L'historien Olivier Meuwly, qui n’est pas maçon, est une personnalité vaudoise connue. Deux fois docteur de l'Université de Lausanne, en droit et es lettres, il est l'auteur de plusieurs ouvrages traitant de politique. Monsieur Meuwly, est par ailleurs directeur de la série "Histoire" dans la collection « Le savoir suisse » (aux Presses polytechniques et universitaires romandes). Il est vice-président du Cercle démocratique Lausanne (CDL) et membre du comité de la Société d'histoire de la Suisse romande (SHSR). Il collabore régulièrement avec des médias de Suisse romande.
Ce texte qui fait surtout référence à la Franc-maçonnerie Vaudoise nous semble significatif pour toute personne qui de bonne foi veut savoir pour quelles idées ont agi les Franc-maçons et qui veut comprendre le rôle historique de la Franc-maçonnerie Suisse.
Zusammenfassung
Als Kenner der Geschichte der Schweizer Politik, zeichnet der Autor ein lebendiges Portrat der Rolle und Bedeutung der Freimaurerei in unserem Polit- und Parteiensystem. Der Autor beschaftigtsich vor aliem mit dem Kanton Waadt und der Freisinnig-Demokratischen Partei. Meuwly spricht von wichtigen Ereignissen im Kampf der Ideen in unserem Land und zitiert einige Meilensteine und wichtige Tatsachen, die das Leben der Schweizerischen Eidgenossenschaft im 19. Jahrhundert besonders pragten. Olivier Meuwly sagt, dass unser Bund weniger mit Vorurteilen zu kampfen hatte, wenn mehrere bedeutende Politiker Freimaurer waren.
Politique vaudoise au 19e siècle: entre réseaux et convictions*
La question des relations entre des associations de pensée comme la franc-maçonnerie et le monde politique pose de nombreux problèmes, qui ressortissent principalement a l'histoire des idées, a l'histoire des mouvements politiques eux-mêmes et a la sociologie. Elle est cependant à la mode dans la mesure où elle s'inscrit dans l'étude des réseaux humains par lesquels la politique est censée se construire. II n'en demeure pas moins que les associations sont fondamentales pour la compréhension de l'évolution du politique.
Consubstantielles a l'idée même de parti, ayant en général précédé les partis comme organisateurs de l’action politique, mais en même temps différentes d'eux par leur refus de participer directement au pouvoir, elles peuplent l'univers politique suisse a des titres varies: comme groupements d'intérêts attaches a défendre leurs clientèles respectives auprès des dirigeants politiques, réseaux de connivences et de sociabilité entre personnes issues du même milieu ou se retrouvant dans la même vision du monde, relais destines a répandre tel ou tel point de vue, laboratoires de réflexion indépendants ou au service de formations politiques établies, viviers de formation, groupes ambitionnant une action directe a l’intérieur ou a l’extérieur des institutions officielles. Leurs objectifs sont donc multiples, se recoupent parfois mais sont aussi plus ou moins précis. Le problème est important pour notre propos. Une association d'industriels ou syndicale aura une mission clairement définie, rivée sur la défense des intérêts de ses membres ; et c'est à cette aune que leur efficacité sera jugée. En Suisse, elles se constituent des les années 1870. Mais d'autres associations ont des buts moins précis et ne s'effraient pas d'ambitions purement idéales, dont l'impact est évidemment nettement moins mesurable.
C'est à cette dernière catégorie qu'appartiennent la franc-maçonnerie ou les sociétés d'étudiants, dont il sera aussi question dans les lignes qui vont suivre. Mais comment se combineront partis politiques et franc-maçonnerie ? Une intimité entre les deux cercles est-elle avérée ? Une influence est-elle détectable ? Aucune réponse définitive, on le verra, ne peut être apportée à ces questions. En revanche, par l’engagement de Franc-maçons connus dans les arcanes de la politique, vaudoise en l’occurrence, il sera possible de saisir un peu mieux comment la franc-maçonnerie a pu accompagner, de longues années durant, la principale force politique du canton de Vaud : le parti radical. Un parti qui s'est d'ailleurs constitue des ses débuts sur une myriade d'associations, bien entendu économiques, franc-maçonniques ou d'étudiants, mais aussi de tir, de gymnastique ou de chant: le radicalisme a su se nourrir de I’ élan véhiculé par les innombrables sociétés qui garnissent notre pays.
