PARMÉNIDE
Être initié semble à bien des titres impliquer une distanciation vis-à-vis de tout ce qui est périssable: les passions, les honneurs, les richesses… Laisser les métaux à la porte du temple, c’est reconnaître que tout ce qui nous divise, tout ce qui renforce nos égos, tout ce qui nous rend “important” dans le monde profane, est vain et futile. Mais une fois ôté ses oripeaux, l’initié apparaît en pleine Lumière, dans son humanité la plus profonde, prêt à embrasser l’Orient éternel avec sérénité, prenant conscience qu’au delà du caractère éphémère de tout ce qui est de l’ordre du paraître, l’être est un et éternel. En un sens, il est passé de l’univers instable héraclitéen que nous abordions dans le dernier numéro au monisme parménidien.
Philosophe pré-socratique majeur, Parménide est né à la fin du VIème siècle avant J-C et nous a quitté au milieu du Vème. Né à Elée, cité grecque de la côte ouest de l’actuelle botte italienne, il a sans doute rencontré le jeune Socrate lors de sa venue à Athènes et Platon lui consacra alors un de ses dialogues.
Avec cette citation de Parménide, "L'être est, le non-être n'est pas...", à première vue, on enfonce une porte ouverte. Cette formule ressemble à une équation du type: a=a et non a = non a.
Pourtant, ces mots sont beaucoup plus riches de sens qu’il n’y parait.
Ce qui paraissait une évidence en lisant Héraclite, nous semble une erreur grossière… Mais alors, comment nier les changements? Les naissances et les morts? Toute existence humaine est bien confrontée aux joies des naissances et aux deuils des disparitions d’être chers…
Parménide était il aveugle aux bouleversements qui s’imposent à notre expérience, tout au long de notre vie? Il semble pourtant que non! Pas plus qu’Héraclite méconnaissait la permanence de l'être… La lecture de ces deux philosophes nous montre qu’une vision trop manichéenne, où tout les opposerait serait trop réductrice... En fait tous deux nuancent leur propos… Ce que soutient par exemple Parménide c’est que les changements ne sont qu’apparents et que l’être a beau se présenter à nous sous de multiples facettes, il demeure, il existe depuis toujours et pour toujours, tantôt sous telle forme, tantôt sous telle autre…
Des exemples dans notre vie contemporaine nous permettent peut-être de mieux comprendre Parménide… La nature est rythmée par la génération et la corruption, autrement dit, par les naissances et les morts. Du monde vivant, bien entendu, et l’homme ne fait pas exception, car nul n'échappe à la mort, mais aussi de l’inerte, les montagnes elles-mêmes ne résistent pas à l’érosion…
Et pourtant le sel que l’on trouve dans les Alpes et qui se retrouve dans nos plats est enfermé dans la roche depuis la période du trias, c’est-à-dire depuis plus 200 millions d’années, ère où les mers se sont lentement évaporées laissant de précieux gisements au cœur du plissement alpin, suite aux mouvements de la tectonique des plaques… C’est pourquoi le sel est probablement le seul produit dans notre cuisine à ne pas avoir de date péremption… C’est parce qu’il est éternel. Le sel des montagnes est venu de l’océan en des temps immémoriaux, il va aujourd’hui être assimilé par notre corps au cours de la digestion, puis va par exemple donner du goût à nos larmes, finir dans un mouchoir et retrouver la terre. Alors il sera poussé vers les rivières par infiltration grâce aux eaux de pluie, et enfin finir dans la mer… Finir? En est-on sûr? Parménide dirait que rien n’est terminé, et aujourd’hui la majeure partie de la communauté scientifique serait sans doute d’accord avec lui…
A.Rauzy 2016