienne, même de culture protestante dès son origine. Les symboles utilisés sont pour la plupart inspirés de légendes vétérotestamentaires, qui ne sont pas vus comme des vérités intangibles, mais qui sont porteurs d’un sens symbolique et initiatique que nous pouvons comprendre et auxquels nous pouvons nous identifier. Que l’on soit de culture Chrétienne, Juive, Musulmane ou Hindoue, les symboles que nous utilisons seront compris par tous, mais ils ne feront jamais l’objet d’un dogmatisme enfermant considéré comme étant la Vérité en dehors de laquelle il n’y a pas de vérité. Ce sont des outils, qui ne font pas l’objet d’interprétation rigide, mais qui nous aident dans notre quête.
IT : Quel idéal servir, deux siècles après les Lumières: Suffit-il de nous améliorer? Améliorer l'ordre social tel qu'il est ou le transformer?
J-P B. : Les réponses à cette question multiple sont évidentes. Il ne suffit pas de nous améliorer sur un plan personnel si cette amélioration reste confidentielle. Il est clairement de notre devoir et de notre responsabilité d’agir à notre niveau, sans illusion sur la portée réelle de notre action et notre capacité à transformer l’ordre social. Si nous agissons là où nous vivons, en saisissant les occasions de faire connaître nos valeurs, nous pouvons déjà affirmer qu’une seule bonne action envers le plus petit de nos Frères en humanité rend déjà le monde meilleur.
Propos recueillis par Ioan Tenner