C’est une incroyable histoire de sorcières ! Ou de culot ! Une T:.R:. Sœur, m’en parle et m’envoie ce texte présenté par elle en trois loges en 2004 (aussi en 2017)… et mystérieusement publié, en 2005, dans les Cahiers Bleus (59 et 60), sous signature, pseudonyme, j’assume, « F:.Raynald F:. ». Passée inaperçue, cette pratique me semble être une injustice qui doit être corrigée. Car ce n’est pas la seule fois qu’une telle chose se fait. Ainsi nous publions l’original, un texte excellent, qui fait penser.
Bien entendu, ce rédacteur est soumis à l’erreur humaine. Si je dis faux, que le lésé se lève courageusement et se dévoile ! Justice sera faite et la sorcière sera dûment brûlée comme jadis, au bon vieux temps où l’on savait encore mettre la femme audacieuse à sa place. Mais si c’est vrai, qu’on se taise à jamais !
Avant de vous présenter ce travail, je vous rends attentifs au fait que ceci est un travail historique et que tout ce que vous allez entendre, ou lire, je l'ai trouvé dans les livres de plusieurs bibliothèques, et dans un document découvert sur Internet. En plus, cette planche a été écrite il y a 13 ans pour un atelier qui n’existe plus et qui, à l’époque, faisait des recherches sur les « Droits de la femme » et comment ils étaient piétinés. Cela dit, je me suis toujours intéressée à cette immonde folie qu'était la chasse aux sorcières, événement qui a tristement marqué l'histoire de l'Europe pendant au moins deux siècles. A l'époque moderne, c'est-à-dire largement entre 1450 et 1750, des milliers de personnes, le plus souvent des femmes, furent traduites en justice pour des crimes de sorcellerie. Selon les reconstitutions des procès il y a eu huit sorcières pour deux sorciers. La moitié de ces femmes furent condamnées à mort, d'ordinaire au bûcher pour être brûlées vives.
Quelquefois, on leur tranchait la tête avant, comme pour Anna Göldin, dernière femme brûlée en Suisse, à Glaris, au terme d'un procès pour sorcellerie, quelques mois avant la Révolution française, donc en pleine période moderne. Comment cela a-t-il pu se produire ?
La Préhistoire du massacre
La peur est une réalité universelle. Pour la conjurer on a attribué à des magiciens et à des sorciers des pouvoirs surnaturels afin qu'ils nous protègent d'une nature cruelle et d'événements que l'être humain n'a pendant longtemps pas compris. Ce fait est commun à tous les peuples et a existé à toutes les époques. Dans l'Antiquité égyptienne, orientale et européenne, les Mages étaient relativement peu importunés, bien au contraire, on avait besoin de leurs prédictions et on se déplaçait souvent de loin pour avoir les conseils des plus célèbres et des plus vénérés. Certes, il y a eu des procès et des condamnations. A Rome, par exemple, alors que l'on était assez tolérant envers les religions diverses qui s'y pratiquaient, les premiers chrétiens étaient persécutés parce qu'ils représentaient un danger pour l'Empire. Ils prêchaient la continence sexuelle précisément à un moment où Rome avait besoin de soldats pour la conquête. Malheureusement, avec le christianisme finalement officiel au début du 4ème siècle, et au fur et à mesure que l'Europe se christianisait, la tolérance diminuait et on essayait de supprimer, avec plus ou moins de succès, tout ce qui n'était pas en accord avec la nouvelle religion. Les enseignements de sagesse de l'Antiquité étaient interdits par la religion catholique, les fêtes païennes et les lieux sacrés étaient récupérés, ceux qui avaient des connaissances anciennes étaient obligés de les dissimuler. Cela fonctionnait assez bien pour une partie de la population qui en tirait des avantages politiques ou matériels, mais pour la grande masse des gens dans les campagnes, les vieilles croyances et surtout les vieilles peurs subsistaient malgré tout.
Disons, qu'avant le XVème siècle, on avait de-ci de-là brûlé quelques sorciers, quelques jeteuses de sort, mais le Moyen Âge réprimait surtout les hérétiques, des gens qui n'étaient pas chrétiens, comme les juifs et les musulmans, ou qui propageaient une déviance de la religion catholique officielle, comme Jean Hus, les Vaudois ou les Cathares.