Les Bernois interdisent la franc-maçonnerie dans leurs dépendances vaudoises en 1745. Son esprit libertaire indispose les maîtres du pays ; les idéaux qu'elle remue représentent une menace pour l’ordre établi. Elle ne réapparaîtra qu'en 1798, avec l’avènement de la République helvétique. La franc-maçonnerie a-t-elle pour autant disparu ?
Loin de la, en vérité. Non seule- ment elle continue à survivre en clandestine, mais, confirmant les pires craintes des Bernois, elle rassemble la fine fleur des «Lumières» vaudoise, en une sorte d'opposition organisée au régime en place. Se succéderont ainsi en loge Fréderic- César de La Harpe, l’une des figures majeures de la Révolution vaudoise, Pierre-Maurice Glayre, l’un des principaux dirigeants du pays libère, Antoine Mieville, le rédacteur de la Gazette de Lausanne et parrain de Louis Ruchonnet, le célèbre médecin François Verdeil, l'avocat Jules Muret, qui passera de la Révolution aux plus hautes fonctions du canton de Vaud de la Médiation. Ces personnalités prépareront le renversement de l'Ancien Régime, animeront pour certaines les fameux banquets des Jordils et de Rolle, grands rassemblements censés fêter l'anniversaire de la prise de la Bastille et qui exciteront l’ire des patriciens de l'Aar en canalisant le mécontentement croissant des Vaudois, surtout des villes, à leur endroit.
Cette surreprésentation franc-maçonne dans les états-majors de la Révolution n'a évidemment rien d'étonnant. Tout au long du 18e siècle, les idéaux de la franc- maçonnerie avaient fini par se confondre avec ceux de l’opposition a l'Ancien Régime : foi dans le progrès contre l’immobilisme des «états» ancestraux, dans la liberté prise abstraitement contre des libertés distribuées avec parcimonie par un pouvoir cadenasse, dans une laïcité qui doit refouler le religieux dans la sphère privée, dans une fraternité humaine réinventée qui laisse poindre les premiers appels a une égalité encore dans les limbes.
Les loges reflètent certes une grande variété de valeurs et de principes, mais s'inspirent peu ou prou de ces grands thèmes que l’on repérera aux fondements de tous les mouvements révolutionnaires qui émailleront le 19e siècle, sinuant de Voltaire à Proudhon et Bakounine, en passant par le jeune De Maistre. Et c'est vrai aussi pour le canton de Vaud. Si le Maçon La Harpe tisonne les débuts du mouvement libéral, des les années 1820, contre le Maçon Muret, personnage central du gouvernement cantonal désormais réfugie dans un conservatisme jaloux, une nouvelle génération de Franc-maçons attend son heure.
