Kippt Europa die Aufklärung? (Auf Deutsch hier klicken)
Résumé : entre leur apparition au 18ème siècle et les grandes guerres au 20ème, l’influence des Lumières était fortement contrariée par le développement du nationalisme, voire chauvinisme et fascisme et leur influence ne se manifestait que rarement. Par contre, après 1945 jusqu'à la chute du rideau de fer, les idées des Lumières formaient une des bases, même sans être évoquées, de la cohabitation consensuelle et tolérante entre les états de l’Europe d’Ouest.
La montée rapide de mouvements populistes - avec un fort composé nationaliste - depuis 2000 environ, partout en Europe, met en danger les acquis les plus importantes de l’époque après-guerre : La convention de droits d’hommes, l’étroite collaboration économique et finalement même la paix.
Je vous cite la définition-clé utilisée dans le cercle culturel germanophone. Elle était formulée par Immanuel Kant en 1783 dans son essai „Was ist Aufklärung ?“ Cela avec la phrase inoubliable, que la «Aufklärung» soit „Der Ausgang des Menschen aus seiner selbstverschuldeten Unmündigkeit“… "La sortie de l’homme hors de l’état de tutelle dont il est lui-même responsable ". Ou tout court : SAPERE AUDE!, Ose savoir!, ou un peu populaire: ose d’utiliser ta matière grise…Peu importe que Kant, vivant dans la Prusse de Frédéric II, illustre cette sortie de la tutelle avec des exemples de savants, d’ecclésiastiques, d’officiers et autres membres de la grande bourgeoisie. Mais à la fin de son essai, il ajoute sans détails que le peuple tout entier est sujet de ses considérations.
Pourtant, à cette époque de l’absolutisme éclairé, la plupart des paysans en Prusse venait d’être libéré du servage (Prusse 1794/1811) et la grande majorité du peuple n’avait guère la formation de comprendre les idées des Lumières.
Contrairement, on pourrait penser qu'aujourd'hui, dans la partie éclairée de notre monde « occidental », avec ses immenses possibilités de formation et d’information, on pourrait exiger la auto-responsabilité de chaque citoyen adulte, de juger de manière rationnelle, bref qu’il applique la proposition SAPERE AUDE….Mais regardons la réalité depuis l’époque des « Lumières » et nos jours.
Il est évident que ces deux composantes se sont séparées assez rapidement. Sans aucun doute, les idées des Lumières se sont imposées rapidement dans les sciences naturelles et leurs applications technologiques. Les innovations qu’on n’avait jamais vécu avant ont pris un essor au 19ème siècle. Hélas, ce développement n’était nullement accompagné par Liberté, Égalité et Fraternité, mais par la restauration…le résultat principal du Congrès de Vienne. Pire, après avoir apporté certaines petites avances sociales, les révolutions bourgeoises de 1848 se transformaient rapidement en nationalisme, impérialisme et colonialisme de grande échelle. La Suisse était une des rares exceptions, au moins partiellement.
Les espoirs de la nouvelle classe ouvrière avaient abouti dans la 2eme Internationale (1889, Paris) qui a réanimé certaines idées sociales des Lumières avec un succès indéniable. Mais, un but important de l’Internationale, rendre impossible qu’un ouvrier tire sur un autre, bref rendre impossible la guerre entre les peuples, a échoué. En effet, la décennie de 1848 jusqu’au milieu du 20ème était une période qui a amené, entre autre, la guerre franco-prussienne en 1870, et les deux conflits les plus sanglants de l’histoire, les guerres mondiales. Les maçons, non plus ont tenu leurs promesses de ne pas se tirer dessus. Il est significatif que la paix entre les peuples ne fût pas une revendication d’importance des Lumières.
Pendant la période impérialiste et entre les grandes guerres une compétition farouche s’ouvre entre les nations les plus « avancées » : être la nation prédominante en sciences naturelles. Les dictatures les plus sombres du 20ème siècle, le nazisme et le stalinisme, ont aussi tâché de démontrer leur suprématie par l’image de la meilleure science. Un résultat, certainement pas désiré, de la libération des sciences par les Lumières.