On a toujours dit que la chasse aux sorcières était un phénomène du Moyen-âge. En fait, "c'est à la sortie du Moyen Âge, à l'époque où naissait l'humanisme et où les découvertes géographiques élargissaient la vision du monde, où Aristote était contesté et où Copernic changeait le ciel, que la barbarie la plus rétrograde va "sortir de l'abîme avec la force que donne un long repos" (1). La Renaissance s'amorça au XVème siècle, à l'époque des mécènes et protecteurs des arts, celle des génies plastiques et des grandes découvertes. C'est à ce moment-là que l'église trembla sur ses bases. Après les Cathares (du XIème au XIIIème siècle), Jean Hus, le réformateur tchèque qui fut brûlé vif au concile de Constance en 1414 et Martin Luther qui affichera en 1517 ses 95 thèses sur la porte du château de Wittenberg, le besoin de boucs émissaires se fit sentir. Il ne s'agissait certainement pas d'une riposte concertée, mais d'un obscur et puissant besoin de se défendre en attaquant. A cela s'ajoutent deux événements majeurs: premièrement, en 1484, la bulle du pape Innocent VIII, qui encourage, voir ordonne l'arrestation et la persécution des hommes et surtout des femmes qui se laissent séduire par des démons mâles, les "incubi", ou femelles, les "sucubi", pour tenter l'humanité de commettre les pires crimes et décourager leurs victimes de la "vraie" foi.
Les premières "chasses aux sorcières" débutent vers le milieu du XVème siècle, à la toute fin du Moyen Âge, pour aboutir vers une première vague de répressions, menées par les tribunaux de l'Inquisition de 1480 à 1520. La plus intense folie meurtrière eut lieu entre 1580 et 1630, et fut menée par des tribunaux séculiers (laïques).
En France, il faudra attendre la fin du 17ème siècle pour que cessent définitivement les poursuites. La dernière sorcière à être condamnée en Europe, Anna Göldin, le fut en 1782 en Suisse, dans le canton de Glaris.
Ainsi, l'ensemble des pays britanniques connaîtra environ 1'800 exécutions, alors que la France et ses voisins condamneront 2'725 personnes et la Suisse et les pays germaniques 35000; d'autres pays européens env. 1'300. Il y aura en tout environ 100 000 procès et plus ou moins 60 000 exécutions. Les victimes furent essentiellement des femmes - environ huit "sorcières" pour un "sorcier".
Qui étaient donc ces femmes considérées comme sorcières et quelles étaient leurs crimes ?
Les femmes d'un certain âge, seules et sans protection familiale
Dans une grande majorité des cas, c'étaient des femmes veuves qui avaient plus de cinquante ans et qui vivaient seules. Dans une société patriarcale, la présence de femmes, qui n'étaient sujettes ni d'un père ni d'un mari, était une source de préoccupation, sinon de peur. Elles avaient, peut-être, une difformité physique, une bosse peut-être, dues à l'ostéoporose, maladie inconnue jusqu'au siècle dernier. Du fait de ne pas vivre en famille, elles étaient plutôt pauvres, ce qui les rendaient encore plus vulnérables et elles étaient souvent obligées de demander de l'aide matérielle soit à leurs voisins soit à la communauté, ce qui les rendaient impopulaires voire dangereuses.
Les "physiciennes"
Pendant la première partie du Moyen Âge, l'art de la médecine était surtout le fait des femmes. Des femmes et des moines. On reconnaissait aux femmes et aux clercs les qualités de charité, de dévouement, d'aide aux malades et aux blessés. Les matrones se transmettaient un savoir de femmes sages, de sages-femmes, et le roi protégeait un conseil de ces dames appelées à juger certains cas douteux, par exemple pour l'examen de Jeanne d'Arc, la Pucelle, avant que celle-la ne soit accusée de sorcellerie. Ces doctoresses étaient nécessaires par l'interdiction faite aux moines de soigner le corps des femmes.