Pour cette dernière, le libéralisme, dans ses aspirations a une Suisse plus unie, revendique trop mollement l’achèvement de la liberté dont il a pourtant balise l’assomption. Surtout, à ses yeux, il néglige les aspirations démocratiques d'une population qui commence à vivre les soubresauts d'une économie de type capitaliste. Elle prendra peu à peu la tête de la gauche radicale qui s'organise dans le sillage du mouvement libéral parvenu au faite du pouvoir en 1831. Et dans cette gauche radicale se croise une foule de Franc-maçons: Louis-Henri Delarageaz, le lieutenant de Druey et véritable instigateur de la révolution radicale de 1845 avec son Association patriotique, fer de lance du mouvement; Charles Veillon, membre du premier Conseil d’État radical en 1845 avec Delarageaz et Druey ; Jules Eytel, l'un des leaders de la révolution, caractère impétueux et futur chef de l’opposition de gauche au gouvernement de Druey; Abram-Daniel Meystre haut dignitaire maçon, préfet de Lausanne peu après 1845 et, bien que fidèle au Conseil d’État dans lequel il entrera bientôt, animateur de l'aile ouvrière du radicalisme vaudois. D'autres acteurs moins connus du mouvement doivent encore être mentionnes : Louis Bonjour, futur conseiller d’État et proche d'Eytel ; Benjamin Pittet, qui succédera au Conseil d’État a Druey élu au Conseil fédéral en 1848 ; Louis Reymond, conseiller aux Etats et longtemps associe a Delarageaz aux commandes de l'Association patriotique; Auguste Rogivue, futur conseiller aux États, professeur a l‘Académie et beau-père de Louis Ruchonnetm(dont le père était également franc-maçon) ; Jules Besanson, professeur a l’Académie et écrivain qui n'hésitera pas a égratigner les radicaux au pouvoir avec son Instituteur Grimpion; Jean-Louis Borgognon juge, qui aura également Ruchonnet pour gendre quand, veuf, celui-ci se mariera avec sa fille Elise. Citons encore François-Louis Correvon et Charles Roulet, conseillers d’État dans les années 1850.
Cette foison de Franc-maçons aux avant-postes de la révolution radicale le montre: rarement les idéaux maçonniques n'ont été aussi proches d'un mouvement politique dans notre pays. En proclamant dans ses principes de 1848 la fraternité, la charité, le progrès par le perfectionnement, l’instruction pour tous, la liberté de conscience et de foi, le progrès dans la satisfaction des besoins d'harmonie et de paix, la concorde patriotique, les principes de loyauté et de modération, la franc-maçonnerie façonne des valeurs philosophiques dont se repaît le radicalisme et que le jeune Ruchonnet fera siennes.
Cette proximité entre la franc-maçonnerie vaudoise et le personnel politique de ce canton ne doit toutefois pas tromper : elle n'exerce aucune activité politique, n’apparaît en aucune façon aux heures les plus chaudes de la révolution ou après. Elle laisse cette tache à l’Association patriotique, le bras «arme» de la révolution crée de toutes pièces par Delarageaz. Ce qui n'empêchera pas Georges Boisot, conseiller d’État conservateur débarque en 1845, d'ironiser dans ses Souvenirs sur la subordination présumée du radicalisme a la franc-maçonnerie !
La franc-maçonnerie et le renouveau radical des 1866
La franc-maçonnerie fait ainsi figure de société «intellectuelle», qui offre un cadre de rencontre à des hommes mus par des idéaux communs, qui aiment échanger sur des préoccupations communes. Foyers de complicités amicales et, par la, vecteurs de grands projets politiques, les loges n'en restent pas moins éloignées du champ politique et s'apparentent ainsi aux sociétés d'étudiants.
L'Académie de Lausanne est, au moment de la révolution radicale, le fief de la Société de Zofingue, fondée en 1819 au niveau suisse, et en 1821 dans la capitale vaudoise. Vivier du mouvement libéral, la société le suit dans son évolution vers le conservatisme, au grand déplaisir d'une aile gauche, qui fonde l'Helvetia en 1832. Actionnée par des Lucernois et des Zurichois, celle-ci ne parvient pas à s'installer a Lausanne. La, Zofingue, bien que majoritairement conservatrice, continue à accueillir la frange estudiantine qui adhère au radicalisme: conseiller d’État des 1845, fidèle compagnon de route de Druey et Delarageaz, Fransois Briatte sera zofingien durant ses études, mais pas franc-maçon, au contraire de Jules Eytel, qui sera les deux.
L'Helvetia prendra pied à Lausanne entre 1847 et 1848, a l'occasion d'une nouvelle scission, a Berne, entre zofingiens conservateurs et zofingiens radicaux. Aucune dissidence ne se signalera a Lausanne mais la jeune Helvetia pourra compter sur des étudiants rallies au radicalisme et qui opteront directement pour la jeune société contre Zofingue, retirée des jeux politiques.
