Notre attachement à la liberté est responsable. Si nous maçons du Rite Français défendons la liberté d’expression, cela ne signifie pas pour autant que toutes les idées se valent et que notre tolérance peut s’accommoder de l’intolérance et de l’anti-humanisme. Tout en respectant le droit de croire librement et autrement, nous rejetons l'indolence relativiste qui capitule, au nom de la pluralité, devant sa responsabilité morale et citoyenne. Les gens en chair et os vivent dans des pays et des cultures ou les valeurs sont compréhensibles et leur choix responsable. Vivant ici et dans notre époque, nous mettons en exergue les hautes valeurs morales maçonniques qui réunissent et nous rejetons les exclusives qui divisent. En apprenant à nous connaître, à nous élever spirituellement et à respecter la diversité de notre Ordre, nous construisons - par notre nature - la démocratie.
Nous Francs-Maçons «a-dogmatiques», sommes fermement attachés à la liberté individuelle de croire et de penser, le Rite Français, le plus Andersonien des rites, tout particulièrement; Jamais nous ne manquons de rappeler aux grades symboliques nos principes capitaux : « la TOLÉRANCE MUTUELLE, le RESPECT des AUTRES et de SOI-MÊME, la LIBERTÉ ABSOLUE de CONSCIENCE » Mille fois, nous, les « bleus » saluons « Liberté ! Égalité ! Fraternité !», au risque d’être pris pour la République Française. La Laïcité, coexistence inclusive et mutuellement respectueuse, qui sépare son fonctionnement démocratique de la variété des croyances toutes libres qu’elle accueille, qui se garde d’y intervenir, est au cœur de notre vie en Loge.
Toutes les idées et valeurs que je viens de citer sont consubstantielles au Rite Français; sans elles, avec tout le respect, on n’est pas au R :.F :.. J’observe d’ailleurs les mêmes principes dans les autres rituels de notre Grand Orient quand j’y assiste.
De la dire si souvent, cette notion de liberté sans parti pris c’est élevée au-dessus de tout soupçon, indiscutable et absolue, elle va de soi ; nous avons tendance à considérer naturellement, que rien n’est interdit, en conscience, en opinion, en croyance ou non croyance, que la seule limite est qu’il est interdit d’interdire et que notre devoir est la tolérance absolue.
Engagés sur cette voie, en arrivant enfin à la liberté de faire, d’agir, nous la voulons tout aussi vaste, prométhéenne, malgré l’intuition qu’il doit y avoir, en guise de frontières, des politesses, du cœur, des règles et des lois, des choses à respecter, à ne pas faire, en Loge et dans le monde profane.
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Parce qu’une de nos valeurs fondamentales est l’égalité, notre tendance indiscutable est de considérer tous les Frères et Sœurs, en fait, tous le gens, égaux en dignité et en droits; pas seulement tous les gens mais j’ose dire que nous nous laissons aller, sans trop y réfléchir, à concéder, impartiaux et tolérants, que toutes les idées sont égales pour nous. Que les dissensions ne viennent pas de nous mais des métaux du monde profane.
Tiens ! Toutes les idées se valent-elles pour nous ? Pourquoi alors disons-nous à l’occasion qu’il n’est pas admis de disputer de Religion et Politique entre les colonnes ? N’est-il pas le cas que nous avons des conditions et préférences exigeantes pour accepter les nouveaux apprentis ? N’est-il pas vrai qu’en écoutant certaines enquêtes et certains propos dits, notre boule sera noire ? Ne travaillons-nous pas précisément pour nos idées humanistes et contre leur opposé ?
En fait, tant l'absolu idéal que le relativisme sont des pantes glissantes.
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Par bon sens, par expérience et surtout par la raison qui nous est si chère, nous savons, chacun d’entre nous, que toutes les idées ne se valent pas; ni dans la réalité du monde, ni pour nous en tant que Francs-Maçons, ni surtout dans l’esprit et la lettre de notre Rite.
Au tribunal toujours plus exigeant de la science, de la raison les idées ne sont pas égales en leur vérité de fait, objective:
L'idée que la Terre est plate et immobile au centre des cieux n'est pas égale en vérité avec l'idée que notre planète sphérique tourne parmi d'autres du système solaire.
Sans multiplier les exemples évidents, disons qu’une idée fausse n’a pas la même valeur, n’est pas la même chose qu’une idée vraie, prouvée… et « notre objet est le recherche de la vérité ».
Au tribunal de la Morale et des droits de l'Homme, les idées ne sont surtout pas égales en valeur morale, et ceci nous regarde directement:
Notre idée fondatrice, que la F:.M:. est le centre de l'union - des hautes valeurs morales et pas des plus basses - les bonnes volontés, pas les mauvaises, est une idée ne se vaut pas avec l'idée opposée, d’exclusion, celle par exemple que l'étranger, une autre race, une autre religion, une autre conviction sur ce qui est le vrai et le réel, sont inférieures, dignes de mépris, de domination et d’assassinat.
Nous n'avons pas vocation d'imposer aux gens comment ils doivent penser et opiner mais, de même, nous ne permettons pas qu'on nous assène des points de vue qui contrarient notre raison d'être - construire des ponts, pas des murs.
Pour les nommer, les idées du totalitarisme, qu’il soit fasciste, théocratique ou communiste, l’esclavage modernisé, le fanatisme monomaniaque, les idées de suprématie des races et des doctrines politiques, le culte de la violence et de la guerre, le nettoyage ethnique ou idéologique, le génocide, l’eugénisme, sont pour nous des objets à étudier et bien comprendre mais aussi des ennemis et des objets de rejet.