Mais elles-mêmes s'occupaient aussi des malades de sexe masculin sans aucune opposition de l’Église. Il ne s'agissait pas de simples herboristes. On les vit aux foires trôner en "miresse" et examiner à la lumière l'urine en flacon. Elles écoutaient les confidences des patients, examinaient les lignes de la main, la forme des ongles, sondaient les plaies et préparaient les onguents. Hildegard de Bingen, la célèbre abbesse, a laissé un traité de médecine que l'on admire encore aujourd'hui.
Avec le développement des Universités et surtout des Facultés de Médecine en Europe, les femmes se virent interdire la profession médicale.
Charles VIII, vers 1480, interdisait la médecine aux femmes, car il voulait réserver "le noble art" à une catégorie d'élite. L’Église étendit cette interdiction aux hommes mariés, devenus indignes, "parce qu'ils avaient touché la femme". Mais certains, comme Paracelse, médecin et alchimiste suisse qui a vécu au début du 16ème siècle, avouait avec impudence: "Ce sont les sorcières qui m'ont tout appris !"
En excluant de la pratique médicale non seulement les femmes mais les hommes mariés et les moines, il n'y avait plus personne pour soigner, surtout dans les campagnes et également pour une foule de personnes incapables de s'offrir une sommité de la Faculté. Les épidémies qui ravagèrent l'Europe ont payé un lourd tribut à cette loi d'exclusion. Par conséquent, pour les campagnes où il n'y avait point de médecins et pour les gens pauvres, il y avait comme seule ressource, les femmes qui avaient une connaissance en médecine, même si cela était interdit.
Un grief spécial était fait aux "physiciennes" et sages-femmes parce qu'elles avaient la possibilité de faire avorter les femmes ou faire en sorte que les enfants naissent déjà morts. On prétendait qu'elles emmenaient les cadavres des enfants non baptisés aux sabbats où l’on mangeait des petits enfants. C'est intéressant, car on a fait le même reproche aux juifs et aux francs-maçons !!!
Les femmes étaient réputées être des guérisseuses mais aussi soupçonnées d'échanger des recettes pour influencer le sort, transmettre les croyances païennes et les superstitions.
Comme les écoles étaient rares, les femmes transmettaient les rudiments de l'écriture aux enfants, ce qui représentait une concurrence professionnelle pour les médecins et les clercs qui saisissaient l'occasion pour accuser ces femmes de sorcellerie.
Les "ensorceleuses"
Mariées ou non, exposées aux fantasmes de toutes sortes, parce que les hommes les trouvaient attirantes et qu'elles avaient (et ont toujours) un pouvoir sexuel sur eux, des centaines de femmes se sont retrouvées sur le bûcher. Dès que l'homme n'était plus maître de sa passion amoureuse et aussi parce que le désir physique était considéré comme un pêché, seule une "ensorceleuse" en était la cause. Remarquez que ce terme est utilisé encore de nos jours au sujet d'une jolie femme.
Les cuisinières
Parce qu'elles avaient l'occasion de cueillir les herbes nécessaires à la magie, mais aussi la possibilité de les transformer en potions, onguents et philtres. Des philtres, qui rendaient amoureux, malade, fou ou qui tuaient ceux qui en goûtaient. La sorcière était, comme la déesse Sekhmet, capable du meilleur comme du pire, de tuer comme de soigner. Il n'est pas surprenant que les sorcières soient souvent représentées penchées au-dessus d'un chaudron.
Les jeteuses de sort
Le plus souvent, on accusait une femme d'être une jeteuse de sort, parce que des événements se produisaient pour lesquels on n'avait pas d'autre explication. Une maladie d’êtres humains et d’animaux, une épidémie, le mauvais temps, un événement surnaturel comme par exemple un tremblement de terre, une éclipse de soleil, et autres choses de ce genre.
En plus, il était tentant d'accuser certaines femmes d'avoir jeté un sort, car c'était des femmes dont on était jaloux, envers lesquelles on avait une dette, qui possédaient quelque chose qui pouvait susciter une envie matérielle. Une maison, un champ, un bout de bois. Dès qu'on le pouvait et en prenant comme prétexte un événement spécial, on accusait cette femme d'avoir jeté un sort, d'être une sorcière. En cette période, il était préférable de faire disparaître une sorcière que de s'acquitter d'une dette, plus facile de conduire une femme au bûcher que de lui acheter son champ, sa maison, son bout de bois. D'innombrables sorcières ont été accusées, condamnées et brûlées par jalousie, envie, rancune, vengeance personnelle ou collective.