Petit à petit, Helvetia va imposer sa casquette rouge dans le paysage académique
lausannois et devenir le bras académique du radicalisme, surtout après l ‘entrée dans ses rangs de Louis Ruchonnet, en 1851. Alors que les radicaux de 1845, derrière Delarageaz, s'enfoncent dans la crise et sont éjectés du Conseil d’État en 1862, par une coalition hétéroclite composée de conservateurs et des radicaux de gauche d'Eytel, Ruchonnet va patiemment reconstruire le parti radical et montrer un talent hors du commun pour attirer vers lui des forces nouvelles, qu'il saura motiver, stimuler, fasciner, pousser vers les sommets.
Avec Victor Ruffy, son plus proche allie et ami (il n'est pas franc-maçon mais zofingien, et sa descendance sera helvétienne), Ruchonnet regroupe une cohorte de personnalités qui le seconderont dans tous ses combats. Et le noyau dur de ses plus proches compagnons sera principalement compose d'helvétiens et de Franc-maçons; Ruchonnet appréciait de s'entourer de gens dont il était sur qu'ils partageaient ses valeurs. Ainsi Antoine Vessaz, autodidacte devenu l'un des maîtres du canton, homme d'affaires redoute qui chutera pour cause de corruption, franc-maçon ; ainsi Emile Paccaud, l'un des lieutenants de Ruchonnet, franc-maçon et helvétien ; ainsi son cousin éloigné Ernest Ruchonnet, conseiller d’État, zofingien et franc-maçon; ainsi Charles Borgeaud, le prometteur gérant de La Revue, prématurément décédé, franc-maçon ; ainsi le jeune Marc Ruchet, son ancien stagiaire qui accédera plus tard au Conseil fédéral, helvétien et franc-maçon ; ainsi Paul Maillefer, zofingien et franc-maçon, futur conseiller national et syndic de Lausanne; ainsi le banquier Samson Boiceau, franc-maçon ; ainsi le syndic de Bex Isaac Cherix, avec lequel il transformera le hall d'entrée de leur chalet commun au- dessus de Bex en temple maçonnique. La figure tutélaire de Ruchonnet dans cet aréopage qui préside en réalité aux destinées du canton, même après son élection au Conseil fédéral, constitue pour l'historien à la fois une bénédiction et un problème. Ruchonnet a toujours affiche sa dette envers la franc-maçonnerie et Helvetia et répète tout ce que ces deux institutions lui avaient apporte. Sur cette base, il serait aise de conclure que ses influences les plus marquantes, le futur conseiller fédéral les a puisées entre Tenues et Kneipen. Et lorsque l’on sait combien Ruchonnet a laisse une forte empreinte sur tous ceux qui l'ont côtoyé, il parait facile de tirer une ligne directe entre les idées professées par Helvetia et la franc-maçonnerie et l’action de tous ces radicaux, qu'ils aient appartenu ou non a l'une d'elles, dans le quotidien politique du canton de Vaud. Mais justement ! Ces radicaux qui se sont logiquement inscrits dans l’héritage «ruchonnetien», en le suivant dans tous les cercles qu'il a irradies de sa supériorité, ont-ils pour autant adhère aux idées de la franc-maçonnerie ? Ou ont-ils été électrises par le charisme de Ruchonnet?
Je l'ai dit, Ruchonnet s'entendait à réunir autour de lui les capacités les plus diverses et si la majorité d'entre elles a connu un passage plus ou moins intense en franc-maçonnerie, d'autres proviennent des milieux les plus varies.
un contexte intellectuel qui a réellement pu être, sinon élabore, du moins expérimenté au sein de la franc-maçonnerie. L'engagement de Ruchonnet, et de plusieurs radicaux, pour les coopératives, pour les mutuelles, pour les associations philanthropiques, pour une organisation économique capable de réconcilier le travail et le capital peut raisonnablement découler de sa foi maçonnique.
