
C’est de la survivance, dans la première moitié du 20ème siècle, de quelques loges d’adoption qu’est issue, en 1952, la Grande Loge Féminine de France, GLFF, première obédience maçonnique exclusivement féminine qui a abouti à la naissance et à la reconnaissance de la maçonnerie féminine.

Petit rappel historique. . En avril 1964, 11 SS :. de la Grande Loge Féminine de France viennent à Genève – en 2 CV - et créent la 1ère Loge féminine en Suisse, Lutèce. Puis, avec les SS :. de Lutèce, trois autres LL :. en 1970, 1976 et 1981. En 1985, ces 4 Loges qui dépendent de la GLFF rejoignent la Grande Loge Féminine de Suisse, créé en 1976 par des Loges toutes issues de Lutèce.
J’ai beaucoup d’admiration pour ces bâtisseuses et, dans la brochure éditée par la GLFS en 2016 à l’occasion de la célébration de ses 40 ans, je lis ce joli portrait tiré de la présentation de la L :. Alpha de la Carène : « Des pionnières, nous l’étions et nous le sommes encore. Des femmes obstinées, fraternelles, insupportables, tolérantes, aimant rire, progressistes, traditionalistes, intègres et bonnes, etc..»
Mais dès son arrivée sur le continent en 1726, les femmes pénétrèrent la franc-maçonnerie !... L’interdiction de la présence des dames ne visait pas les banquets et divertissements qui suivaient les travaux des loges masculines, les cérémonies de deuil ou de la Saint-Jean ! Les épouses et parentes des maçons étaient invitées aux agapes non rituelles.

Les frères prirent alors l’habitude de nommer « sœurs » les femmes présentes à ces occasions, puis en vinrent à créer une « maçonnerie des dames » « ou maçonnerie d’adoption ». On considérait cette maçonnerie d’adoption comme étant une société paramaçonnique, une sorte d’amicale souvent ritualisée, un simple jeu de société, une parodie de la franc-maçonnerie masculine, un jeu concernant surtout les femmes de l’aristocratie et de la haute bourgeoisie, ce qui fit dire à la reine Marie Antoinette que « toute sa cour en était ».
Mal lui a pris...
Cette Maçonnerie des dames était très différente sur le plan sociologique de la franc-maçonnerie masculine puisqu’elle n’était pratiquée que dans la haute société. Dans les salons, au milieu du 18ème siècle, les femmes cultivées de l’aristocratie qui étaient les seules à bénéficier de cet espace public mixte ne pouvaient se tenir à l’écart des idées nouvelles philosophiques et rationalistes qui circulaient pendant le siècle des Lumières.

Dès 1740, en France, on trouve trace à Paris, en province et ensuite dans les grandes capitales européennes et même dans les colonies de ces Loges dites d’adoption autonomes dans leur gestion portant le nom de la loge masculine à laquelle elles sont obligatoirement rattachées, et dont le VM était un frère.
En 1747 à Brioude (Haute-Loire), 4 femmes sont initiées et vers 1750, pendant une courte période, nombreuses furent les femmes initiées comme les hommes.
Les anciens manuscrits datés de 1761 conservés à la Bibliothèque de France (BnF) révèlent une maçonnerie structurée qui respecte les formes et les règles maçonniques et exprime le désir d’élévation morale et spirituelle des femmes et leur volonté d’émancipation. Les grades et les fonctions se déclinent au féminin. On ne peut douter que le caractère festif ou caritatif fut le seul but des Loges d’adoption !

En 1782, le discours d’une sœur, préfigure une future émancipation féminine et un désir légitime de prendre part dans les responsabilités politiques, exemple Olympe de Gouge ! … Je cite cette sœur :
«la maçonne veut bâtir un nouveau temple où dépouillée de tous ses mythes la femme soit reconnue comme un être humain doué de ses propres déterminations, pour devenir un individu libre et naturel. Le sexe féminin est doué d’intelligence, de capacité autonome d’action et de pensée. La maçonne aspire à l’égalité, proclamant une même identité universelle qui lie les êtres humains... ».
A partir de 1774, soucieux de centraliser toute la franc-maçonnerie française, le Grand Orient de France, issu d’une profonde transformation de la Grande Loge de France, met en œuvre une réglementation de la maçonnerie des Dames, dépendant de la Grande Loge de France, qu’il considère comme des ateliers de récréation. Il promulgue le Rite d’Adoption régissant ces Loges qui seront les seules à recevoir les femmes.