Les femmes révoltées
Selon Jules Michelet et son livre "La Sorcière", c'est la protestation de l'esprit de liberté et d'individualisme contre l'esprit de soumission représenté par l’Église catholique comme une survivance du culte païen de la Nature, qui aurait fait condamner un certain nombre de femmes au bûcher. La sorcière serait le symbole de la femme désespérée par la triste réalité des siècles de misère et de crimes, qui s'efforce de retrouver, par des alliances mystérieuses, le contact avec les forces sensibles du monde, étouffées par la religion traditionnelle. Et puis n'oublions pas, que de tout temps, il y a eu des caractères forts, des femmes qui ne se soumettaient pas facilement aux lois et coutumes en vigueur, qu'elles soient laïques ou ecclésiastiques, ce d'autant plus que ces lois étaient souvent conçues contre elles et leur rendaient la vie plus pénible.
Et encore …
Les femmes étaient aussi et surtout suspectées de sorcellerie parce qu'on tendait à penser qu'elles étaient moralement plus faibles que les hommes, qu'elles étaient débiles et donc succombaient plus facilement aux tentations du diable. Cette idée qui remonte aux débuts du christianisme, revient fréquemment dans les traités sur la sorcellerie, spécialement dans le Malleus maleficarum, le Marteau des sorcières, véritable "Mein Kampf" de l'Inquisition (2).
"Les rues du vieux Strasbourg qui, au cours de l'hiver 1486-1487 ont vu sortir des presses de Jean Prüss les premiers ballots imprimés du Malleus Maleficarum ne savent pas le poids et la destinée future du nouveau livre. La décennie 1487-1497 serait une date capitale dans l'histoire de la sorcellerie démoniaque et de la magie ... L'imprimerie jetant aux quatre vents des idées et des mots qui avant son emploi n'atteignaient qu'un cercle restreint d'auditeurs. Cette décennie serait décisive aussi pour la diffusion du premier guide imprimé de répression de cette "sorcellerie démoniaque": une édition presque chaque année... (3)
Le Malleus met en rapport la faiblesse de la femme non seulement avec l'infériorité intellectuelle et son caractère superstitieux, mais aussi avec sa sensualité, concluant que "toute la sorcellerie dérive de la luxure de la chair qui, dans les femmes, est insatiable" (4).
L'idée que la femme est la représentante la plus sensuelle et la plus luxurieuse de l'espèce humaine est répandue dans toute la culture européenne du Moyen Âge et des débuts des temps modernes; c'est seulement au XVIIIème siècle que cette idée fut battue en brèche par celle opposée de la passivité sexuelle de la femme (5). Cette conception rencontra la faveur particulière du clergé, spécialement celle des moines, qui voyaient toujours dans la femme une tentatrice. Moines accablés par une chasteté qu'ils supportaient mal, prêtres obsédés par la femme, tous, comme saint Thomas d'Aquin, ont voulu "saisir le tison embrasé du foyer pour chasser la porteuse de feu de la possession charnelle". L'opinion que les femmes étaient mues par la luxure s'accordait particulièrement bien avec le crime de sorcellerie, puisqu'il était fréquent que la sorcière fasse un pacte avec le diable après avoir été tentée sexuellement et qu'elle s'abandonne ensuite à une activité sexuelle effrénée pendant le sabbat.
Sous l'image de la mégère avide de plaisir se cachait une profonde peur masculine à l'égard de la femme sexuellement indépendante et experte. La vieille sorcière, en particulier la vieille veuve, devint ainsi l'objet principal de la peur masculine en matière de sexualité. Faire de ces femmes des sorcières apparaissait le plus parfaitement raisonnable puisque l'on prétendait que le diable, connu pour sa puissance sexuelle, se présentait aux futures sorcières sous la forme d'un jeune homme attirant. On soutenait que les sorcières, pour la plupart des vieilles femmes, incapables de trouver des amants, étaient la proie idéale pour le Prince des ténèbres (6).