Les réalisations concrètes de Ruchonnet seront imprégnées du même esprit: les banques qu'il sera amène à créer ou a sauver d'une débâcle annoncée sont toutes régies par les mêmes principes mutualistes. Il en va de même avec la Solidarité, une association fondée en 1882 par deux Franc-maçons pour aider l'enfance malheureuse et à laquelle Ruchonnet avouera toujours son attachement.
La franc-maçonnerie contribuera bel et bien à l'édification d'une pensée et fonctionnera comme un cadre d'échanges et d'amitiés favorisant sa diffusion. Le leader conservateur Von Segesser, et grand adversaire des radicaux dans les années 1870, l'a bien perçu : en décembre 1871, lorsqu'il s'agira d'envisager l'expulsion des Jésuites, il tentera de répliquer en suggérant que, si l'on obligeait les catholiques à se séparer des Jésuites, on devrait par équité interdire a d'ordre franc-maçon» de fonder des loges en Suisse ! La presse radicale feindra de ne pas saisir ce que voulait dire l'audacieux... Mais il est vrai que la franc-maçonnerie reste un groupement humain et que les connivences qui s'y forgent sont aussi soumises aux aléas de la vie politique: Vessaz écrira à Ruchonnet que les pires inimitiés qu'il a du affronter - et il s'y connaissait en la matière - provenaient de ses «amis» francs- maçons...
La franc-maçonnerie ailleurs en France et en Suisse
Le cas vaudois montre ainsi une grande intimité entre son histoire politique, l'histoire du radicalisme local et la franc- maçonnerie. Sans doute, il ne révèle pas le même degré d'intrication qu'en France ou les loges maçonniques ont non seulement influence l'essor du mouvement républicain puis radical, par les idées qu'elles ont promues ou les légions de politiciens qu'elles ont contribue à former, mais ont surtout préside directement a la fondation du parti radical et radical-socialiste en 1901. De même, elles seront très présentes dans un grand nombre d’associations porteuses de ses principes comme les associations d'instituteurs et la Ligue des droits de l'homme. Par la suite, la franc-maçonnerie appellera souvent les maçons à soutenir un gouvernement largement composé de leurs frères au cas où une difficulté majeure se présenterait. II est vrai cependant que les historiens ont tendance aujourd'hui à relativiser quelque peu l'impact de la franc-maçonnerie sur révolution du parti radical français, en rappelant, à juste titre d'ailleurs, que l'on ne peut inférer hâtivement de l'adhésion maçonnique d'une grande partie du personnel radical pour en déduire une certaine emprise de la franc-maçonnerie sur ce parti: il convient en effet de confronter des trajectoires politiques réellement marquées par l'idéal maçonnique à la masse de politiciens qui ne peut exciper que d'un séjour éclair dans une loge. Néanmoins, et quand bien même nombre de carrières radicales ont pu se bâtir sans soutien maçonnique, il faut reconnaître que la franc-maçonnerie constitue un élément fondamental du radicalisme français et qu'elle a toujours manifesté publiquement son appui au parti pivot de la IIIe République.
La franc-maçonnerie vaudoise, on l'a vu, ne s'impliquera pas de la sorte dans le cours des événements politiques. Réseaux d'influences parfois, lieu de rencontre entre personnes partageant des convictions semblables souvent, elle se retrouvera plutôt au carrefour des connivences qui sous-tendent l'activité du parti au pouvoir, non seulement dans le canton de Vaud, mais aussi dans les cantons de Genève et Neuchâtel, a la fin du 19e et au début du 20e siècle.
À Genève, le quatuor qui dirige le parti radical, et souvent le canton, est franc-maçon, avec Georges Favon, Adrien Lachenal, futur conseiller fédéral, Pierre Moriaud et Alexandre Gavard. Et n'oublions pas Elie Ducommun, longtemps chancelier de l‘État de Genève, prix Nobel de la Paix en 1902, haut dignitaire maçon et grand ami de Ruchonnet.