Utilisant des rituels n’ayant rien à voir avec le symbolisme de la construction, « ces Loges, comme relève Jan Snoek qui a accompli un travail important de recherche sur cette maçonnerie, sont de ce fait ni libres ni maçonniques et elles ne répondent pas à la définition de la franc-maçonnerie… et les décorations de ces Loges ne devraient avoir aucune relation avec celles de nos mystères »!
« Il semble que l’on se rallie de plus en plus à cette idée que la femme dans l’accomplissement de son rôle social, peut faire plus de bien en dehors des loges et qu’elle reste la collaboratrice assidue et dévouée du Maçon en l’aidant dans ses œuvres maçonniques et profanes, sans pourtant être mêlée activement à la vie intime et secrète de nos temples.»
«....nous avons dû permettre les travaux d’adoption mais en même temps les tenir à distance. Ce sont travaux inférieurs qu’il n’est point permis de confondre, ce sont nos mystères dont on ne doit jamais s’occuper en Loges d’adoption. »
« aussi nous les regardons moins comme des ateliers maçonniques que comme des assemblées de récréation qu’une loge se permet à la suite de travaux plus sérieux pour se délasser et se rapprocher des personnes qui lui sont chères.. et que leur sexe éloigne de nos mystères.»

Devenues ainsi loges régulières, le Grand Orient opère, à l’image du statut social des femmes, une mise sous tutelle masculine des Loges des dames devant être souchées sur une Loge masculine dont elles portent le nom qui en garantit la régularité et la direction. Sous le règne de Louis XVI, une douzaine de loges masculines possèdent une loge d’adoption.
Les femmes doivent attendre la fin de la tenue des Frères pour pénétrer dans le temple. Elles sont assujetties aux travaux organisés par eux qui les dirigent, ils sont chargés d’initier les profanes et de dispenser les passages de grades.
Les Officières de la Loge d’adoption sont obligatoirement assistées des Officiers de l’Atelier masculin, tous les plateaux sont doublés, V :. Maître, 1er et 2ème surveillants, orateur, SS :. inspectrice (experte), trésorière et dépositaire (secrétaire). Les discours prononcés par le Frère orateur prônaient une égalité fictive.

En 1775, la Loge Candeur, de Paris, décida de travailler de façon autonome, les fonctions étant tenues uniquement par les SS.. La tutelle subsistera mais sera peu effective.
En pleine expansion, les Loges d’adoption sont suspendues à la Révolution. Elles reprennent durant l’Empire mais le Code Civil rappelle les femmes à leurs devoirs de mère et d’épouse… En 1807, la Maçonnerie des dames a pour but des principes moraux qui ne tendent qu’à l’épuration des mœurs et du sentiment. Les compte-rendus de certains ateliers relatent que les activités essentielles étaient caritatives et des fêtes avec chansons et poèmes….
Sous la Restauration, elles deviennent de plus en plus bourgeoises et commencent à décliner étant interdites par le Grand Orient comme contraires à la constitution pour s’éteindre progressivement sans toutefois disparaître complètement.
Pourtant, aux côtés d’hommes féministes, les femmes ne renoncent pas et deviennent encore plus combattives ! Elles aspirent à travailler dans des Loges qui leur sont réservées, à se dégager de la tutelle d’une loge masculine dont leur loge porte le nom. A la fin du 19ème siècle se pose d’une façon aiguë la question de l’initiation féminine.

Journaliste et militante féministe, elle avait été remarquée par les Frères du Grand Orient pour ses talents de conférencière et son engagement militant pour la reconnaissance des droits de la femme et des enfants et sa position anticléricale mais reconnue trop avant-gardiste par la plupart des Frères.
11 ans plus tard, en avril 1893, assistée entre autres de Georges Martin, Maria Deraismes initia rituellement 17 femmes au Rite écossais puis fonda le 4 avril suivant le premier atelier mixte nommé « Grande Loge symbolique écossaise mixte de France, le Droit humain » qui devint en 1901 « l’Ordre mixte international Le droit humain » qui permet l’accession des femmes en franc-maçonnerie, affirmant l’égalité de l’homme et de la femme devant l’initiation maçonnique.. Louise Michel sera initiée en 1904.
La Grande Loge de France réactive alors des loges d’adoption et en 1906 leur donne une constitution propre en rappelant toutefois que « toute Loge d’adoption doit être souchée sur l’Atelier dont elle porte le titre précédé des mots Loge d’adoption » avec une version rénovée du rite d’adoption.
En 1935, on comptait 9 loges d’adoption. Espérant un rapprochement avec la Grande Loge unie d’Angleterre, qui sera refusé, la Grande Loge de France leur donne l’autonomie et les incite à se constituer en obédience libre et souveraine. Avant 1940, la maçonnerie féminine comptait 8 loges et environ 300 SS.. La loi sur les sociétés secrètes de 1940 publie la nullité juridique du Grand Orient et de la Grande Loge de France, des Loges d’adoption ainsi que celles du Droit Humain.
Juste après la libération, les maçonnes décident de réorganiser les loges d’adoption qui ont survécu. La Grande Loge de France vote l’abrogation de la constitution de 1906 qui leur permet de créer en 1945 une obédience l’Union maçonnique Féminine de France représentant 5 loges reconstituées. En 1946, élection de la première Grande Maîtresse, réflexions sur le symbolisme féminin dans la maçonnerie écossaise.