Le diable se trouve au centre des croyances sur les sorcières. Il est la source de la magie de la sorcière, le partenaire avec lequel elle conclut le pacte, l'objet de son adoration. L'idée centrale de la sorcellerie était ce pacte. Non seulement il constituait la base juridique sur laquelle se faisait l'incrimination, mais il constituait aussi le nœud principal qui liait la pratique de la magie noire à l'adoration présumée du diable. Au sens plein du mot, une sorcière était en même temps une magicienne maléfique et une adoratrice du diable, et le pacte était le moyen par lequel les deux formes d'activité étaient étroitement réunies.
Je n'ai jamais bien compris la raison de ce pacte. Faust fait un pacte avec le diable pour obtenir la jeunesse. Je comprendrai si les sorcières faisaient un pacte pour obtenir richesse, jeunesse, pouvoir. Mais en grande partie elles étaient vieilles, pauvres et impuissantes. Est-ce pour la sexualité ? Le pouvoir magique pour nuire à autrui ? Ou simplement un prétexte dans la tête des gens qui voulaient leur perte ?
La même chose pour le sabbat. On voulait que les sorcières, liées par un accord avec le diable, l'adorent collectivement et se livrent à divers rites immoraux et obscènes. Le sabbat des sorcières, qui comportaient aussi bien les danses nues que l'infanticide cannibale, le coït rituel avec le diable et des activités hétérosexuelles et homosexuelles entre les sorciers, étaient le résultat des rêves et des fantasmes des inquisiteurs qui obtenaient ces aveux par la torture. Comme la croyance au pacte, la croyance au sabbat servit de condition préliminaire essentielle à la grande chasse aux sorcières.
Quant au sujet du fameux vol des sorcières sur leurs balais, il est intéressant de lire un petit article trouvé sur Internet. Soumises au supplice de la question, les malheureuses sorcières avouaient n'importe quoi. Au cours des siècles, plusieurs d'entre elles ont ainsi déclaré à leurs bourreaux qu'avant d'enfourcher leur balai, elles le graissaient avec un onguent de leur confection. Les documents rédigés par les Inquisiteurs parlent de plantes de la famille Solanaceae. Il s'agit de plantes terriblement toxiques qui déploient des effets hallucinogènes. Certaines guérisseuses hors pair avaient trouvé le moyen d'utiliser ces plantes à moindre risque en élaborant un onguent susceptible de traverser la barrière de la peau. C'est à la famille des Solanacées qu'appartiennent les quatre plantes qu'on appelle plantes des sorcières. Il s'agit de la Belladone, de la Jusquiame noire, de la Mandragore et de la Stramoine. Elles sont utilisées en d'autres régions du globe, par des chamanes ou en guise d'aphrodisiaques, et ont fait l'objet de nombreuses investigations phytochimiques. Elles contiennent toutes une substance qui s’appelle scopolamine. En la mélangeant avec de la graisse, on enduit cette substance sur le bâton que les femmes passaient entre les jambes, ce qui permettait à la scopolamine de passer directement dans la circulation sanguine, avant de traverser la barrière hémato-encéphalique et d'atteindre le cerveau. Les effets de cette plante sont connus: ils vont des hallucinations visuelles à une sensation de lévitation, la douce impression de voler …
Un pur fantasme, qui a prouvé sa représentation dans le cliché de la sorcière chevauchant un balai volant …
Quelques exemples célèbres de "sorcières"
Le matin du 30 mai 1430, Jeanne d'Arc quitte sa prison pour son supplice. Elle périra sur un bûcher de la place du Vieux-Marché à Rouen. Au début, le procès de Jeanne d'Arc n'était pas un procès de sorcellerie, mais un procès politique. Néanmoins, très rapidement, on accusa Jeanne d'hérésie, surtout parce qu'elle portait des habits d'homme et finalement elle sera également accusée de sorcellerie, ses accusateurs se servant de ses visions et prédictions.