A la même époque, à Neuchâtel, il y aura pléthore de conseillers d’État radicaux et Franc-maçons, au point qu'un radical dissident, David Perret, surnomme le Boulanger suisse, parviendra à se faire élire au Conseil national sur la base d'un programme explicitement antimaçonnique. Les chefs radicaux fribourgeois, comme Edouard Bielmann ou Auguste Marmier, ont également achevé leur apprentissage politique en loge: mais leur marginalité politique, des 1857, dans un canton domine par les conservateurs catholiques de Georges Python, leur ferme les portes du pouvoir.
La présence maçonnique en Suisse alémanique sera moins forte. Erich Gruner, dans son immense prosopographie des parlementaires fédéraux entre 1848 et 1920, a réussi à identifier 110 parlementaires à coup sur Franc- maçons : 68 Romands, 10 Tessinois, 38 Alémaniques. Le déséquilibre en faveur de la Suisse latine saute aux yeux. II faut relever que les Franc-maçons alémaniques auront deux conseillers fédéraux, en la personne du zurichois Jonas Furrer, le premier président de la Confédération, et Emil Frey, l'un des chefs du radicalisme suisse entre 1880 et 1890. A signaler encore que le fondateur du parti socialiste en Suisse (ne en 1888), Albert Steck, fils d'une grande famille bernoise issue des rangs radicaux, a reconnu l'importance de son passage au sein de la franc-maçonnerie, avant qu'il ne s'en sépare.
La franc-maçonnerie : une influence mesurable ?
Tous les maçons suisses engages en politique n'ont malheureusement pas été aussi précis que Louis Ruchonnet sur leurs ascendances intellectuelles. Sauf a découvrir dans des papiers personnels pas encore dépouillés de nouvelles révélations sur l'appartenance de tel ou tel personnage a la franc-maçonnerie, ou tel ou tel témoignage sur les liens entre celle-ci et leur parcours politique, il sera difficile d'aller plus loin dans l'exploration des influences possibles entre franc-maçonnerie, radicalisme et politique suisse au 19e siècle.
S'abstenant d'intervenir directement en politique, elle laisse en tous les cas apparaître une communauté de pensée évidente avec le radicalisme d'alors. Dans ce sens, elle constitue un écrin dans lequel des idées ont pu être exprimées, discutées, expérimentées. Creuset intellectuel et humain, a l'instar des sociétés d'étudiants, elle a anime, plus ou moins volontairement, un certain nombre de réseaux, mais tout jugement sur leur solidité effective doit être place sous le sceau d'une grande prudence.
*Cet article a été publié dans « Alpina Revue maçonnique suisse 10/2009 » Nous remercions l'auteur ainsi que nos FF de la GLSA pour leur accord de publier ce texte de référence.
Bibliographie sommaire
O. Meuwly, Louis Ruchonnet 1834-1893. Un homme d'Etat entre action et idéal, Lausanne, Bibliothèque historique vaudoise no 128,2006.
O. Meuwly, L'unité impossible. Le parti radical-démocratique suisse a la Belle Époque 1891-1914, Hauterive, Gilles Attinger, 2007.
P.-A. Bovard, Le gouvernement vaudois de 1803 a 1962. Récit et portrait, Morges, Ed. de Peyrollaz, 1982.
E. Gruner (etal.), L'Assemblée fédérale 1848-1920,2 volumes, Berne, Francke, 1966
L Estoppey, Histoire d'une loge maçonnique 1822-1972, reprint, Lausanne, 1972.
V. V.A.A., La Franc-maçonnerie a Fribourg et en Suisse du XVIIIe au XXe siècle, Genève, Slatkine, et Fribourg, Musée d'art et d'histoire, 2001.
"Franc-maçonnerie", in Dictionnaire historique de la Suisse, vol. 5, Hauterive, Gilles Attinger, 2005, pp. 148-150.