Par contre, la réalisation des idées des Lumières dans le secteur social et humanitaire, était nettement moins évidente pendant cette période. La raison, le droit naturel et le sens commun auraient du servir de guides, mais la raison n’a jamais pu se dissocier des émotions, c’est ainsi que l’homme paraît être construit. De plus, les anciennes et nouvelles structures du pouvoir se sont manifestées comme obstacle important. La liberté et les Droits d’homme n’étaient finalement jamais à la portée de tous.
La «Déclaration d’Indépendance» des colons Américains de 1776 mentionne pour la première fois les Droits Humains dont « La vie, la liberté et le droit de poursuivre le bonheur » (Life, freedom and the pursuit of happiness). Le dernier est un simple droit sans aucune garantie ou soutien de la société. De plus, la pratique constitutionnelle des jeunes États Unies n’accordait ces droits qu’aux hommes nés libres ; ni aux femmes, ni aux esclaves, ni aux indigènes, même pas aux Noirs libérés par leurs maîtres.
Ces limitations ne se heurtaient pas avec la vision puritaine des « Lumières » de la société américaine qui en est imprégnée jusqu’à nos jours. IN GOD WE TRUST. N’oublions pas que le désir d’indépendance des colons était surtout de caractère économique et pas profondément humanitaire. L’humanisme inconditionnel, représente par Thomas Paine, adversaire profonde d’esclavage et de la bigoterie, ne pouvait pas arriver à ses fins face au pragmatisme à l’américain tel qu’il a été pratiqué par Thomas Jefferson, propriétaire de 209 esclaves. Par conséquent, le « Bill of Rights » de 1791 définit surtout les droits de citoyen des colons et ne pas les droits d’hommes universels.
Mais Olympe de Gouge, qui a réclamé avec ferveur l’égalité des femmes a été livrée à la guillotine. Je renonce d’décrire la période contradictoire et difficile qui a suivi la révolution française en Europe. Aussi la France post révolutionnaire était assez loin de respecter le droit de l’homme universel.
Lors du Congrès de Vienne 1815 c’était, on peut s’en étonner, l’Angleterre qui s’engageait pour le bannissement de l’esclavage. Il fallut entre autre l’engagement du maçon Victor Schœlcher que la France abandonne définitivement l’esclavage dans ses colonies après 1848.
Remarque intermédiaire : on peut se demander sérieusement, si la conception européenne des Lumières peut revendiquer pour toujours d’être le nec plus ultra pour le monde entier. Un exemple : la Chine de nos jours réunit une base confucianiste, orientée par l’autorité, la famille et le succès commun avec la technologie ultramoderne et une grande liberté économique. Les succès de la Chine sont incontestables, pas au dernier lieu, pour attaquer des immenses problèmes sociaux et environnementales.
Et maintenant quand même …..L’Europe ?
Enfin, pourquoi l’Europe devrait s’engager davantage que d’autres régions à maintenir vivants les idéaux des Lumières? Tout simplement parce que Humanisme et Droits d’hommes sont devenus le grand thème philosophique dans notre continent pour la première fois. Je considère l’Europe comme «dépositaire» des idées humanitaires des Lumières. Cette revendication à été confirmé « expressis verbis » par Emmanuel Macron dans son discours d’inauguration au Louvre.
Le terme dignitas dans le sens d’une dignité humanitaire universelle et égalitaire à été utilisé par le philosophe du droit naturel Samuel von Pufendorf, à la fin du 17ème siècle, pour la première fois.
Les idées humanistes des « Lumières » ont donc fait leur début à cette époque. Mais il fallut attendre jusqu’au milieu du 20eme siècle pour leur réalisation, au moins partielle, dans un grand ensemble géographique, donc en Europe.
Elle n’est pas un produit de l’Union Européenne mais du Conseil d’Europe, qui groupe tous les pays européens y compris la plupart d’états de l’ex-USSR (avec l’exception du Belarus…) et oui, aussi la Turquie… Tous ces états ont ratifié la CEDH.
