Telle est la question qui me préoccupe depuis quelques temps, est-ce du à une maturation individuelle et naturelle de l’esprit ou bien encore aux découvertes durant mon cheminement ésotérique. Une question qui en soulève d’autres, qui peut-être resteront à leur tour sans réponses.
Toujours est-il que je me sens de moins en moins bien dans le monde profane, sans pour autant être pleinement satisfait du monde dit initié. Mon discours ne se veut ni politique et encore moins religieux, quoique tous nos actes durant notre séjour ici-bas soient sous un certain aspect, politiques et que la politique ne peut se passer de la religion, fusse-t-elle D’État. Mais ceci est un autre débat.
Si dans le titre de mon essai, je parle de règles et non de lois, c’est que sciemment, je m’intéresse plus à l’ordre de la pensée qu’au cadre légal, partant aussi du principe qu’il est beaucoup plus difficile à un individu lambda, doté de la moindre conscience personnelle, d’enfreindre ses propres règles que de franchir les limites de lois établies.
Ces lois qui sans lesquelles aucune société ne pourrait exister et perdurer, sont pourtant les premiers outils dont se servent certains dictateurs ou guides - le plus souvent autoproclamés - en les changeant, en les exploitant et les interprétant de manière malhonnête, à leur profit.
On ne peut que constater malheureusement, que dans notre vie quotidienne, ces mêmes lois commencent à se multiplier à un tel point, qu’elles ont relégué aux oubliettes le bon sens et l’entregent. Nous sommes loin de l’idée de liberté, de nos trois Suisses aux bras noueux qui firent serment sur le Grütli.
Non je ne veux pas créer un schisme profanes vs initiés, car comme disait l’autre, dans tout profane, sommeille un franc-maçon qui s’ignore. L’œuvre finale est dans la pierre brute. J’aimerais simplement comprendre ce qui pousse, au 21ème siècle, en Suisse, certains à vouloir entamer de nouvelles chasses aux sorcières à notre encontre.
D’autant plus que leur argumentaire est tout droit sorti des années sombres de l’entre deux guerres du siècle passé. Ficher les Franc-maçons, distribuer des pamphlets, les empêcher d’exercer la fonction publique, leur faire perdre leur emploi, etc. La route est toute tracée, une répétition sinistre à peine masquée sous des principes populistes. Cette même dérive qu’à déjà vécue la France voici bientôt 80 ans. Si l’on laisse faire, à quand de futures hommes politiques qui pourraient nous grouper dans un stade, après une rafle, par exemple ?
Le film de 1943, «Forces occultes», fort-bien documenté et pour cause, montre l’apogée de l’anti-maçonnisme en France. Dans ce film, nous sommes qualifiés de phraseurs sectaires. Faiseurs de phrases, il faut l’avouer, nous le sommes souvent, pour de ce qui est du côté sectaire, j’estime que nos doctrines ne se comparent pas à celles de nos détracteurs et qu’elles n’entraîneront certainement jamais leurs atrocités qui risquent à nouveau de devenir banales.
Je disais donc que je me sentais de moins en moins bien, dans le monde profane, qui se berce d’illusion, qui obéit au politiquement correct, superficiel et insouciant, atteint d’une frénésie consumériste, instillée par les servants d’un capitalisme outrancier, ces gros requins, accompagnés de rémoras de tout bord, y compris de gauche (le jeu de paume en prend un coup), qui récoltent les quelques miettes tombées de leurs gueules béantes avides de profit pour le profit, ce même monde profane où la machine remplace peu à peu l’homme, où le rendement de l’action prime sur l’ouvrier.
Ce n’est pas pour autant que je vais me réfugier dans l’élite initiée, que nous sommes censés être. Car à l’instar des règles sectaires du monde profane, nous-aussi, tournons en vases-clos. Certaines choses me surprennent aussi en maçonnerie, surtout le manque de renouveau. Endormis sur les lauriers des succès de nos illustres prédécesseurs ! Bien loin les œuvres d’art, les sculptures, les décisions véritablement humanistes comme le droit à l’avortement et j’en passe. Nous sommes atteints par une certaine frilosité ou osons la nommer, une certaine peur.