En gros, ce procès, comme tant d'autres, a utilisé l'accusation de sorcellerie pour cacher son vrai caractère. Dans le cas de Jeanne d'Arc, le procès était de nature politique, mais dans d'autres cas, les accusations étaient de nature sociologique, fantasmagorique et psychologique. Même si le procès de Jeanne d'Arc a eu lieu avant la grande chasse aux sorcières; il a, en quelque sorte, donné l'ouverture.
Les diables de Loudun.
En 1632, la prieure, sœur Jeanne des Anges, d'un petit couvent des ursulines à Loudun, affirma être saisie à son tour du mal diabolique. Elle accusa un prêtre: Urbain Grandier, qui avait refusé quelque temps plutôt de prendre la direction de conscience des ursulines, lesquelles lui en tinrent rigueur … Pendant de longs mois, les religieuses se donnèrent véritablement en spectacle, offrant leurs révélations démoniaques sur des tréteaux, se manifestant par des contorsions et subissant des "exorcismes" spectaculaires. Elles vinrent à bout de leur malheureux confesseur; celui-ci, après avoir subi des tortures telles qu'il ne put se rendre au bûcher sans être traîné, fut exécuté le 18 août 1634 devant six milles personnes (7).
Anna Göldin, la dernière sorcière.
Anna Göldin, une belle femme d'une quarantaine d'années, une servante, intelligente, qui avait du caractère et de l'assurance, qui savait lire et écrire et qui s'habillait à la mode, était accusée de sorcellerie par ses patrons, médecin et juge, parce qu'on avait trouvé des épingles dans le lait de la fillette dont Anna Göldin avait le soin. Pendant toute l'affaire, il n'a jamais été clair qui avait mis ces épingles dans le lait, mais l'existence d'Anna Göldin s'achève le 18 juin 1782 à Glaris, en Suisse, sous la hache du bourreau chargé de l'exécuter pour faits de sorcellerie, quelques années avant la Révolution française, dans une société tiraillée entre les superstitions propres à l'Ancien Régime et l'avènement des temps modernes de l'industrialisation.
XXX
Avant de conclure ce travail, il est nécessaire d'y ajouter encore trois points:
Le premier est le parallèle que l'on fait entre les juifs et les femmes pendant cette période de déraison. L'Inquisition rapproche "ces deux espèces exécrables" dans le brasier qu'elle allume. Elle dit "La femme est semblable au Juif". Le nom de sabbat donné à l'orgie satanique est celui du jour sacré de repos chez les Juifs; les sorcières qui se rendent à cette ténébreuse festivité vont, dit le saint tribunal, "à la synagogue"; les rites s'y déroulent à l'envers, comme l'écriture hébraïque. N'oublions pas, que depuis le début du christianisme, et ce jusqu'à il y a peu, la grande religion de l'amour a renié ses sources. Les bûchers des sorcières ont remplacé ceux des procès de l'hérésie.
Le deuxième point est la différence des conceptions qui motivent la chasse aux sorcières. On a constaté, lors des procès, qu'il existait une différence fondamentale dans la définition du crime de sorcellerie pour les élites et pour les masses paysannes. Les deux groupes parlaient un langage totalement différent, mais leurs intérêts se rejoignaient, c'est pourquoi la chasse aux sorcières a remporté un tel succès.
Pour les ecclésiastiques, tout comme pour le roi, les procès de sorcellerie s'avéraient le meilleur moyen de débusquer "une secte satanique qui était censée constituer une Église parallèle, un État subversif". C'est pourquoi ils recherchaient essentiellement des aveux décrivant des scènes de sabbat, car pour eux, le sabbat (l'assemblée interdite) constituait l'inverse de la religion catholique.
Pour les masses paysannes, le crime de sorcellerie se manifestait d'une manière différente. La guérisseuse devenait sorcière lorsqu'elle jetait un mauvais sort sur un membre de la communauté. En fait, la sorcière donnait une explication à l'inexplicable. Elle devenait, dans la communauté rurale, le bouc émissaire de problèmes de plus en plus nombreux.