En 1948, à Toulouse, création de la 1ère loge féminine ...par des femmes… pour des femmes ! et le 22 septembre 1952 de la Grande Loge féminine de France réalisant enfin leur aspiration à se réaliser au féminin et à l’égalité léguée par les Sœurs des Lumières. La S :. Gisèle Faivre, sera élue GM :. de la GLFF. En avril 1964, elle était à Genève pour la création de la 1ère loge suisse, Lutèce.

Intégrée à l’obédience en 1977 elle continue à transmettre le rite d’adoption. Et dès 1980, la GLFF qui a adopté des rites et rituels spécifiquement maçonniques, a présidé à la création de 21 Loges - Lutèce portait le no. 16 - et 10 ans plus tard de 76 Loges féminines qui virent le jour en France, Suisse et en Belgique.
Le Droit Humain, ainsi que la Grande Loge féminine de France, dont est issue notre Obédience, ont pris leur essor dans les années 1970. La GLFF est la première obédience féminine mondiale. Elle compte aujourd’hui plus de 14.000 SS :. membres de 445 loges, en France, en Outre-Mer, en Europe, dans l’Océan indien, le Moyen Orient et les continents africain et européen.

Le livre de Jan Snoek « Le rite d’adoption et l’initiation des femmes en maçonnerie des lumières à nos jours » (Ed. Dervy) restitue de nombreux rituels dans leur contexte historique. Cette analyse fut possible grâce au rapatriement de Moscou des archives confisquées par les forces allemandes à Berlin pendant la dernière guerre.
La BnF dispose d’un grand nombre de ces rituels du 18ème siècle n’ayant pas encore été imposés comme ce fut le cas en 1774 par le Grand Orient. Ils s’appellent « Maçonnerie des Dames ou des Femmes », « Vraie Maçonnerie d’adoption ». Reconnus comme rituels de grande qualité, ils sont constitués de symboles, de récits, épreuves, mots et signes qui se perpétuent de nos jours.

La symbolique du rite d’adoption repose surtout sur des récits mythiques et des symboles tirés de la Genèse, illustrant l’ambivalence des forces multiples qui constituent l’énergie vitale pour s’inscrire dans le temps, avec le mythe d’Adam et Eve qui personnifie les désirs terrestres.. Connaître le processus de création, c’est approcher le mystère des origines, co - naître, naître avec le monde, naître à la vie. « Je nais à la vie » est l’âge des App. au rite d’adoption.

Dans les plus anciens manuscrits on y retrouve les thèmes de l’échelle de Jacob, de l’Arche de Noé, de la Tour de Babel, du sacrifice d’Abraham, la femme de Loth, de l’allégorie du paradis terrestre, de l’arbre de la connaissance du bien et du mal associé au serpent et à Adam et Eve. Le nom d’Eve (Eva) figure dans un triangle sur le cordon des Grandes Maîtresses (VM) et sur celui de la VM de Cosmos.
Au 19ème siècle le texte des rituels est surchargé d’éléments moralisateurs : couleur blanche associée à la pureté virginale. Fleurs à profusion, questions humiliantes sur la chasteté, la modestie, la douceur etc. très éloigné des figures allégoriques du 18ème siècle : la candeur et l’innocence signifient un désir authentique d’accéder à la vertu par le travail sur soi.
Le rituel de la maçonnerie d’adoption comprend sept grades avec les hauts grades : apprentisse, Compagnonne, Maîtresse, Maîtresse Parfaite, Elue écossaise, Chevalière de la lune, Amazone anglaise. Les quatre Hauts grades ne seront pas repris, le rituel de la Loge Cosmos en est très proche. Comme aujourd’hui les grades sont nommés au féminin : apprentisse, compagnonne, maîtresse, grande maîtresse (VM) ou inspectrice.
Selon un rituel de 1907, la Loge est un carré long dont les côtés se nomment climats, étapes particulières du voyage de la matière vers la lumière, traversées entre le monde matériel et le monde spirituel. Ce mot est toujours en vigueur et suggère l’orientation selon la course du soleil et selon l’axe polaire. La démarche initiatique est inscrite dans le respect des lois de l’univers.
Les travaux sont ouverts à la gloire du GADLU, les commandements, les batteries, les santés se font par 5, addition du 1er nombre pair avec le 1er nombre impair, 5 étant l’union des complémentaires capables d’engendrer l’harmonie : 5 fois Vivat ! 5 baisers, 5 points pour la signature maçonnique...