La déclaration des droits de l’homme, par exemple, celle rédigée par la main du F :. Lafayette le 11 juillet 1791, porteuse des hautes valeurs morales de l’époque moderne, à laquelle nous sommes attachés sans réserve, n’est pas équivalente aux idées de « Mein Kampf » ni à troquer pour petit livre rouge de Mao. Si les saints livres des grandes religions nous sont tous respectables, les torchons des sectes manipulatrices et vendeuses de confusion ne nous semblent pas équivalentes. On ne colle pas notre équerre et notre compas sur n’importe quoi.
« Liberté, égalité, fraternité » n'est pas la même chose que la survie et la loi du plus fort, la vérité unique obligatoire, le gouvernement totalitaire, par la contrainte et les théories paranoïaques de la conspiration universelle. J’ose dire que le gouvernement universel du gain et de l’argent nous semble également suspect.
Esprit ouvert, liberté de pensée, de conscience et d'expression, d’examen, de critique, oui ; licence de détruire cette même liberté et ce qui la garantit, non ! Quelle effronterie d’attaquer la liberté au nom de la liberté et la démocratie en abusant de la démocratie! Nous rejetons résolument les exclusives militantes. La tolérance n’a aucune obligation de tolérer l’intolérance; l’humanisme, notre foi, ou, si vous préférez, notre conviction profonde, a devoir de rejeter et de combattre l’anti-humanisme, la haine de l’homme, la barbarie.
Nous respectons entièrement la liberté de pensée et de conscience. Chacun y a droit dans sa sphère privée. Toutes les idées, même les plus terribles, les songes les plus horribles, ont droit de se présenter à nos esprits. Rien ne doit nous empêcher de considérer une idée, soit-elle la plus contrariante. En Loge je crois qu’il ne devait pas exister de sujet, d’idée qu’on ne peut pas examiner avec sérénité et sans complaisance. Pourtant, notre discussion est au service de la morale; pour discerner, pour différentier le bien, et le mal, afin de vaincre le mal; pour différentier le vrai du faux, pour rejeter le faux et promouvoir le vrai. La morale est bien cela, juger la valeur des idées et des faits. Sans différence entre les idées il n'y a pas de morale.
Ceci ne nous épargne pas pourtant la responsabilité morale et l'examen critique pour les idées que nous adoptons et faisons nôtres pour les professer et propager. Surtout, nous devons rendre compte des actes qui découlent de nos idées. L’adhésion aux idées est un choix responsable: à minuit, en partant, on est ce qu'on embrasse et ce qu'on en fait.
La séparation des sphères privé et publique, la laïcité – constitutionnelle à Genève et implicite ailleurs en Suisse - assure et même encourage la liberté de croyance tant qu’elle ne cherche pas s’imposer à autrui. Ceci est une idée qui permet la tolérance de l’altérité mais qui oblige en échange au respect mutuel; le fanatisme dévot, le prosélytisme fumeux ou intolérant et l’agression de l’athée stupide contre la croyance d’autrui (ou l'inverse) sont des idées contraires à ce choix et, parfois, aux lois ; ils n’ont pas droit de cité parmi nous.
Notre liberté d'expression est certes plus grande que dans le monde profane, limitée pourtant par la politesse et le respect dû à la dignité et les convictions de nos frères. Tolérance est parfois de souffrir ce que nous ne croyons pas et ce que nous n’aimons pas, sans abdiquer nos propres certitudes. Notre maîtrise de le faire avec respect authentique est à mon avis un exemple potentiel de civilisation pour la société autour de nous.
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Ceux qui nous rejoignent le font parce qu'ils adhérent librement à notre choix de valeurs, celles que nous ne voulons pas relativiser; ceux qui choisissent des idées incompatibles avec nos idéaux ne peuvent pas devenir des nôtres, avec tout notre respect pour la différence, la pluralité, la démocratie et la liberté de conscience ; la Bête n’a pas de place sur nos colonnes, ni licence de recruter parmi nous.
La F:.M:. dans son « Rite Français » est définie et rassemblée par son choix durable d'idées, qui affirment ses valeurs, ses buts, ses méthodes et aussi ses adversaires, ce qu'elle rejette, ce qu’elle veut vaincre et éliminer de la société humaine ; certains de ces ennemis sont des idées de proie, néfastes pour nous – les idées ouvertement contraires à nos idéaux fondateurs, qui nient et transgressent nos limites de tolérance.
Cette fermeté est légitime et vitale; nos pires ennemis nous accusent faussement, avec effronterie et mauvaise foi, d'être nihilistes, relativistes en morale et athées stupides, incapables de discernement moral, cyniques, incapables d’affirmer une vérité et de la défendre; la pire des choses serait de confirmer ces calomnies en affirmant imprudemment que toutes les idées se valent pour nous, de tout laisser passer, avec indolence politiquement-correcte, sous prétexte mal compris, boiteux, de liberté absolue de pensée et d’expression.
Pour prévenir l’évolution d’une F :.M :. flageolante, sans colonne vertébrale, je propose que toutes les idées philosophiques, politiques, sociales ou autres ne soient pas égales à nos yeux même si nous sommes libres de les examiner toutes, ensemble.
Qu’en pensez-vous, mes SS, mes FF ?
I. Tenner, R:.L:. Mozart et Voltaire, Or. de Genève