Troisièmement, à part une misogynie certaine et la peur profonde des changements pressentis, une grave crise économique et démographique a sévi pendant toute la période de la chasse aux sorcières, c'est-à-dire de 1450 à env. 1600. Depuis la nuit des temps, il était entendu que c'était les mages et les magiciennes qui commandaient au temps et au climat et qui détraquèrent ainsi la météorologie. Du XVème au XVIIème siècle, les périodes de sécheresse prolongée et mortelle, où de terribles famines dévastèrent les peuplades occidentales, ont succédé à des pluies diluviennes qui pourrissaient les moissons. Cette époque, connue de nos jours sous le nom de "la petite glaciation" a entraîné une période de crise économique et démographique qui créa des tensions supplémentaires dans les communautés villageoises.
Ces tensions se manifestaient dans une période d'augmentation considérable de la population parallèlement à une crise céréalière faisant augmenter le prix du pain jusqu'à son triple.
La paupérisation s'accrut. Ces tensions ont trouvé un bouc émissaire très pratique en la personne de la sorcière. Étant donné qu'elle pouvait guérir de tous les maux, elle était fatalement la source même de ces maux. En Allemagne, après l'été particulièrement pluvieux et grêleux de l'année 1562, on a brûlé 63 sorcières et sorciers; et après que le blé et le vin aient gelé en 1626 et en 1630, les autorités de Bamberg se voyaient quasiment obligées d'écouter la "vox populi" qui réclamait la punition suprême pour un grand nombre de femmes, d'enfants et quelques hommes accusés de sorcellerie.
A la fin du XVII siècle, la météo devint plus clémente et, en même temps que la période des "lumières", les procès de sorcellerie disparurent petit à petit.
* * * * *
Les livres que j'ai consultés sont, en général, assez discrets en ce qui concerne les aveux sous la torture. Mais, j'ai quand même trouvé une petite "friandise", en guise de clôture de ce travail, dans une brochure qui a accompagné l'exposition qui a eu lieu à Chêne-Bougeries, en 2001 : "La chasse aux sorcières à Genève et ailleurs..." Ce petit texte illustre, non pas la torture subie par une sorcière, mais par un homme, accusé de sorcellerie. Une fois n'est pas coutume ...
La "visite": recherche de la marque diabolique
Le romancier Raymond Jean a consacré un récit à une célèbre affaire de jeunes religieuses ensorcelées à Aix-en-Provence, en 1611. Voici comment il relate ce qu’a subi l'abbé Louis Gaufridy, accusé d'être responsable de l'ensorcellement de ces jeunes filles:
"Louis est brutalement déshabillé (...) On lui bande les yeux pour qu'il n'attende pas les piqûres". On le rase sur tout le corps: c'est une petite humiliation supplémentaire pour les hommes, pour les femmes on n'ose pas toujours nettoyer le pubis où le diable pourrait pourtant bien se loger, mais pour les hommes on débroussaille tous ces fourrés qui sont autant de cachettes à démons et rendent le travail difficile, les barbiers s'en donnent à cœur joie. On va même jusqu'à ne rien laisser, ni cheveux ni poils, tout est rasé de haut en bas, raclé, poncé avec des instruments et des produits spéciaux, selon un usage établi (ce qui pouvait éventuellement, probablement, suffire à rendre la peau insensible ici ou là!). Et on se met à piquer. Gaufridy est lardé, percé, impitoyablement, partout. Le sang ruisselle, mais il ne faut pas se décourager, il faut à tout prix trouver les endroits d'où il ne coulera point. Il crie, se débat. On tourne et retourne son corps. On n'oublie aucun recoin. On y trouvera plus tard des plaies énormes, des abcès dus à l'infection causée par les aiguilles, à la maladresse hasardeuse des sondages. On trouve de toute façon ce qu'on voulait trouver: les stigmates du Diable. Au moins trois marques. Aucune des trois n'a saigné. Deux se sont révélées parfaitement indolores. Seule celle de la région du cœur a fait hurler Louis, quand l'aiguille s'y est enfoncée. La preuve est faite. Les savants hommes de l'art rédigent leur rapport, en affirmant leur certitude que rien, de ces phénomènes et prodiges, n'a pu "arriver par aulcune maladie du cuir précédente" (8).
L'absence de preuves matérielles dans le crime de sorcellerie rendait nécessaire cette recherche de la marque pour confondre le suspect. Tout le monde l'acceptait comme faisant partie des moyens à la disposition des magistrats pour débusquer les agents de Satan.