Avant sa réception, « l’aspirante est conduite dans un endroit obscur, les yeux bandés, on la laisse à ses réflexions ». Elle est admise en Loge car elle est une « él-Eve » de la sagesse qui désire être reçue maçonne. L’orateur et la conductrice (MdC) lui lient les mains avec une chaîne.
Au 1er grade, « l’appartement », le temple, est éclairé par « 5 terrines pleines d’odeurs ». Depuis le 18ème siècle une étoile éclairait l’orient couvrant le delta et portait en son centre un yod hébraïque, symbole de la parcelle divine qui nous habite.
Les officiers et officières portent un cordon bleu en sautoir auquel pend une truelle d’or ou d’argent. Tous les Frères et les SS ;. doivent avoir un tablier et des gants blancs et sont assis sur deux rangs, les SS .. devant, les Frères derrière.
Le Grand Maître et la Grande Maîtresse (VM) ont devant eux un autel et à leurs côtés huit figures peintes, sagesse, force, prudence, tempérance, honneur, charité, justice et vérité.
Après s’être assuré de la sincérité de la candidate, le VM « ouvre la porte de la vertu » et fait tomber la chaîne « car il faut être libre pour entrer dans nos temples ». La chaîne dont ses poignets sont libérés lui suggère la « conquête de la liberté – liberté qu’elle cultive d’abord dans le coeur et l’esprit ».
La candidate est soumise à des épreuves rituelles traditionnelles qui sont, par un jeu de demandes et de réponses, orientées vers l’art de bâtir en soi l’être humain parfait et autour de soi la société idéale.

Identifiée à Eve, elle croque la pomme dans un « geste de curiosité consciente qui est désir de connaissance ». Le péché originel est retourné !
Elle prête l’obligation sur l’Evangile et reçoit des signes, une parole et un attouchement ainsi que le mot sacré (le même qu’aujourd’hui).
Gants en peau blanche et tablier doublé de blanc lui sont remis… ainsi qu’une paire de jarretière dans certaines Loges. Elle reçoit le baiser de la paix, le nom de Soeur au lieu de Dame.
L’instruction se termine ainsi : Quels sont les devoirs d’une apprentisse ? L’orateur prononce son instruction, suit une quête en faveur des pauvres et Réponse : « écouter, obéir, travailler et se taire ».
La vertu est le terme le plus répandu dans les rituels. La phrase « Vous êtes l’un des pôles de l’humanité, n’oubliez jamais que l’homme est l’autre pôle » apparaît dans le rituel d’initiation des LL :. d’adoption et sera reprise en 1958 par les SS :. de la GLFF dans le rituel d’initiation au REAA. - il se trouve aussi dans notre rituel d’initiation .
- A chaque passage, elle est conduite dans le cabinet noir, les yeux bandés. Au 2ème grade, on lui demande sa jarretière, marquant son renoncement volontaire aux futilités de la vie et son entrée sur le chemin de la vertu.
- La loge de table qui est l’aboutissement de la tenue est très similaire aux banquets de la maçonnerie masculine.

Les loges d’adoption qui furent créées il y a plus de deux siècles ont marqué, « une prise de conscience collective maçonnique féminine ». comme l’exprime la S:. Denise Oberlin, G.M. passée de la GLFF.
Les Loges d’adoption n’ont-elles pas été les prémisses des mouvements féministes revendiquant, dès les années 70, les attentes d’égalité et de reconnaissance de la femme et de sa place dans la Société, comme l’avait déjà revendiqué en 1791 Olympe de Gouge avec sa « Déclaration des droits de la Femme et de la Citoyenne » ?
Christine Mouchet, RL :. Lutèce 2023
Bibliographie :
Gisèle et Yves Hivert-Messeca, «Comment la maçonnerie vint aux femmes – 1740-1940»
Jan Snoek «Le rite d’adoption et l’initiation des femmes en franc-maçonnerie
Yugo Colombara, GLFE, Luf «Maria Deraismes»
Françoise Moreillon «Au coeur de l’initiation féminine,»
Wikipedia, «La GLFF», les Loges d’adoption
Francesca Vigny «Aspirations féminines en maçonnerie»