Si par chance le G :.O :.S :. augmente légèrement son nombre de membres, la franc-maçonnerie en général connaît une diminution marquée de ses adeptes. Cette maçonnerie spéculative s’essouffle de facto.
Observez autour de vous, peu importe la Loge, beaucoup d’entre nous ne sont véritablement maçons qu’une fois par semaine, qu’au moment d’entrer en Temple, et encore, certains somnolent en attendant l’agape. Je ne parle pas bien sûr de nos Frères ayant atteint un grand âge, ayant naturellement des attaques de paupières, dans des ateliers qui malheureusement, n’ont pas toujours le niveau prétendu ou/et attendu.
Dès l’atelier fini ou peu après, lors du départ dans nos foyers respectifs, tel un Mister Hyde, le profane reprend le dessus. Le pavé mosaïque a bon dos.
Il ne faut de loin pas, pour autant, tout peindre en noir, la fraternité existe toujours, beaucoup de Frères en aident d’autres dans le besoin, ponctuellement ou/et de manière significative et parfois sur une longue durée. Bien sûr d’autres œuvrent aussi de manière discrète dans d’autres domaines, et beaucoup de travaux sont encore réalisés, mais de manière globale, plus de réalisation extraordinaire ou d’influence, plus d’avancée significative vers notre idéal.
Même les influences indirectes ne sembles pas tellement visibles dans nos rangs, comment pouvons-nous avoir encore des Frères en 2016, ayant pour certains de gros problèmes financiers, et pour d’autres ayant même perdu leurs emplois, à cause de leur appartenance à la franc-maçonnerie. Alors que nous avons des Frères dans tant de domaines et corps de métiers. Si nous avions seulement un quart des forces occultes dont on nous affuble, depuis plus de70 ans, alors de telles situations appartiendraient au passé. Je ne parle pas d’un réseau mafieux, mais tout simplement d’un cercle de fraternité. Car arrêtons de nous voiler la face, on s’interroge sur l’absentéisme (mot à la mode qui nous vient aussi directement du monde profane) dans nos ateliers, plus d’un Frère ne peut tout simplement pas venir pour des raisons économiques (coût de déplacement, prix de l’agape, etc.), devons-nous générer encore plus de honte chez nos Frères démunis (encore un mécanisme profane qui se décalque dans nos rangs).
Je suis persuadé, qu’avec parfois plus de fermeté envers nos détracteurs, en utilisant les outils légaux et sociétaux à meilleur escient, (non pas pour prouver notre honnêteté, ce qui ne ferait qu’apporter de l’eau au moulin du soi-disant complot « judéo-maçonnique », cette bonne vieille propagande nazie), mais tous simplement comme l’association que nous sommes, faite d’hommes de la cité. Simplement dénoncer dans les médias des pressions ou des licenciements abusifs de Frères pourrait, si ce n’est d’empêcher de telles choses, au moins les freiner.
Mais surtout, il ne faut pas importer en nos ateliers le monde profane et ses vicissitudes, plutôt se rapprocher, s’ouvrir raisonnablement à lui, pourquoi pas, pourtant, rester discret avant tout, car certains paradigmes ne doivent pas être changés.
Toutefois, voyons aussi les choses en face, même si j’aime me réfugier ou à me rassurer dans le monde maçonnique, pour pouvoir supporter mes différences presque allergiques au monde profane, il me faut faire ma propre introspection et critique constructive. Une évidence, quitte à être redondant dans mon texte, rien ne bouge en profondeur chez nous, depuis le 20 siècle, alors que nous tous, parlons d’une maçonnerie universelle.
Chacun peut se l’imaginer comme il lui plaît, mais à mon avis celle-ci doit-être fédérative, car à l’instar de ce que disait le général de Gaulle à propos de l’auto détermination des peuples, les obédiences doivent pouvoir s’auto-déterminer.