Parfois, l'esprit qui les a fait flamber dans le temps revient un peu. A nous de le faire disparaître définitivement. Par contre il y a toujours des pays où on lapide, on brûle, on séquestre et on tue des femmes parce qu'elles ont laissé voir un tout petit bout de leurs cheveux ou de leur pied, parce qu'elles doivent céder la place à une autre, plus belle, plus jeune, plus riche, parce qu'elles ne se plient pas assez à la soumission que l'on attend d'elles, parce qu'elles ont eu des enfants hors mariage, parce qu'elles réclament une éducation, parce qu'elles sont plus intelligentes et plus débrouillardes que des hommes qui se proclament leurs maîtres, parce qu'elles exigent de vivre une vie digne de ce nom. Cela se passe encore dans le bassin méditerranéen, en Inde, en Afghanistan, au Pakistan, en Afrique, dans les pays musulmans.
Mes Sœurs et mes Frères, ce travail n'est en rien exhaustif. Chaque point pourrait être repris, approfondi, développé. A vous de prendre l'initiative.
Elfriede John
Présenté:
19 janvier 2004, pour "Perspectives"
19 mai 2004 pour "L'Etoile Flamboyante"
28 avril 2004, pour « Voltaire aux 9 sœurs » à Berne
17 février 2017, pour « L’Etoile Flamboyante », à Genève
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Notes:
1 Françoise d'Eaubonne, Le Sexocide sorcières, édition L'esprit frappeur, n° 47, p. 73.
2 Françoise d'Eaubonne, Le sexocide des sorcières, op. cit., p. 77.
3 Henry Institoris, Jacques Sprenger, Le Marteau des sorcières, Plon, 1973. p. 30.
4 Brian P. Levack, La grande chasse aux sorcières, Epoques Champ Vallon, tr.fr. 1991, notes du chapitre 5, n° 22, p. 255.
5 Brian P. Levack, op.cit., notes du chapitre 5, n° 23, p. 255.
6 Brian P. Levack, op.cit. p.144.
7 Colette Piat, Quand on brûlait les Sorcières, Presse de la Cité, Paris, 1983, p. 171-172.
8 Raymond Jean, La Fontaine Obscure, Seuil, 1976, pp. 202-203.
Illustration dans l'ordre:
Les Sorcières autour du feu 1891 Paul Ranson (1861–1909) Domaine Public
Diebold Schilling the Older, Spiezer Chronik (1485): Burning of Jan Hus at the stake Domaine Public
Le supplice de Dame Guiraude. On remarque la cathédrale St-Alain en arrière-plan. Quintilla y Cardona, Histoire du catharisme Domaine Public
Incubus, 1879 Walker, Charles: The encyclopedia of secret knowledge. [S.I.]: Limited Editions, 1995 Domaine Public
L'imprimerie répand les idées Prior_Health_Sciences_Library_Mural_Printing_Press Jalo 2009 cc 3.0
Anna Göldi Patrick Lo Giudice 2008 free cc 2.0
Hildegard de Bingen, pas sorcière du tout, femme médecin, Icon of Saint Hildegard by Robert Lentz, OFM
Malleus Maleficarum Le Marteau des Sorcières J. Sprenger et H. Institutoris, Malleus Maleficarum 1489_Wellcome_cc 4.0
Prétendu Pacte avec le Diable "signé" entre Urbain Grandier et le Malin; Collin de Plancy (1826) Domaine Public
Luis Ricardo Falero 1878 Vision of Faust Witches going to their Sabbath (1878), Public Domain
Capture de Jeanne d'Arc faite prisonnière à Compiègne, Jules Eugène Lenepveu (1819–1898) Domaine Public
Mattsson, T 1853, Interrogation of the sorceress. Canvas. 1853. Fragment Public Domain
Burning of three witches in Baden, Switzerland (1585), by Johann Jakob Wick. Public Domain
Voyages_des_sorcières Le Breton; Une illustration pour l’article Voyages des sorcières dans le Dictionnaire infernal par Collin de Plancy.Louis Le Breton 1863 Domaine Publique