La CEDH va bien plus loin que la convention des Nations Unies de 1948. La peine capitale est suspendue en temps de paix, dans l’Union Européenne elle est carrément abolie. Les articles anti discriminatoires sont nettement plus étendus et les droits résultants peuvent être revendiqués devant le tribunal européen des droits de l’homme. La CEDH est conçue comme système ouvert qui peut s’adapter aux changements de la société.
Pourtant, il est significatif que cette œuvre est mise en question aujourd'hui par quelques derniers venus: la Russie, la Pologne, la Hongrie… mais aussi par M. Erdogan, qui tente de se débarrasser de l’héritage kémaliste d’égalité et laïcité. Vous savez qu’il y a aussi une discussion assez sévère en Suisse, concernant une résiliation possible de la CEDH.
On peut être d’accord que certaines décisions du Tribunal de Strasbourg peuvent être mises en question en bonne foi. Mais l’attaque frontale du nationalisme contre ce qu’on discrédite comme « humanisme exagéré ou même exalté » est d’une toute autre qualité et nous rappelle les années 30. Il est significatif que le mot allemand « Gutmenschen » (bons êtres) est devenu
une insulte.
Revenons en 1945. « The spirit of 1945 » (Ken Loach) était le départ pour une Europe basée sur l’humanisme, la démocratie consensuelle et l’économie sociale du marché (le modèle keynésien, de « soziale Marktwirtschaft » introduit par Ludwig Erhard). C’est entendu: les années suivantes n’ont pas été libres des contradictions. L’atmosphère de la guerre froide rendait possible que les crimes des années sombres n'étaient quasiment plus poursuivis, en faveur d’une intégration rapide de gens « expérimentés » dans la lutte contre l’ennemi commun. Il fallut attendre 1968 et plus tard la chute des régimes en Europe d’Est en 1989 que des états comme la France et l’Autriche reconnaissent la responsabilité d’une grande part de leur population dans les crimes du nazisme.
Les contradictions mentionnées n’ont, toutefois, pas arrêté le développement des œuvres solidaires et égalitaires comme le droit de vote des femmes, un service de santé publique pour tous, l’assurance d’une vieillesse digne et l’accroissement continu des libertés individuelles.
Pourtant, le modèle Européen paraît arriver à son échéance aujourd’hui.
Nous pensons connaitre quelques raisons de développements négatifs depuis 1990:
Tout d’abord c’était l’essai d’intégrer au plus vite les états auparavant « de l’Est ». Leur histoire explique des déficits importants à comprendre le fonctionnement de la démocratie. (Notons, toutefois, que les cercles économiques se réjouissaient de l’arrivé de la main-d’œuvre bon marché en masse). Autre raison est le développement démographique, le vieillissement assez rapide, qui fait de la conservation des acquis un but principal.
Et finalement il y a le courant migratoire, la source du terrorisme selon quelques-uns. La grande responsabilité « de l’occident démocratique » à l’origine de ce problème est régulièrement mise en parenthèse. On peut compter des dizaines de places dans ce monde ou l’Occident a causé des secousses et des guerres avec le seul but d’augmenter son pouvoir stratégique et économique. Soyons précis, je parle de la période post-coloniale après 1945.
Pour revenir à la migration, on peut constater qu’aucune des conventions humanitaires ne stipule un droit à l’établissement libre en dehors de son état d’origine. Un tel droit est sujet des conventions entre les états, comme c’est le cas dans l’UE. (Même Hannah Arendt a mis en question un droit naturel humanitaire d’un établissement libre.)
On entend souvent qu’on ne peut plus compter en politique et économie sur les générations vieillissantes. Mais il est surprenant que c’est souvent la jeune génération qui se rend dans un état de quasi tutelle, se privant en effet de leurs droits démocratiques. La réflexion critique est substituée par l’information turbo venant des médias gratuites. Le succès matériel et personnel devient la mesure avant n’importe quel sentiment solidaire. C’est l’hédonisme qui se prend pour individualisme.