Je me refuse à croire que nous vivons les dernières décennies d’un mouvement aussi profond, je me refuse à l’idée d’une disparition, même si des signes avant-coureur sont là, je me refuse aussi de revoir resurgir des lois anti-maçons, dormantes dans quelques tiroirs poussiéreux de fonctionnaires nostalgiques.
Le Grand Orient de Suisse a naturellement sa place dans la maçonnerie européenne et mondiale, mais il doit garder à mes yeux son particularisme suisse et sa spécificité de neutralité, un pays aux nationalités et langues multiples, peu importe la couleur du passeport, réunis sous une bannière. Cet esprit suisse, si particulier, qui a mis près de 700 ans pour se forger, parfois dans la douleur, a donc grosso-modo le double de l’âge de notre maçonnerie moderne et une histoire huit fois plus ancienne que l’idée européenne. Je ne parle pas bien sûr de cette Europe unie politique, loin de l’idéal d’humanisme, celle qui construit de nouveaux murs d’Hadrien, anti-barbares, qui à moyen terme seront voués à être contournés ou détruits.
Non l’Europe des nations pour les peuples. Alors entrons avec enthousiasme dans cette forme de maçonnerie universelle en balbutiement, tout en gardant nos idées, notre particularisme, pour les partager et non pas pour être grignotés petit à petit par des idées maçonniques franco-belges, qui peut-être devraient évoluer elles-aussi. Donc je ne suis pas intéressé non plus par cette maçonnerie « à la française », politisée, plutôt à gauche. Gauche qui est devenue diffuse, anachronique et paradoxale, qui aurait besoin d’un bon remaniement.
Si j’ai le plus grand respect pour nos Frères français et belges, j’aimerai leur rappeler que ce sont des radicaux vaudois (dont certains étaient des Frères) de droite qui ont fait les premières actions sociales dans le canton de Vaud bien avant les socialistes. Donc comme nous disons chez nous, y en point comme nous. Eh oui le chauvinisme existe aussi en maçonnerie, pensons aussi à nos Frères d’outre Sarine qui ne voyant pas forcément d’un bon œil non plus, le glissement de notre maçonnerie sur un modèle politisé, et qui seraient aussi en droit de l’interpréter avec sectarisme, cette fois intra-muros. D’autant plus que les problèmes sociétaux des cités françaises, ne correspondent pas à ceux de nos cités suisses. Nous n’avons-pas de véritables zones de non droit, les jeunes en Suisse se la jouant « banlieue », le plus souvent.
En ce qui concerne la dérive politique, j’ai eu l’occasion de me trouver en Afrique, lors d’élections meurtrières voici quelques années, et les deux leaders qui s’entre-déchiraient à l’époque étaient des Frères. Donc j’ai vu, que la politique peut amener des francs –maçons à se faire la guerre, merci bien.
Les événements actuels en France, sans parler des casseurs professionnels, opposent un gouvernement de gauche qui envoie des CRS contre des camarades de gauche qui les ont élus, et dans les deux camps ce trouvent aussi des Frères. Sans commentaires…
En conclusion, il est sain de former dans nos ateliers des libres penseurs, qui en hommes libres feront la politique qu’ils voudront, mais dans le monde profane, en l’influençant de manière humaniste. Les politiques partisanes, de gauche, comme de droite ne doivent pas entrer dans le Temple. Nous répétons à chaque chaîne d’union qu’aucune dissension ne doit venir troubler…
De plus, le nouveau défi que doit relever aussi la franc-maçonnerie suisse, n’est pas forcément de vouloir plaire à tout prix au monde profane, au risque d’en perdre sa liberté de conscience, mais plutôt de plancher sur le vivre-ensemble, alors que notre société dans son ensemble doit faire face à un mouvement migratoire exceptionnel, le vivre-ensemble, seul garant d’un intégration réussie.
BEST, Mai 2016
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*Neuschwanstein Castle... above the clouds Arto Teräs, cc Attribution-Share Alike 4.0 International 2011