Et pourtant, depuis que l’original de cette planche (en Allemand) était présenté, il y a plus qu’une année, on peut constater une brise de changements vers la raison en Europe. Tout à coup, se sont formés des mouvements de la société civile, de gens de tout âge et direction politique confondu, contre des déviations inhumaines irréversibles. C’est en Suisse l’Opération Libero de la jeune Flavia Kleiner qui a mis en échec l’ »Initiative de mise en œuvre » ; en Autriche il y avait un mouvement spontané similaire qui a évité un président de l’extrême droite, pour donner deux exemples. Beaucoup regardent le succès d’Emmanuel Macron comme l’apothéose de cette tendance, un jugement qui doit encore faire ses preuves. Mais, pour l’instant le pire est évité en France. De nouveau en Autriche, c’est le jeune ministre des affaires étrangères Kurz qui essaie une conquête rapide à la Macron, partant d’une position plus conservateur, mais évidemment dans les règles démocratiques.
Depuis quelque temps on peut observer en Europe du Sud, dans les pays avec des problèmes sociaux fondamentaux, la naissance de mouvements nouveaux de différentes couleurs qui ont un point commun : ils renoncent en général à la méthode de définir un bouc émissaire et tâche d’attaquer les problèmes de façon raisonnable et humaniste.
L’Europe abandonne-t-elle vraiment l’héritage des Lumières ?
Quelques temps en arrière c’était effectivement à craindre : le passage d’un état après l’autre à un modèle nationaliste, non-solidaire et autoritaire, comme en Pologne, Hongrie et en Turquie. Le spectre du terrorisme peut toujours, aussi chez nous, servir justifier une surveillance accrue de tous les citoyens. Les autorités pourraient ainsi facilement définir les « compagnons sans patrie » ou même les « traîtres ». Nous avions vécu, même et surtout en Suisse, des tentatives de prendre la maçonnerie en grippe. Nous savons bien que la FM actuelle est assez « anodine », ces tentatives symptomatiques ne le sont pas.
Pourtant, je ne pense pas qu’un danger de vrai fascisme existe en Europe. Il manque les composés d’expansion guerrière et la volonté totalitaire. Les extrémistes de nos jours veulent plutôt construire des murs autour de leur état. Au 19ème siècle on appelait ce genre de pays « Nachtwächterstaaten » (états veilleurs de nuit), dont la tâche était la « protection de l’ordre, de la propriété et la surveillance des esprits dangereux ».
Quelques développements récents nous laissent une lueur d’espoir que finalement l’humanisme raisonnable et le sens démocratique seront plus forts que les émotions négatives, exploités par certaines forces sombres.
Tout cela ne veut pas du tout dire qu’une fin d’alerte est en vue. La situation actuelle est un peu désamorcé par la reprise économique et une diminution de la migration pour le moment. Je crainte que les prochaines élections en Allemagne et surtout en Autriche montreront que « la bête » est toujours bien vivante.
Mais, que nous, les maçons, pouvons faire qu’espérer à des autres qui arrangent les choses ?
Une de nos maximes stipule que la maçonnerie ne prend pas une position commune concernant des questions « politiques ». Entre nous, nous pouvons discuter de tout, mais nous évitons d’en disputer. Nous prenons acte de l’opinion différente des FF :. sans la juger. La disparité continue des opinions est en même temps force et faiblesse de la FM.
C’est alors à chaque frère de prôner et de vivre les idées de tolérance et humanisme dans son environnement professionnel et privé et de les appliquer dans le cadre de ses convictions.
Les dernières lignes du rituel AFAM, pratiqué en Suisse Alémanique, résument très bien, ce que notre art nous enseigne :
Retournez maintenant au monde, mes frères,
Et faites vos preuves comme franc-maçons.
Opposez-vous à l’injustice là où elle se manifeste,
Ne tournez jamais votre dos à la misère,
Soyez vigilants à vous-mêmes.
PH 22.08.2017
Planche présentée au chapitre « Vitruve », le 21 oct 2017.